Spécial Japan Cup
Irésine, le rêve et le défi
Quand on vous parle de présence forte : le meilleur cheval du monde aux ratings : le meilleur cheval du monde aux ratings internationaux, Equinox (Kitasan Black), face à la meilleure pouliche de 3ans du monde aux mêmes ratings, Liberty Island (Duramente). Ajoutez Titleholder (Duramente), le meilleur cheval d’âge japonais l’an passé, Panthalassa (Lord Kanaloa), le gagnant de la Saudi Cup (Gr1), Vela Azul (Eishin Flash), le tenant du titre associé à Hollie Doyle, Do Deuce (Heart’s Cry), qui a battu Equinox dans le Derby (Gr1) en 2022, la classique Stars on Earth (Duramente), lauréate l’an passé des 1.000 Guinées et Oaks japonaises (Grs1). Et, pour « le reste du monde », Irésine. Un cheval acheté 6.000 € à Deauville, entraîné à Saint-Cyr-les-Vignes par un entraîneur issu d’une famille du trot, son coup de cœur aux ventes et coup de cœur de la fille de son copropriétaire, Bertrand Millière. Un cheval presque noir avec des grandes balzanes, « on n’aime pas trop cela normalement », souligne Jean-Pierre Gauvin. « Mais moi, il m’a tapé dans l’œil, comme dans celui des enfants de Bertrand, il se déplaçait très bien et, des quatre chevaux que nous avons achetés à Deauville cette année-là , il était finalement le moins le moins cher. » L’histoire est déjà belle et, dimanche, peut-être le sera-t-elle encore plus.
Une préparation et un voyage sous forme de défi
Jean-Pierre Gauvin et Marie Velon se sont prêtés au jeu de la conférence de presse. Ils portaient les blousons officiels de la Japan Cup 2023 qui, peut-être en clin d’Å“il, sont bleus. Allez les bleus, oui ! Mais la préparation d’Irésine n’a pas été un long fleuve tranquille, comme l’explique l’entraîneur : « Il a eu deux courses de préparation. Le Prix Foy, où il n’était pas à 100 %, puis le Conseil de Paris. Il a fait très chaud et, à la fin du mois d’août, il a eu un petit problème de myosite, ce qui lui arrive. L’épreuve est arrivée très vite après cela et, dans ces conditions, il a réalisé une course très correcte. Après, il a travaillé de façon très légère en vue du Prix du Conseil de Paris. Il a montré, lors de cette victoire, avoir beaucoup progressé. Lors du son départ pour le Japon, il était dans une condition parfaite. Le voyage a changé au dernier moment puisqu’Air France a annulé l’avion et, au lieu de partir de Paris avec une journée de repos à Chantilly, il a dû se rendre à Francfort. Cela implique donc un voyage de 10 h pour aller là -bas, cinq ou six heures d’attente sur place, puis 13 h d’avion pour le Japon et encore deux heures de transport pour aller sur l’hippodrome et la quarantaine. Bout à bout, cela fait 36 h. J’étais assez inquiet car, s’il voyage de mieux en mieux, ce n’est pas son point fort. La présence de Marcan [son compagnon de voyage, ndlr] était une condition sine qua non et il a été très calme, tout s’est bien passé. »
Une myosite lundi à Tokyo
Passé les aléas du transport, plutôt bien gérés, Irésine a tout de même fait peur à son entourage : « Les deux premiers jours, il a fait des travaux légers sur la piste de la quarantaine. Lundi matin, je suis arrivé pour l’entraînement et il a fait un travail encore léger mais il a de nouveau eu un problème de myosite, certainement dû au voyage et au stress du nouvel environnement. Le vétérinaire de la J.R.A. a été très réactif et nous avons pu traiter le problème le plus vite possible. Mais j’étais vraiment très inquiet lundi. Nous avons pris les choses en main, en adaptant le travail : par exemple, pour se rendre sur les pistes de l’hippodrome, il faut traverser un tunnel. Il n’en a pas l’habitude, cela l’a stressé et il le traverse donc en main. Dès le lendemain de cette myosite, il me paraissait normal et, aujourd’hui [lire jeudi matin, ndlr], je le trouve aussi bien que lorsqu’il est parti. Irésine a l’air très heureux d’être là , comme nous ! Je suis en selle sur Marcan le matin et c’est un vrai bonheur que de pouvoir monter sur cet hippodrome, c’est assez incroyable ! »
Un immense défi
Irésine est un cheval hors normes. Dimanche, dans la Japan Cup, il fera face à son plus grand défi et Jean-Pierre Gauvin est réaliste : ce sera dur, très dur. Mais le cheval n’est pas commun et il donnera le meilleur de lui-même, c’est certain : « Irésine a pour lui d’être polyvalent : il a gagné au niveau Gr1 sur 3.100m l’an dernier, dans le Royal-Oak, et 2.000m cette année dans le Prix Ganay. Peu de chevaux sont capables de cela. Les 2.400m sont, je crois, sa distance idéale. Le Ganay, en début d’année, était un test tout en sachant que nous n’avions pas d’autres opportunités en France dans les Grs1 à cette période. Côté terrain, il a gagné sur piste rapide comme en terrain lourd. Là encore, il s’adapte. Je le préfère tout de même en souple. C’est dans ces conditions qu’il est le meilleur, d’autant plus que ses adversaires peuvent moins s’y adapter. Nous n’aurons donc pas les conditions de terrain idéales dimanche, nous le savons. La piste va être le principal facteur contre lui. Le rythme des courses peut être une interrogation car, en France, il a l’habitude de courir dans des lots peu fournis en partants, qui vont moins vite. Il est attentiste, on ne le changera pas ! S’il prend de lui-même un bon départ et a vite une bonne place, on ne va pas l’en empêcher. Les paramètres ne sont pas idéaux, c’est vrai. »
Paramètres pas idéaux mais la décision de courir la Japan Cup est réfléchie et l’entourage d’Irésine parle de cette possibilité depuis de longs mois : « L’autre hypothèse était d’aller sur les Champion Stakes, où il aurait trouvé son terrain. Mais cela arrivait un peu vite, il avait besoin de plus de temps. Nous avons eu l’opportunité de vivre cette aventure au Japon. Déjà , une chose qui a pesé lourd est l’affabilité avec laquelle nous avons été contactés par la J.R.A., et notamment son représentant en France Soichiro Mastumae. Il nous a approchés dès l’an dernier pour courir la Japan Cup avec Irésine et nous avions décliné, il avait 5ans et nous souhaitions dans un premier temps lui faire gagner son Gr1. Venir courir la Japan Cup est aussi un test pour le cheval car il faisait pour la première fois un long voyage et nous voulions savoir s’il pouvait s’y adapter. Côté date, la Japan Cup tombe idéalement, à six semaines du Conseil de Paris. Il y a d’autres grandes courses plus tard à l’international mais Irésine a ses repères. L’hiver, il part au pré dans le Puy-de-Dôme, il a ses habitudes et, dans l’idée de le faire vieillir, nous respectons ses habitudes. C’est une fierté pour nous d’être là avec lui, de représenter la France. Nous sommes des compétiteurs, nous avons envie de gagner évidemment. Si Irésine se classe troisième derrière des chevaux merveilleux comme Equinox et Liberty Island, nous serions déjà très fiers. Nous sommes lucides, cela va être difficile, mais nous croyons en notre cheval. »
L’expérience japonaise de Marie Velon
L’histoire d’Irésine est profondément liée à celle de Marie Velon. Ensemble, le duo a écrit les plus belles pages de leur histoire. L’entente est parfaite et la jeune femme aura l’avantage d’avoir déjà découvert les courses japonaises lors du World all Star Jockeys, fin août à Sapporo. Elle aurait pu disputer ce challenge l’an passé déjà , mais nous avions fait l’impasse car cela tombait en même temps que le Grand Prix de Deauville (Gr2) où elle devait monter… Irésine, lequel avait finalement été forfait. Marie Velon analyse : « J’ai hâte de découvrir la piste de Tokyo et l’ambiance du grand jour. L’expérience à Sapporo a été exceptionnelle. Tokyo est une grande piste et la longue ligne droite devrait lui plaire. Il y a un point d’interrogation sur le rythme de la course mais d’un autre côté, s’il y a du rythme, cela lui donnera l’opportunité de revenir avec cette longue ligne droite. Avoir été à Sapporo m’enlève une grosse part de pression. Même si la piste de Tokyo va être différente, j’ai pu découvrir les courses japonaises, leur rythme, l’ambiance sur place. Cela me permet d’avoir quelques repères. Et si j’ai moins de pression, mon cheval en aura moins aussi ! Irésine représente beaucoup pour moi, évidemment. Comme jeune jockey et comme femme, c’est une chance immense de tomber sur un cheval comme lui. Et, avec Irésine, c’est tout un travail d’équipe. C’est un honneur que de lui être associé et un honneur tout aussi grand que de représenter la France dimanche. »
Pour Marie Velon, la « préparation » n’a pas été idéale. Le 3 novembre, elle nous a fait très peur lors d’une chute à Marseille-Vivaux : « La chute a été impressionnante mais je m’en sors bien. J’ai pris dix jours pour me reposer puis j’ai pu me remettre en selle et en condition en France. Désormais, c’est du passé. » Le futur, c’est dimanche, et Tokyo sera le centre du monde hippique pour ce qui devrait être l’une des plus belles courses de l’année. Des millions de spectateurs dans le monde entier devraient suivre la Japan Cup et, sur place à Tokyo, probablement plus de 100.000 personnes.
Le rêve éveillé de Bertrand Millière
C’est un Bertrand Millière émerveillé que nous avons croisé jeudi sur l’hippodrome de Tokyo. Il a du mal à croire ce qu’il est en train de vivre et on le comprend ! Avec Irésine, il vit le plus beau des rêves que peut connaître un propriétaire. Un cheval bon et généreux, attachant et qui peut emmener leurs rêves jusqu’à l’autre bout du monde. Alors que Jean-Pierre Gauvin et Marie Velon étaient mitraillés par les photographes, il nous a dit : « Regardez ce qu’il se passe ! Quand je vois tous ces gens qui sont présents aujourd’hui, pour un seul cheval, c’est tout simplement incroyable. Je trouve que c’est assez inimaginable de voir tous ces journalistes du monde entier ici, aujourd’hui, pour Irésine. Nous sommes venus ici pour vivre quelque chose comme cela. Hier, nous nous baladions dans Tokyo, ce qui est déjà une grande expérience en soi mais on ne réalise pas vraiment que cela est possible grâce à notre cheval. Et, aujourd’hui, nous sommes venus à l’hippodrome, nous avons découvert ces tribunes immenses, ce lieu formidable, et tout devient réel. Nous ne pouvions pas l’imaginer. Comme l’a dit Jean-Pierre, Irésine aura surtout le terrain contre lui mais nous ne venons pas pour faire de la figuration. Il vient ici pour défendre ses chances face aux meilleurs. »
Un numéro de corde parfait
« L’idéal serait un numéro entre le 7 et le 10, pas trop en dehors ni trop en dedans. » Le souhait de Jean-Pierre Gauvin a été exaucé et Irésine s’élancera de la stalle 7. Equinox a hérité du 2 dans les stalles et le duel avec Liberty Island sera peut-être dès le départ puisque la gagnante de la Triple tiara a hérité de l’as. Titleholder, qui sort des stalles très vite et aime mener dans son action, est idéalement placé avec le 3. Va-t-il mener bien longtemps ? Pas certain puisque Panthalassa est au départ et, avec le 8, il devrait probablement faire un effort en partant pour prendre les commandes, lui qui aime mener à un train d’enfer. Outre Marie Velon, deux autres femmes sont en selle dans la Japan Cup : Hollie Doyle qui monte le tenant du titre Vela Azul (9 dans les stalles) et Nanako Fujita en selle sur l’outsider Win Erlog (Gold Ship), bien mal lotie avec le 18 sur 18.