Plus vite, plus fort… Meilleur ?
Les courses vont désormais très vite à Auteuil. À l’image du Grand Steeple remporté par Rosario Baron, l’un des plus rapides de ces dernières années. Et cette évolution a de réelles conséquences sur la sélection du cheval d’obstacle. Vous rêvez d’élever un futur champion d’Auteuil ? Guillaume Macaire, Willie Mullins et John Hammond vous donnent des clés !
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Thélème (Sidestep), Rosario Baron (Zambezi Sun), Gala Marceau (Galiway), Jigme (Motivator) ou encore Moujik (Siyouni) ont brillé ce week-end à Auteuil sans forcément incarner le pedigree « typique » du cheval d’obstacle. Depuis quelques années, les chevaux fabriqués pour le plat sont plus présents dans les courses de sélection sur les obstacles français. Assurément, le drainage d’Auteuil favorise cette évolution.
Willie Mullins a accordé une interview à Anne-Louise Échevin (à paraître demain dans nos colonnes). « Nous faisons une sélection précise des chevaux qui viennent courir à Auteuil. Or le terrain était particulièrement rapide et cela nous a surpris : les steeple-chasers à l’irlandaise ont été constamment débordés. J’ai bien conscience qu’il n’est pas facile de gérer une piste, surtout quand il fait beau et chaud comme ce week-end. Même si elle est souple le matin, elle sèche vite au fur et à mesure de la journée. Et cela peut arriver en Irlande : la différence est que, dans ce cas, nous pouvons déclarer les chevaux non-partants sans prendre d’amende. Ce fut aussi le cas à Cheltenham il y a deux ans. Mais le terrain rapide de Cheltenham n’est pas vraiment comparable à celui de ce week-end à Auteuil. Je crois qu’il faut faire attention à cela : la vitesse, en obstacle, est synonyme de danger. »
L’obstacle requiert plus de classe que par le passé
Lorsqu’on évoque le drainage et les travaux effectués à Auteuil, Guillaume Macaire explique : « On s’occupe désormais plus du confort des personnes qui gèrent la piste que de la finalité sportive. » Une piste moins profonde, ce n’est pas sans conséquence : « En voiture, on roule moins vite sur une départementale que sur une autoroute. Aujourd’hui, les temps des courses d’obstacles sont explicites : on va beaucoup plus vite qu’il y a 15 ans. Les très bons sont toujours des exceptions. Mais d’une manière générale, c’est quand même la vitesse qui fait du mal. Par le passé, à Auteuil, on ne courait pas sur un billard comme c’est le cas actuellement. Les chevaux économes dans leur manière de courir y trouvaient plus leur compte. Les parcours ont changé aussi. On a perdu la piste intérieure en steeple dans le tournant du parc des Princes, où l’on pouvait laisser les chevaux tranquilles pendant un instant. Les courses d’Auteuil en 2023 n’offrent plus aucun temps mort : c’est à fond d’un bout à l’autre. Désormais, sur le plan de la classe, il faut de meilleurs chevaux pour gagner les belles courses sur cet hippodrome. Dans les épreuves pour jeunes chevaux, le peloton se déploie sur toute la largeur de la piste quand ils arrivent à « l’avant-dernière ». Ils vont donc pour la plupart lutter jusqu’au bout car il y a plus d’homogénéité. Avant, en sortant du dernier tournant, les positions finales étaient souvent déjà prises. »
Il n’y pas que la question du drainage
On assiste donc à une montée en puissance des chevaux de plat sur les obstacles parisiens, comme dans le cas d’un Thélème, ménagé à 3ans par Damien de Watrigant avant de changer de discipline. Guillaume Macaire, l’homme qui a fabriqué nombre d’étalons d’obstacle, poursuit : « Sur les haies, un cheval de plat pas usé, c’est un véritable avantage ! Les pedigrees de plat vont être de plus en plus présents dans ce contexte. Encore une fois, regardez les chronos ! Je constate des faits, mais je ne les critique pas. Est-ce mieux ? Est-ce moins bien ? Je ne sais pas, nous aurons la réponse dans vingt ans. C’est un faisceau d’éléments qui fait évoluer la sélection du cheval d’obstacle. Et la question de la piste d’Auteuil est l’un d’eux, mais c’est loin d’être le seul. » Avec une piste plus drainée, il faut plus d’eau pour maintenir une certaine souplesse. Dès lors, trois solutions : prier pour avoir la météo de son côté, décaler le programme dans la saison ou arroser. Cette troisième option est assez incertaine, alors que le courant écologiste a toujours plus de poids sur le plan politique en région parisienne.
Garder les yeux ouverts
En tant que compétiteur, l’entraîneur n’a pas d’autre choix que de s’adapter à la nouvelle donne : « Encore faut-il pouvoir ! On ne peut plus fonctionner comme il y a 20 ans. Le temps où on pouvait produire ou acheter des chevaux performants pour peu d’argent est révolu. Le système s’est considérablement professionnalisé, avec un nombre croissant d’entraîneurs qui étayent leur activité avec des parts de chevaux. Il faut beaucoup plus d’argent pour acheter un sujet potentiellement performant et cela complique beaucoup l’équation économique des propriétaires qui se sont de plus en plus professionnalisés. »
L’obstacle est au carrefour de plusieurs aptitudes : celle au terrain souple, celle au saut, celle à la distance… L’exercice ne se prête donc pas trop aux déclarations péremptoires, surtout d’un point de vue généalogique ! Il faut garder l’esprit ouvert et faire du cas par cas au niveau des pedigrees. Guillaume Macaire conclut : « Il ne vous aura pas échappé que, surtout chez les 4ans en steeple, on a supprimé beaucoup de courses sur 4.400m au profit des 3.500m… En matière d’élevage, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Les éleveurs qui veulent gagner des courses sont en général ceux qui défendent leurs idées. Le verdict du poteau récompense souvent ceux capables d’innover. En sachant qu’on peut faire des chevaux d’obstacle avec à peu près tout, sauf avec des individus trop américanisés dans leur conformation. On a déjà vu par le passé des chevaux gagner le Grand Steeple alors qu’ils n’étaient pas pensés pour cela. À l’image de Mid Dancer (Midyan), par exemple, qui n’était pas né pour gagner trois fois l’épreuve reine. » Dans les choix de croisements, on fait donc du mieux possible en essayant d’identifier ce qui a la plus grande probabilité de réussir. On ne peut pas éliminer « d’office » un courant de sang ou un type de croisement. Si on regarde les gagnants de courses black types à Auteuil depuis le début de l’année, cinq étalons apparaissent au moins deux fois (en tant que père et père de mère) : Doctor Dino (Muhtathir), Jeu St Eloi (Saint des Saints), Karaktar (High Chaparral), Kapgarde (Garde Royale) et Martaline (Linamix). Cinq chevaux aux profils très différents qui représentent bien la recette du sauteur « à la française » où l’on rajoute tantôt de l’aptitude à l’obstacle, tantôt de la classe de plat.
Montjeu, mon amour
L’un des grands gagnants de l’amélioration du niveau des courses d’obstacle, c’est le sang de Montjeu (Sadler’s Wells) qui a pris une place prépondérante dans la discipline. C’est le père de mère de Moujik et le père de père de Jigme, pour ne citer que deux exemples du week-end dernier. Entre ce fantasque gagnant d’Arc et l’obstacle, c’est une véritable histoire d’amour qui a vu le jour. John Hammond a entraîné Montjeu mais aussi un certain nombre de ses descendants (Walk in the Park, Sarah Lynx…) et de ses collatéraux. « C’était un cheval hors norme, mais pas facile. Sa réussite, c’est aussi celle de mon excellent premier garçon de l’époque, Didier Fulop. Sans lui et sans Cash Asmussen, qui le montait aussi à l’entraînement, il n’est pas certain que les choses auraient tourné aussi bien. Montjeu apportait de la tenue… et de la vitesse. Ses temps partiels dans le Prix Niel (Gr2) étaient exceptionnels, avec 400m impressionnants pour finir. Pour l’obstacle, il faut tenir, c’est certain. Mais dans la phase finale d’une course, si vous avez deux chevaux qui tiennent, c’est celui qui a aussi de la vitesse qui gagne. C’est probablement l’une des explications de la réussite de la descendance de Montjeu. Nous ne l’avons bien sûr jamais fait sauter. Mais il était très correct dans ses aplombs, assez athlétique, presque jamais raide. À mon avis, il aurait sauté si on le lui avait demandé. Tout le monde dit que ses filles étaient compliquées… Et c’est vrai ! Certaines étaient très bonnes, mais il fallait les entraîner du « bout des doigts ». Si vous y alliez trop tôt et trop fort, cela ne marchait pas. Sa petite-fille Trêve (Motivator) n’a couru qu’une fois à 2ans et le « Diane » était sa troisième course seulement. Si elle avait couru au mois de mars pour sa rentrée ou si elle avait recouru une deuxième fois à 2ans, aurait-elle fait la même carrière ? Ce n’est pas certain. » Montjeu était un cheval « tout terrain ». « Même s’il avait bien sûr une prédilection pour le souple, il a quand même gagné les King George VI & Queen Elizabeth Diamond Stakes (Gr1) dans le léger. Dans le Derby d’Epsom 2015, en bon terrain, Motivator (Montjeu) devance Walk in the Park (Montjeu) et Dubawi (Dubai Millennium) termine troisième. » La coqueluche des éleveurs irlandais, Walk in the Park, n’était pas un cheval simple, bien au contraire. Et après Epsom, il n’a plus été le même. Mais les entraîneurs d’obstacle arrivent à utiliser ces chevaux un peu délicats.
Un étalon extraordinaire
Montjeu n’a eu que 1.073 foals. Quatre de ses fils ont 14 % (ou plus) de black types par partant en plat dans l’hémisphère Nord : Jukebox Jury (16,3 %), Camelot (15,9 %), Motivator (14 %) et Hurricane Run (14 %). L’étalon de référence de notre temps, Galileo (Sadler’s Wells), a eu 2.532 foals. Et à ce jour, deux de ses fils atteignent cette barre : Frankel (26 %) et Teofilo (16,4 %). Or, Montjeu n’a clairement pas eu le même niveau de jumenterie que Galileo. À l’heure où nous écrivons ces lignes, selon l’Average Earning Index (AEI), Montjeu est le deuxième meilleur père de mère à l’échelle mondiale pour la saison 2023, entre le japonais King Kamehameha (Kingmambo) et l’américain Tapit (Pulpit). Ce n’est pas rien ! John Hammond poursuit : « Lors de ses trois premières années de monte, Montjeu a reçu des juments correctes mais pas extraordinaires. Sa libido n’étant pas illimitée, il n’a jamais beaucoup sailli, ce qui l’a désavantagé par rapport à ses concurrents. Le taux de réussite de sa production, en particulier les mâles, est extraordinaire. Et il est mort trop tôt, à 16ans, pour vraiment récolter les fruits de la réussite de sa production. » En obstacle, dix de ses fils ont donné au moins deux gagnants de Gr1 : Authorized (5 lauréats), Camelot (2), Davidoff (2), Fame and Glory (8), Jukebox Jury (3), Masked Marvel (2), Montmartre (2), Motivator (4), Scorpion (4) et Walk in the Park (6). Le haras du Hoguenet exploite le filon avec Montmartre et Motivator, mais aussi en étant copropriétaire de l’impressionnant Jigme. Le haras d’Étreham a fait fort en dénichant en Australie Masked Marvel, qui devrait être « liste pleine » pendant de nombreuses années. Étreham compte aussi sur Latrobe (Camelot), encore un descendant de Montjeu, qui fait lui aussi la monte au haras de la Tuilerie. L’influence de Montjeu est impressionnante en termes de qualité et de polyvalence. En 1988, après un week-end de l’Arc peu fructueux pour l’élevage tricolore, on pouvait lire dans la presse hippique française : « Sur les neuf vainqueurs, notre élevage n’en a fourni qu’un, la pouliche Floripedes, victorieuse dans le Prix du Lutèce, une épreuve que la distance rend la moins utile pour la sélection du week-end. » Floripedes (Top Ville) est la mère de trois black types, dont Montjeu. Et elle est l’aïeule de Goldream (King’s Stand Stakes & Qatar Prix de l’Abbaye de Longchamp, Grs1), Galileo Gold (St James’s Palace Stakes & 2.000 Guinées, Grs1), Again (1.000 Guinées d’Irlande & Moyglare Stud Stakes, Grs1)… liste non exhaustive. En plat ou en obstacle, l’élevage est une leçon d’humilité et il faut savoir faire preuve d’ouverture d’esprit !