Bartabas

Par Dominique Léger

« Dans un entretien au journal Le Monde en février 2023, Bartabas déclarait : « Je me vois comme le gardien d’un feu. » Ce feu couve en permanence sous la braise et éclate à intervalles réguliers sous notre regard émerveillé. En voici le dernier flamboiement au théâtre Zingaro, il se nomme “Femmes persanes”, troisième volet, après “Cabaret Yiddish” et “Irish Travellers”, d’un triptyque nommé “Cabaret de l’exil”. Bartabas invite pour l’occasion des artistes iraniennes – musiciennes, chanteuses et danseuses – à se joindre à sa tribu centaure et à faire entendre, par la voix de poétesses célèbres ou anonymes, le chant d’une femme persane affranchie de ses attributs mystiques et revendiquant son droit à la passion amoureuse. Artistes en exil, résistantes et révoltées, elles revendiquent leur identité et convoquent la mémoire ancestrale, celle de l’antique civilisation scythe fondée sur le matriarcat. Les cavalières, juchées sur leurs montures, du haut de leurs cascades, ouvrent leurs bras au monde et brandissent le poing : « Me voici / Je suis moi / Je suis femme / Je suis monde / Et sur mes lèvres passe / Le chant de l’aube blanche ». La féerie débute dès l’entrée du spectateur dans la salle de théâtre en rond du fort d’Aubervilliers, découvrant la piste envahie d’une flaque d’eau qui ne laisse qu’une bande extérieure étroite aux sabots des chevaux lancés au galop dans les exercices de voltige féminine ; les autres comparses, hommes et bêtes (canards inclus) pataugent au centre, l’eau (colorée de rouge par l’histoire) prête ses mille reflets, ses mille éclats au spectacle. Le talent de création de Bartabas s’est toujours décliné sur une palette élargie d’émotions, du rire aux larmes, du grotesque au sublime. Dans ce dernier spectacle, pour aborder une situation à la fois actuelle, prégnante et grave, il privilégie la beauté formelle et le résultat est éblouissant, certainement l’un de ses plus accomplis, mariant le brio à la profondeur. Courez à la rencontre de ce chant du monde ! »