Gérard de Chevigny : « Le Club a toujours su s’ouvrir et innover »
Gentleman-rider de talent, et plume reconnue, Gérard de Chevigny était la personne toute désignée pour l’écriture du livre sur le centenaire du Club dont il est actuellement le président d’honneur…
Jour de Galop. – À la lecture de votre livre, Le Club, un siècle de passion, on prend conscience de l’importance de l’amateurisme dans l’Institution…
Gérard de Chevigny. – Il suffit de voir tous ces gentlemen-riders et cavalières qui ont porté la casaque ne serait-ce qu’une fois pour se rendre compte de l’apport humain de l’amateurisme. J’évoque beaucoup le sujet : toutes les sociétés ont eu, avant la création de France Galop, des gentlemen comme présidents ou comme administrateurs. Cela a un peu changé depuis, même si bien sûr au sein du Comité, sont présents nombre d’anciens amateurs. Par exemple, lors des élections de 2019, j’avais effectué un comptage : dans les trois collèges socioprofessionnels, 30 % des personnes présentes sur les listes venaient de l’amateurisme. C’est énorme, et reflète combien l’amateurisme a vraiment nourri l’investissement de certains dans l’Institution.
C’est assez paradoxal, mais on constate aussi grâce à votre livre que le club a su tirer profit de la création du PMU…
La création du PMU, dans les années trente, a radicalement transformé les courses. Cela a boosté essentiellement la professionnalisation, mais aussi l’amateurisme. Entre les deux guerres, le club a connu un véritable âge d’or. La France comptait à l’époque 400 hippodromes et il était très rare de ne pas trouver dans une réunion, même sur tout petit champ de courses, une épreuve réservée aux amateurs.
On a tendance à l’oublier, mais tant la féminisation des courses que l’internationalisation des courses doivent beaucoup à l’amateurisme !
La féminisation des courses doit absolument tout à l’amateurisme. Cette grande victoire du club a été obtenue au début des années soixante. Je consacre un grand chapitre à ce tournant de l’histoire de notre sport, rappelant le contexte dans lequel nous étions et les tentatives qui jusque-là n’avaient pu aboutir. Et cela a mis du temps pour que les femmes deviennent professionnelles par la suite. La création de la Fegentri est aussi une étape importante dans l’histoire du Club et dans l’histoire des courses en France. Quand elle a vu le jour en 1955, il s’agissait de la première institution internationale dans les courses françaises, bien avant la Fédération internationale des autorités hippiques.
Vous évoquez aussi les destins hors normes de certains amateurs. Si vous deviez en détacher une personnalité ?
Il s’agirait sans doute du marquis de Portago. Il était issu de la haute aristocratie espagnole et était le frère de la marquise de Moratalla. Il adorait la course automobile et le bobsleigh, dont il fut le capitaine de l’équipe olympique d’Espagne 1956. Membre du Club depuis 1946, il s’est aussi rapidement fait un nom comme gentleman-rider de haut niveau sur les parcours les plus divers. Il a obtenu beaucoup de victoires en plat et en obstacle, s’imposant même dans le Prix de France à Auteuil ou dans le Grand Steeple-Chase de Pau. Il a même monté deux fois dans le Grand National de Liverpool. Mais il voulait vraiment devenir “un nouveau Fangio”, et c’est comme pilote pour la Scuderia Ferrari qu’il a décidé de poursuivre sa carrière. Après avoir gagné le Tour de France Automobile en 1956, il s’est tué l’année suivante, lors d’une compétition à Brescia, au volant de sa Ferrari, à seulement 28 ans.
Quelles ont été vos sources pour écrire ce livre ?
J’ai articulé ce livre avec des thèmes bien précis, qui se sont imposés au fil des années. Il y a bien sûr une partie importante sur la création du club, mais d’autres sont venus s’ajouter, des chapitres auxquels les fondateurs n’auraient jamais pensé, comme les courses de cavalières ou la Fegentri. Je me suis beaucoup appuyé sur les rapports moraux des Comités et des conseils d’administration du club, mais aussi les grandes courses, les grandes vedettes de l’époque, en mettant en relief certains profils hauts en couleurs. Je me suis aussi appuyé sur ma mémoire et bien sûr sur celle de ma famille, présente depuis trois générations au club. Je me suis aussi servi de ce que j’avais pu écrire quand j’étais journaliste que ce soit à Courses & élevage, Paris Turf ou dans d’autres publications. Il aurait presque fallu écrire un livre par année tellement l’histoire du club est riche de destins extraordinaires !
Comment s’est créé le club ?
Il s’est créé en 1922. Durant la guerre, il y avait eu de gros dégâts dans les rangs des amateurs, lesquels étaient presque essentiellement des militaires. Dans les années qui ont suivi, la tendance dans les courses était alors à la professionnalisation. Une vingtaine de personnes, presque toutes des militaires, se sont dit qu’il fallait agir pour conserver les courses d’amateurs en France. À l’époque, quand on était officier de cavalerie, on montait en course pour prouver sa bravoure et chercher à obtenir un peu d’avancement. Si bien que tous ces gens-là ont bien senti ou pressenti que tout cela serait menacé par cet après-guerre où tout a changé. Environ quatre-vingt-dix ans auparavant, des gentlemen avaient créé la société d’encouragement pour garantir l’avenir du pur-sang. Cette résonance est assez drôle quand on voit que le club, lui, a été créé pour garantir l’avenir d’une race de bipèdes d’amateurs éclairés !
En quoi le club a-t-il changé en 100 ans ?
Beaucoup de facteurs positifs ont disparu, mais autant sont apparus. La fin de la cavalerie, des haras nationaux, des sociétés filles [Sport de France et Sportive d’Encouragement, les plus enclines à programmer des courses d’amateurs sur leurs hippodromes, ont été intégrées à France Galop à sa création, ndlr], la fermeture du Tremblay et d’autres hippodromes, tout cela aurait pu signer l’arrêt du club. Tout ça, je le raconte dans le livre.
Sans oublier les crises économiques qui se sont succédé, le fait que le club ait manqué d’argent, de moyens… Mais heureusement, il a toujours su s’adapter, s’ouvrir et innover. Les courses de cavalières, l’internationalisation des courses, la facilité de se déplacer, la venue de sponsors… Un club centenaire est extrêmement rare. Ce qui est amusant, c’est que des personnes, en 1922, ont conclu un acte fondateur qui se termine par la phrase suivante : « Le club est indispensable à l’Institution. » Cela est resté absolument vrai, malgré un contexte qui a totalement changé.
Paul-Henri de Quatrebarbes : « Il est important de transmettre notre histoire »
Paul-Henri de Quatrebarbes a succédé en 2022 à Gérard de Chevigny à la tête du Club des gentlemen et cavalières.
Jour de Galop. – Pourquoi avoir décidé de publier un libre à l’occasion du centenaire du Club ?
Paul-Henri de Quatrebarbes. – Il est assez amusant de constater que c’est la nouvelle génération qui a fait vivre les animations autour du centenaire. Gérard de Chevigny ayant quitté la présidence il y a trois ans, ce sont Patrice Détré, Jean-Philippe Boisgointier et moi-même, tous quadragénaires, qui avons repris les rênes du Club, sans oublier notre jeune secrétaire, Victoria Mion. Au-delà de la symbolique, il était important de revenir sur l’histoire de notre club, une histoire aussi longue qu’extraordinaire. Gérard de Chevigny a travaillé sur la colonne vertébrale de ce livre, avec ses talents d’historien des courses et d’écrivain. Nous avons tous en tête les grands noms de l’amateurisme ; mais plus les années passeront, plus on aura tendance à oublier leurs histoires. C’est pourquoi il était important de les coucher sur papier. Nous échangeons souvent avec des membres de l’Institution des courses, mais parfois ils ne savent pas qui nous sommes. Pour eux, ce livre sera également important car il leur permettra de comprendre d’où vient l’amateurisme et qui nous sommes.
Ce livre s’adresse aussi bien à vos plus anciens membres qu’à la nouvelle génération. En quoi est-ce important pour vous ?
Avec ce livre, nous rappelons la contribution fondamentale du Club à l’évolution de notre sport, mais il nous permet aussi de parler de l’avenir et de nous adresser aux nouvelles générations. Il met en avant l’un des fondamentaux du club : sa capacité à toujours avoir su créer et innover. Nous avons eu différents modèles dans notre histoire, et ce jusqu’aux récentes courses des Grandes écoles. Le Club a toujours su faire parler de lui via la pure dimension sportive et la passion. C’est une force énorme qu’il est important de transmettre aux futures générations.
Concernant l’avenir justement, comment comptez-vous faire évoluer le Club des gentlemen et cavalières dans les prochaines années ?
L’avenir du club s’inscrit dans la continuité de cette capacité à innover, d’aller chercher de nouvelles personnes pour les courses. Il y a deux dimensions sur lesquelles nous œuvrons. D’abord la dimension “courses”. Avec Patrice Détré et Jean-Philippe Boisgontier, les deux vice-présidents du Club, nous avons beaucoup travaillé à mettre à jour un programme. Le nombre de partants dans nos courses est d’ailleurs en hausse, comme les enjeux. Puis la dimension “Club”. Aujourd’hui, un peu plus d’un millier de personnes se revendiquent du club. Quand vous avez des étudiants de Polytechnique ou de H.E.C. qui vont aux courses un jour et qui passent une licence d’amateur, ce sont autant de gens qui demain apporteront un peu de matière grise à l’Institution et seront capables, pourquoi pas, de se mettre au service des courses. La contribution du Club doit encore évoluer dans sa capacité à amener des acteurs forts des courses de demain. Nous y travaillons à travers différents projets. C’est ce que nous avons fait avec les courses des Grandes Écoles, où nous sommes allés chercher des gens qui avaient une bonne pratique de l’équitation mais ne connaissaient rien aux courses et qui demain, peut-être, seront de nouveaux propriétaires.