Felix de Giles : « Enfin un premier Gr1 ! »
Par Christopher Galmiche
cg@jourdegalop.com
Il a l’intonation de Cash Asmussen et quelque chose de Philippe Chevalier dans sa monte. Deux jours après son premier succès de Gr1 à Auteuil – le Prix Ferdinand Dufaure avec Juntos Ganamos –, Felix de Giles s’est livré comme il l’a rarement fait.
Jour de Galop. – Dimanche à Auteuil, dans le Prix Ferdinand Dufaure, vous avez remporté votre premier Gr1 avec Juntos Ganamos (Martaline). Qu’avez-vous ressenti ?
Felix de Giles. – J’étais plus soulagé qu’heureux. En effet, Juntos Ganamos était le cheval de la course à battre. Nous pourrions presque dire qu’il n’avait que le « tour à faire » pour s’imposer. En tant que jockey, cela met une petite pression. Il faut juste ne pas faire d’erreurs, ne commettre aucune faute… Dans ce cas de figure, la victoire est attendue de tous. Elle est évidente. Mais la défaite aurait apporté des interrogations… Dimanche, j’étais simplement soulagé qu’il ait bien couru, que tout se soit bien passé et qu’il ait gagné.
Avez-vous eu peur que le cheval lâché, Okkido, vous contrarie ?
Avant la course, je pensais qu’Okkido était notre plus grand rival. Je pense que c’est un futur cheval de Grand Steeple-Chase de Paris. C’est un très, très bon cheval, mais je savais qu’il ne saute pas toujours très bien. De ce fait, je ne voulais pas prendre sa roue. Lorsqu’il était lâché, j’ai toujours galopé à sa gauche car il est un peu droitier. Okkido ne m’a jamais gêné. Au contraire, il m’a aidé à avoir un leader pour garder mon cheval tonique et au travail.
Ce premier Gr1 marque-t-il une étape dans votre carrière ?
J’ai participé à pas mal d’arrivées dans des Grs1… Et cela commençait à m’énerver d’avoir pris part à plusieurs Grs1 sans jamais gagner ! Dimanche, c’était top !
Revenons à Juntos Ganamos. Il semblerait que cela soit un poulain qui sorte de l’ordinaire. Peut-être un cheval de Grand Steeple. Qu’en pensez-vous ?
Il faut toujours se méfier des chevaux qui gagnent ce genre de courses à 4ans. Ce ne sont pas des tardifs. Ils sont bien mécanisés et peuvent courir tout de suite au printemps de leurs 4ans. À l’automne, il y aura de nouveaux venus sur le steeple et le pool des 4ans sera plus important. Nous y verrons donc un peu plus clair. Mais, pour le moment, Juntos Ganamos ne peut battre que ce qu’il affronte… Et à chaque fois, il l’a très bien fait ! C’est certainement un cheval très excitant. Il doit être l’un des meilleurs que j’ai montés pour ce qui est des sensations. J’espère qu’il va encore prendre de la force. Il a été de plus en plus beau au printemps. Il peut encore progresser cet automne. Auparavant, il était un peu énervé. Souvent, nous allions devant dans les préparatoires car personne ne voulait mener. De plus, il a de l’action et nous ne voulions pas invoquer d’excuse au cas où il serait battu, par un faux train par exemple. Ensuite, nous avons monté des parcours plus « off » afin qu’il apprenne correctement son métier. Désormais, il est facile, gérable, mais tout cela provient des bonnes leçons reçues précédemment.
Avez-vous eu des craintes de ne pas pouvoir monter le week-end du Grand Steeple après plusieurs chutes ?
J’aurais peut-être dû me préserver un peu plus. J’ai subi une ou deux chutes. Pendant le week-end du Grand Steeple, j’avais douze montes et la douzième, c’était Juntos Ganamos. Je voulais être en forme. Mais c’est difficile de répondre par la négative à des personnes qui me font vivre en me faisant monter toute l’année.
Depuis quelques saisons, vous collaborez avec un large panel d’entraîneurs. Cela a-t-il modifié votre façon de monter ?
Cela n’a pas particulièrement modifié ma façon de monter. J’ai toujours pu me mettre en selle pour tous les entraîneurs et je connais le métier de free-lance. Ce qui est vrai, c’est que, plus on monte pour des entraîneurs différents, plus on voit que les chevaux sont formés d’une manière diamétralement opposée d’un professionnel à l’autre. Être jockey free-lance, c’est une question de connaissance des méthodes des entraîneurs afin de s’adapter à leur manière de faire…
Ce week-end à Auteuil, vous avez gagné pour Emmanuel Clayeux, qui vous a lancé en France, grâce à Jusquicitouvabien (Pastorius), lauréat du Prix Djarvis. Sans doute une victoire un peu particulière ?
Oui ! Lorsque je suis arrivé d’Angleterre en France, j’avais déjà gagné 250 courses. Mais une fois ici, les personnes se moquaient bien de cela. Elles ne me connaissaient pas du tout. Il a fallu que je fasse mes preuves en France. Monsieur Clayeux a été le premier à croire en moi et ses propriétaires ont beaucoup d’expérience de notre sport. Il a appuyé ma candidature avec beaucoup de conviction. Aujourd’hui c’est simple de proposer les services de Felix de Giles mais, à l’époque, ce n’était pas le cas. Emmanuel Clayeux m’a fait confiance et m’a « vendu » à ses propriétaires. Sans lui, je n’aurais jamais eu la carrière que j’ai en France maintenant.
Avec Emmanuel Clayeux, vous avez une passion commune pour le cross. Vous avez toujours pratiqué cette discipline, pourtant peu développée en Angleterre et très technique.
Dorénavant, il y a moins de jeunes jockeys qui sont spécialistes du cross, ce qui est un peu inquiétant. Mais chez les jockeys de cross, il y a une vraie base d’équitation, qui vient parfois du concours hippique, du concours complet, de la chasse. Une base très importante. Notamment pour les jeunes chevaux. Avec ces fondations acquises dans d’autres disciplines, nous pouvons vraiment aller loin. La base, ce n’est pas d’avoir une belle position pour poser sur les photos prises sur la rivière, c’est de former des chevaux, de monter en pensant à l’avenir du cheval. Le cross peut aider les jeunes jockeys et leur apporter une bonne « formation » pour aller plus loin, en haies comme en steeple.
Cette année, vous avez monté le Grand National en concluant septième avec Roi Mage (Poliglote). Cela a dû vous procurer beaucoup de plaisir, d’autant que vous avez longtemps donné l’impression de pouvoir finir sur le podium ?
Carrément ! Cela faisait plusieurs années que je n’avais pas monté sur le parcours du Grand National. J’ai trouvé que les obstacles étaient plus petits qu’auparavant afin de les rendre moins dangereux. Mais ce qui m’a fait vraiment plaisir, c’est le nombre de personnes qui ont regardé cette course. Je m’explique : j’avais des cousins en Bolivie et ils ont regardé l’épreuve dans un bar. C’est une course qui est visionnée par tout le monde. J’ai pris beaucoup de plaisir en voyant le nombre de Français qui ont regardé l’épreuve avec passion. Roi Mage est né en France et moi je monte en France : c’était touchant de voir autant de personnes suivre la course. Roi Mage a très, très bien sauté. Peut-être trop bien. Il a fait un peu trop d’efforts et après 6.000m, nous avons payé ces efforts. Mais, bien sûr, il vaut mieux cela que commettre des fautes. C’est dommage qu’il ait craqué un peu après le dernier obstacle. Mais il a réalisé une course exceptionnelle. Finir septième sur 40 partants, ça doit être l’une de ses meilleures performances.
Cette année, vous avez commencé l’année en fanfare et vous êtes actuellement en tête du classement de la Cravache d’or avec 40 succès. Vous êtes-vous fixé des objectifs pour le reste de l’année ?
Je souhaite juste continuer à travailler avec de bons professionnels et monter de bons chevaux. Tel est mon véritable objectif. Je ne veux pas forcer les choses et changer ma façon de monter afin d’aller chercher une « cravache ». Je veux monter mes chevaux pour eux, pour les entraîneurs, qu’ils aient de bonne leçon pour l’avenir. Si on cherche trop une cravache, on peut peut-être oublier le vrai but du cheval, qui n’est pas forcément de réaliser la meilleure performance de la journée. Il faut regarder un peu plus loin…
Nous connaissons le Felix de Giles jockey. Mais hors piste, quelles sont vos passions ?
Je suis intéressé par tout ! J’aime bien « sortir » des courses, faire autre chose. Je suis passionné par la musique. Je vais très souvent voir des groupes. J’aime un peu tous les styles de musique. Je profite de Paris car il y a souvent des musiciens que j’aime bien qui viennent jouer dans cette ville. Je joue un peu de batterie mais on va juste dire que je suis meilleur jockey que batteur (rires) ! J’aime beaucoup le sport également. C’est très important de rester actif. Ça peut vider la tête et entretenir le mental et je pense que c’est bien de pratiquer du sport, en dehors des chevaux. J’ai pratiqué la boxe. Mais je n’en fais plus trop, depuis la Covid. J’aimerais bien refaire des combats, mais ce n’est pas évident de trouver le temps pour le faire sérieusement. La boxe est un sport que j’adore. Elle m’a fait apprendre beaucoup de choses, mentalement comme physiquement, comme se gérer, gérer la pression. Par le passé également, j’avais des ruches, lorsque j’étais dans l’Allier. Mais dorénavant, le roi du miel, c’est Benjamin Gelhay. Il possède beaucoup de ruches et je prends régulièrement des nouvelles de celles-ci. Peut-être que j’en reprendrai dans le futur.
Comment tout a-t-il commencé pour Felix ?
Avant qu’il ne monte l’un de ses premiers Grand Steeple avec Docteur de Ballon (Doctor Dino), qu’il a aidé à façonner, Felix de Giles nous avait raconté comment s’était passée son arrivée en France : « Je suis venu en 2014, juste pour l’été, avec l’idée de découvrir d’autres manières de travailler. Je suis arrivé chez Yannick Fouin à Maisons-Laffitte pour quelques semaines. Il m’a fait monter plusieurs fois. C’était très bien de travailler avec lui. Ensuite, je suis parti chez Emmanuel Clayeux. Nous avons immédiatement noué une bonne relation. C’est quelqu’un avec qui j’adore travailler. Il est très professionnel, il comprend ses chevaux et m’a toujours soutenu. Si je n’étais pas tombé sur un entraîneur comme lui, avec une aussi bonne entente entre nous deux, j’imagine que je ne serais pas resté en France très longtemps. Il m’a donné beaucoup d’occasions d’apprendre et m’a aidé à m’adapter au style français. » Et si on remonte le fil de l’histoire, la passion du jeune Felix pour les chevaux et les courses vient d’assez loin, comme il nous l’avait expliqué : « Mon père était entraîneur, avec dix ou 15 chevaux. Il adorait les point-to-points. J’ai un oncle qui est également entraîneur en plat. Lorsque j’étais jeune, j’ai beaucoup pratiqué la chasse, le concours hippique et les point-to-points. Je n’étais pas très sûr de ce que je voulais faire et après avoir monté en amateur pendant deux ans tout en étudiant, je me suis lancé à 18 ans en tant que jockey. Ç’a commencé à bien marcher pour moi en Angleterre. J’étais alors au service de Nicky Henderson [il a aussi travaillé pour Charlie Longsdon, Tom George et Martin Keighley, entre autres, ndlr]. Chez lui, j’ai beaucoup appris en étant au contact de jockeys comme Mick Fitzgerald et Barry Geraghty. J’ai aussi appréhendé les différentes faces du « relationnel » que l’on retrouve partout dans le monde… »