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vendredi 22 novembre 2024

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Des mines du Yorkshire aux haras de Newmarket

LE MAGAZINE

Des mines du Yorkshire aux haras de Newmarket

« Il y a de quoi écrire un roman sur ma vie. D’ailleurs, on m’a approché pour cela mais j’ai refusé, certaines choses ne pouvant être racontées », nous apprend Steve Parkin en riant. L’homme a quitté l’école à 16 ans, embauchant dans les mines de charbon de son West Yorkshire natal. En 2022, il a vendu son entreprise, Clipper Logistics – également le nom de son entité de courses –, pour plus d’un milliard de dollars. C’est l’histoire d’une success story incroyable, jusque dans les courses.

Par Anne-Louise Échevin

ale@jourdegalop.com

Propriétaire, éleveur… Et, en 2023, Steve Parkin franchit encore une étape. Il accueillera ses premiers étalons sur sa nouvelle base britannique, Dullingham Park Stud, à Newmarket. Le premier étalon annoncé dans la structure a été Shaquille (Charm Spirit), lauréat de la Commonwealth Cup et de la July Cup (Grs1) cette année. Il a ensuite été suivi par Soldier’s Call (Showcasing), lequel faisait la monte en Irlande à Ballyhane Stud où Steve Parkin avait jusque-là ses étalons – et il en conservera en Irlande. Il est cinquième au classement des first crop sires en Europe et en Grande-Bretagne/Irlande.

L’étalonnage n’est donc pas une nouveauté en soi pour l’homme qui se trouve derrière Clipper Logistics, et Dullingham Park est une nouvelle étape supplémentaire. On lui fait remarquer que le défi reste conséquent : lancer son haras d’étalon à Newmarket, entouré de voisins comme Darley ou Juddmonte, n’est pas chose aisée. Pour lui, c’est avant tout une suite logique : « J’ai eu des chevaux en tant que propriétaire. Puis j’ai commencé comme éleveur, j’ai un haras dans le Yorkshire où sont mes poulinières, et des étalons en Irlande. Je suis, quelque part, un principe que j’ai appliqué dans mon business : celui du cercle. Acquérir au fur et à mesure ce dont vous avez besoin pour vous développer et ainsi contrôler l’ensemble de la chaîne. J’ai des étalons en Irlande et je me suis demandé où je pourrais les installer chez moi. Et j’ai songé à Newmarket parce que j’ai pensé à Juddmonte. Pour moi, Juddmonte est l’exemple à suivre. J’ai donc décidé de créer ma base d’étalons là-bas, avec dans l’idée la coopération avec les éleveurs, ce qui est essentiel. Les courses sont devenues plus qu’un business. C’est un mode de vie désormais et c’est pour cela que j’ai acheté Dullingham. Nous avons effectué des travaux et le lieu est absolument magnifique. La cour des étalons dispose de six boxes et l’idée, à terme, est qu’ils soient tous remplis. Lancer Dullingham semblait correspondre à mes plans pour les vingt prochaines années, dans la continuité de mon évolution dans les courses durant les vingt dernières années. » Steve Parkin a 62 ans… et un plan pour les vingt prochaines années. Quid d’une paisible retraite ? « Jamais (rires) ! », répond-il.

Avoir des étalons de profils différents

Shaquille était un champion sprinter, Soldier’s Call un vrai 2ans précoce. Dullingham Park débute avec la vitesse et la précocité mais il ne faut pas y voir un mantra pour la suite. « Déjà, j’aime beaucoup la vitesse. C’est quelque chose d’essentiel. Mon idée globale, avec Dullingham, est de proposer à terme des profils d’étalons variés. Nous allons rechercher des milers, etc. Nous allons commencer par ces deux sires et nous sommes aux aguets pour, dans le futur, trouver des profils qui nous intéressent. Il y a deux options pour cela : soit il conviendra de les acheter, soit il faudra que je les élève ! Quand vous êtes un homme d’affaires, il faut suivre des principes mais on comprend vite que beaucoup d’entre eux passent à la trappe lorsque l’on parle élevage. On peut tout de même suivre le principe du cercle. De propriétaire, je suis devenu éleveur. J’ai environ désormais 100 poulinières, entre mon haras du Yorkshire et l’Irlande. J’ai dépensé des sommes d’argent importantes dans des saillies d’étalons et je vais pouvoir soutenir mes étalons et collaborer avec les éleveurs britanniques… »

Les hauts sont très hauts, mais que dire des bas…

Steve Parkin continue de suivre le cercle. Pourtant, il a pensé tout arrêter. Jean Rochefort a dit, dans une interview sur son élevage de chevaux de sport, que « vivre avec les chevaux, c’est vivre avec la vie mais c’est aussi vivre avec la mort. » L’éleveur Parkin l’a découvert avec dureté : « Ah, la disparition de ma jument de cÅ“ur, Agnes Stewart… Ce fut un moment terrible. Elle était devenue une icône de mon haras dans le Yorkshire. Déjà, elle est nommée en l’honneur de l’école où j’allais faire du football, à Leeds. Ensuite, nous avions une relation à part. Quand elle était au pré et que je l’appelais, elle me répondait. C’était une dame ! Si j’allais voir une autre jument dans l’écurie avant elle, elle voulait me mordre. Agnes Stewart a été une excellente 2ans, puis des pépins de santé l’ont empêchée de poursuivre sa carrière. Un jour, elle était au pré et je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas. J’ai appelé le responsable du haras en lui disant qu’elle faisait des coliques. Elle est partie chez le vétérinaire, puis elle est revenue au haras, mais cela n’allait toujours pas. Nous n’avons pas pu la sauver. Cela a été un coup de massue. La perte d’Agnes Stewart était, pour moi, comme celle d’un enfant. Je ne pouvais plus me rendre aux écuries, je ne pouvais plus suivre les courses. Cela a été très dur. On remet tout en cause : pourquoi investir autant d’argent pour, finalement, autant de tristesse ? »

Mais Agnes Stewart, gagnante des May Hill Stakes (Gr2) et deuxième du Fillies’ Mile (Gr1), a laissé un dernier cadeau avant de partir : une pouliche nommée Fallen Angel (Too Darn Hot) qui, cette année, a remporté les Moyglare Stud Stakes (Gr1). « La victoire de Fallen Angel dans les Moyglare a forcément été quelque chose de très fort, émotionnellement parlant. C’était incroyable et les courses sont cela. De l’émotion. Les hauts sont très hauts, les bas sont très bas et il n’y a pas d’entre-deux. Où peut-on vivre cela ? Quand vous êtes éleveurs, vous êtes là à la naissance des poulains. Vous les voyez se mettre sur leurs jambes quelques minutes après la naissance. Vous les amenez pour la première fois au paddock, où ils commencent à galoper partout. Au moment où je vous parle, je regarde les weanlings dans les prés. Ce sont des moments incroyables. »

Plus fort que le foot

Steve Parkin a, à deux reprises, été annoncé comme possible acheteur de l’équipe de football de Leeds, son club de cœur. Pourtant, à chaque fois, la raison l’a emporté sur le cœur : trop gros, trop de risques. « On m’a proposé à deux reprises d’acheter Leeds United. J’ai refusé. Investir des millions dans un club de football, en difficulté financière, était encore autre chose. J’ai écouté mes conseillers… Ce que je ne fais pas toujours, très honnêtement ! Quand je me suis lancé dans l’élevage, beaucoup m’ont dit que cela n’était pas une bonne idée. Mais j’ai mis en place une stratégie. Quelque part, j’ai considéré que c’était comme dans le monde de l’art : vous achetez un tableau un certain prix, dans l’espoir de le revendre beaucoup plus cher dix ans plus tard. Encore faut-il trouver un acheteur capable de mettre des millions sur la table ensuite et ce n’est pas si simple que cela. Avec l’élevage, c’est un peu différent, mais disons que si j’achète une jument, elle va me donner des poulains, qui pourront potentiellement être vendus ou être valorisés en course. C’est un pari sur l’avenir. »

Un self-made-man

L’histoire de Steve Parkin n’est pas banale, à l’image de l’homme d’ailleurs. Venu d’un milieu modeste, c’est pourtant un fervent adepte du capitalisme, un admirateur de Margaret Tatcher et un soutien du parti conservateur. Parti de rien, il est devenu milliardaire : « J’ai arrêté l’école à 16 ans et j’ai commencé à travailler dans les mines de charbon. C’était le chemin à suivre à l’époque dans ma région, du côté de Leeds, d’autant que j’ai vite compris que je ne pourrais pas devenir footballeur ! Mais, après 18 mois, j’ai décidé que ce n’était pas pour moi. J’ai fait quelques autres boulots puis j’ai passé mon permis véhicule lourd. J’ai alors livré du poisson dans le nord de l’Angleterre, développé mon business [Clipper Seafood, ndlr]. J’ai eu des ennuis, j’ai fait faillite, il ne me restait plus rien. » Clipper Seafood n’était plus… Mais l’homme a rebondi : « Ma sÅ“ur a signé un emprunt pour acheter un camion. Je suis reparti et, en 1992, j’ai lancé Clipper Logistics. Trente ans plus tard, j’ai vendu l’entreprise pour plus d’un milliard. » L’entreprise est devenue l’une des plus grandes de Grande-Bretagne dans le domaine du retail, profitant de l’impulsion donnée par le développement d’Internet et de la vente en ligne. « Ce fut une belle aventure, ponctuée de mauvais moments. J’ai eu de la réussite, cela m’a donné le goût du business, et donc mon envie de me lancer dans les courses. J’en suis d’autant plus ravi que mes enfants sont désormais passionnés, eux aussi, par le milieu et, ainsi, je vais pouvoir leur laisser quelque chose, transmettre. »

Le partage aux courses

On connaît les couleurs de Clipper Logistics. Mais Steve Parkin a aussi lancé Brontë Collection, une écurie de groupe. Une histoire de potes et de plaisir. « Nombre de mes amis ont eu envie de se lancer dans l’aventure des courses et j’ai donc lancé Brontë Collection. Cette écurie de groupe comprend quinze de mes amis, dont le joueur de cricket Jonny Bairstow. Je ne voulais pas créer une écurie de groupe comme les autres. Le principe est simple : je fournis les chevaux, soit en les achetant aux ventes, soit en provenance de mon haras. Les actionnaires, quant à eux, ne s’occupent que de payer ce qui touche aux frais d’entraînement. Et si le cheval est bon et que nous le vendons, je récupère ma mise de départ et tout le reste est partagé entre eux de façon équitable. Brontë est dans sa deuxième année et nous ne nous sommes jamais autant amusés ! Quelque part, le système est inspiré du modèle australien, qui est pour moi celui à suivre. » Brontë Collection a notamment brillé avec Indian Run (Sioux Nation), lauréat des Acomb Stakes (Gr3), ou Maria Branwell (James Garfield), gagnant à 2ans des National Stakes (L) pour sa deuxième sortie. Achetée 22.000 € yearling, elle a été vendue 180.000 Gns à la fin de son année de 2ans.

Éleveur et désormais propriétaire d’étalons, Steve Parkin veut continuer à réfléchir sur le monde des courses et ce qui pourrait, selon lui, être amélioré : « C’est un secteur économique formidable, un art de vivre et je vais continuer à investir. Il existe depuis une centaine d’années mais je crois que l’on peut continuer à réfléchir sur le sujet, sur la transparence notamment. Une problématique, selon moi, est qu’un éleveur investit, envoie une jument à un étalon et présente le produit en vente. Mais je crois que nous devons réfléchir à mieux les accompagner, ne pas les laisser tomber si cela ne se passe pas bien. Il faut que tout le monde puisse sortir “gagnant”. »

Et la France ?

Les couleurs de Clipper Logistics ont déjà connu le succès en France, avec notamment Soldier’s Call, gagnant de l’Arenberg (Gr3) et troisième, à 2ans, de l’Abbaye. Steve Parkin compte bien être présent dans notre pays tout prochainement : « Les grands-parents de mon épouse, Joanne, sont français, originaires de Pessac. Et mes enfants ont tous des noms français : Fabienne, Delphine, Henri et Séverine. Nous aimons beaucoup courir en France et j’ai discuté avec Joe Folley de l’idée d’avoir des 2ans à l’entraînement en France dès l’an prochain. C’est une forte probabilité. »

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