Pensions impayées
Le nouveau dispositif de vente forcée des chevaux est-il vraiment efficace ?
Par Blanche de Granvilliers, membre de l’Institut du droit équin
Depuis le 30 novembre 2021, un nouvel article du Code rural (L. 213-10 du Code rural et de la pêche maritime) permet aux détenteurs professionnels seulement (entraîneurs, dirigeants de centre équestre ou d’écurie de propriétaires par exemple) d’obtenir du tribunal la vente forcée du cheval, en cas de pensions impayées ou d’inaptitude avérée de l’animal.
S’il faut se féliciter de cette initiative au bénéfice des professionnels, le texte, qui se veut résolument pratique, l’est-il vraiment ? L’idée est de permettre aux professionnels de disposer d’une procédure rapide pour mettre en vente le cheval qui a été abandonné par le propriétaire dans leur écurie. Cependant, l’examen du texte nous fait craindre qu’il rate ses objectifs, qu’il s’agisse des délais ou des modalités de cession du cheval.
Premier écueil, la preuve du contrat : le professionnel doit justifier d’un contrat de dépôt ou de prêt à usage. Or de nombreux professionnels ne font pas signer de contrat écrit à leurs propriétaires, tandis que le juge peut estimer que le contrat d’entraînement ou de valorisation n’est pas stricto sensu un contrat de dépôt. Une rédaction plus large visant “la remise du cheval” aurait été préférable.
Deuxième écueil, les délais : le professionnel doit adresser au propriétaire une mise en demeure de récupérer le cheval, qui fait courir un délai de trois mois. Le texte vise le propriétaire ; or le cheval n’est pas forcément remis par le propriétaire (il peut l’être par exemple par un locataire), ou bien le propriétaire qui a remis le cheval peut ne plus l’être au moment de la mise en demeure. En outre le délai de trois mois peut sembler un délai très long sachant que le cheval est souvent depuis plusieurs mois à la charge du professionnel.
Troisième écueil, la complexité : à défaut pour le propriétaire d’avoir récupéré le cheval, le professionnel peut adresser au juge sa requête. Il s’agit d’un simple courrier recommandé au tribunal avec l’ensemble des pièces, notamment la mise en demeure restée sans effet, sollicitant la vente forcée de l’animal aux enchères et la fixation du montant de la créance du professionnel. Si le juge fait droit aux demandes, il rend une ordonnance qui doit être signifiée par huissier au propriétaire dans un délai de trois mois, sachant que la vente du cheval ne pourra avoir lieu avant un délai minimum d’un mois. Le propriétaire peut dans ce délai récupérer son cheval ou faire opposition à la vente, ce qui renvoie l’affaire devant le juge.
Tout ce dispositif est parfaitement justifié en ce que les droits du propriétaire doivent être respectés (doit à un débat contradictoire et à la contestation de la demande). On constate cependant qu’il est relativement complexe à mettre en œuvre pour le professionnel. Pourquoi ne pas avoir organisé une convocation du propriétaire par le juge à la demande du professionnel pour permettre immédiatement un débat contradictoire et une décision du juge concernant le sort du cheval ?
Quatrième écueil, la vente aux enchères : il s’agit à mon sens de l’écueil principal. Par principe, l’animal “abandonné” chez le professionnel n’a que peu ou plus de valeur. Or le cheval doit être vendu selon la procédure de vente forcée des biens saisis, qui est la vente aux enchères. Celle-ci engendre des coûts importants, et c’est pourquoi les huissiers vendent rarement les biens mobiliers des débiteurs, au motif que les frais de la vente excèdent le plus souvent la valeur des biens. Ce sera le cas pour le cheval “abandonné”, qui ne vaut rien ou pas grand-chose. Or, en cas de carence d’enchères, c’est le professionnel qui aura réglé les frais, de l’ordre de 2.000 ou 3.000○€ minimum, et qui aura encore le cheval à sa charge. Double, voire triple peine pour le professionnel, qui aura supporté :
Certes, le texte prévoit qu’en cas de carence d’enchères le cheval peut être « confié à un tiers qui accepte d’en avoir la charge matérielle ». On relève que le cheval n’est pas donné à ce tiers, qui ne devient pas le nouveau propriétaire. Pourquoi, dans ce cas, obliger le professionnel à passer par une vente publique avec les frais que nous avons relevés, avant de l’autoriser à confier le cheval ? Pourquoi ne pas avoir autorisé le professionnel, en justifiant d’un probable défaut d’enchères, à confier directement l’animal à un tiers ? Très souvent, le professionnel trouve parmi sa clientèle une personne qui accepte de recueillir le cheval et d’en prendre soin, mais il ne peut leur confier le cheval qui lui a été remis sans autorisation judiciaire. En outre, les droits du propriétaire indélicat ne seraient pas totalement annihilés puisqu’il pourrait par la suite récupérer son cheval auprès de ce tiers. En outre les droits de ce tiers sur le cheval ne sont pas déterminés, alors que le cheval a peu de chances d’être récupéré par le véritable propriétaire.
En l’état, la circonstance que cette autorisation judiciaire permettant de confier le cheval suppose une carence d’enchères (et donc des frais à la charge du professionnel) me parait être un obstacle rédhibitoire à l’utilisation de cette procédure.
C’est pourquoi les avocats lui préfèrent aujourd’hui d’autres procédures telles que le référé, qui est une procédure contradictoire qui permet en quelques semaines d’obtenir la condamnation du débiteur au paiement des frais de pension mais aussi une condamnation sous astreinte à récupérer le cheval qu’il a mis en pension chez le professionnel.