Cédric Boutin : « Notre sport a bien intégré la notion de bien-être équin mais préoccupons-nous aussi du bien-être humain »
Cédric Boutin est tête de liste de l’AEP (l’Association des entraîneurs-propriétaires). À quelques jours des élections au Comité de France Galop, il prend la parole et expose ses convictions.
Jour de Galop. – Vous présentez une liste dans le collège des entraîneurs. Quelle est la principale mesure que vous portez ?
Cédric Boutin. – Parmi les dossiers qu’il serait bien de voir aboutir, il y a évidemment la baisse de la T.V.A. sur notre activité mais également la mise en place d’une retraite complémentaire entraîneur financée par nos partants. Mais, plus que des mesures, ce sont des valeurs que je souhaite porter lors de cette campagne : l’équité, la solidarité et la bienveillance. Dans un contexte économique compliqué, la prochaine équipe dirigeante de France Galop devra œuvrer pour que le partage des ressources soit plus équitable. Nous le disions déjà il y a quatre ans et aujourd’hui plus que jamais, trop de professionnels sont financièrement exsangues, au bord de l’asphyxie et pourtant ils consacrent leur vie à ce métier. Chaque jour, grâce à leur travail et aux partants qu’ils fournissent, ils participent pleinement à la marche de notre activité.
À l’AEP, nous pensons que chaque entraîneur exerçant sérieusement son métier doit en vivre décemment. Or, nous sommes bien loin du compte. Si le président Édouard de Rothschild, sur la fin de son dernier mandat, a semblé en prendre conscience, il va falloir que son successeur se penche très sérieusement sur le problème et qu’il réussisse à nous apporter plus de confort. Les contraintes administratives et réglementaires, des revenus insuffisants, des risques financiers importants, des rythmes de travail pénibles, une Institution qui nous considère avec un certain dédain, une sous-représentation de la profession au sein des instances dirigeantes, des sanctions disciplinaires parfois vexatoires, etc. Il n’est pas toujours facile de s’épanouir dans un tel contexte plus propice au burn-out qu’à l’épanouissement de chacun. Notre sport a bien intégré la notion de bien-être équin mais préoccupons-nous aussi du bien-être humain. Notre modèle est insuffisamment vertueux à mon sens, il faut le faire évoluer et c’est en grande partie pourquoi, de nouveau, je m’investis politiquement dans l’Institution sous la bannière de l’AEP. Pour ces élections, Philippe Germond, qui fut directeur-général du PMU à l’époque où les résultats furent historiques pour la filière, nous a rejoints sur notre liste cousine de l’AEPI. Il a une expertise des jeux et une approche entrepreneuriale dont l’Institution ne doit surtout pas se passer. Nous avons besoin d’hommes de ce niveau à France Galop. Philippe partage notre analyse tant économique que sociale, je vous invite à vraiment considérer sa candidature. Voter pour lui et lui faire intégrer le Comité de France Galop, c’est comme recruter gratuitement Mbappé dans une équipe de foot !
Le métier d’entraîneur a beaucoup évolué ces dernières années. On constate que beaucoup d’entraîneurs rencontrent des difficultés et préfèrent jeter l’éponge. Que pouvez-vous nous dire de l’état réel de cette situation ?
Difficile d’avoir une idée très précise par manque de statistiques, d’autant plus que les chefs d’entreprise que nous sommes ne communiquons pas très facilement sur nos difficultés. Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’un entraîneur en 2020 ne vit pas dans la même aisance financière qu’un entraîneur des années 80-90. Peu se plaignent mais les entraîneurs n’échappent pas aux difficultés économiques, à la fatigue physique, au surmenage, à des souffrances psychologiques, parfois aux addictions… J’aimerais, sur ce sujet, que les associations d’entraîneurs épaulées par France Galop, l’Afasec et même nos plus grandes casaques via du mécénat, s’inspirent de Racing Welfare. Fort d’un site internet, d’une application pour smartphones et d’une hot-line, cette initiative anglaise se propose d’apporter un soutien psychologique mais aussi des aides financières, une assistance technique ou les conseils d’experts à tous les salariés des courses, aux jockeys, aux entraîneurs, aux éleveurs ou aux employés des sociétés de course. Voilà une initiative solidaire très intéressante dont nous devrions nous inspirer. Chacun devrait pouvoir bénéficier de bienveillance dans notre communauté, or, ce n’est pas le cas.
Dans un autre registre, je souhaite que nos rapports avec France Galop deviennent plus fluides ; actuellement, ils ne sont pas satisfaisants. Les équipes d’Henri Pouret sont très qualifiées mais elles n’ont pas reçu pour mission de nous assister. Or, nous avons besoin d’un “Monsieur Entraîneur”. Un interlocuteur dédié qui gommerait bien des irritants et faciliterait nos rapports au quotidien avec tous les départements et services de la maison-mère. Compréhension et collaboration doivent prévaloir entre France Galop et les entraîneurs. Comme toutes les autres composantes de notre activité, les femmes et hommes que nous sommes avons besoin d’un environnement favorable à notre épanouissement professionnel et personnel. Le Code des courses et le ministère de l’Intérieur nous imposent de plus en plus d’obligations et de contraintes parfois très anxiogènes, alors qu’a contrario, nous avons perdu en prérogatives et en considération. Il faut que notre corporation retrouve plus d’estime et de respect.
Exergue : “Le prochain président de France Galop ne sera pas un grand président s’il n’intègre pas à ses objectifs chiffrés une indispensable dimension humaine et sociale.”
Si la situation s’est dégradée pour les entraîneurs, à quoi est-ce dû ?
Beaucoup de choses se sont dégradées dès le début des années 2000. Une lente, sournoise et évidente détérioration économique. Ces vingt dernières années, la courbe des ressources des entraîneurs (gains de course, commissions sur ventes et pensions) n’a pas du tout suivi l’augmentation des charges de nos entreprises d’entraînement. Les 35 heures, l’inflation insuffisamment répercutée sur nos coûts, la perte d’une partie de nos clients les plus fragiles dont la couverture des frais de pension est insuffisante (les allocations n’en couvrent que 40 % environ), des marges sur nos prix de pensions qui se sont érodées, des entraîneurs amenés à prendre de plus en plus de risques financiers en s’associant avec leurs propriétaires pour ne pas voir leurs boxes se vider, l’ouverture à l’Europe qui a induit une concurrence étrangère coriace dans un contexte économique, social et fiscal en notre défaveur, la crise du Covid, l’autosatisfaction permanente de nos dirigeants malgré des décisions et des résultats souvent discutables, la liste n’est pas exhaustive… Tout cela a contribué à une lente dégradation de nos situations financières. Ce constat fait, c’est sur l’avenir qu’il faut se concentrer, et force est de constater qu’il n’y aura pas de retour vers une franche croissance de notre activité, d’amélioration de la situation de nos entreprises d’entraînement sans le concours d’une nouvelle équipe dirigeante de très haut niveau menée par un président conscient du bond en avant que France Galop doit faire rapidement. Édouard de Rothschild et Olivier Delloye ont cerné certains axes de travail, mais c’est en accéléré qu’il faut maintenant les traiter.
Qu’attendez-vous du prochain président de France Galop ?
Il devra être rassembleur, prendre en compte le fait que les courses sont une famille et que, dans une famille, le chef n’abandonne aucun des siens. Certains intérêts particuliers un peu trop choyés dans un récent passé devront peut-être montrer plus d’empathie envers la très grande majorité d’entre nous. La France des courses a besoin de solidarité ! Une solidarité dont le Conseil de l’obstacle (grands entraîneurs en tête) avait su faire preuve suite aux difficultés du Covid… tandis qu’une partie du Conseil du plat s’était montrée bien égoïste et décevante. Il faudra que le nouveau président nomme son Conseil d’administration en regard des résultats des élections, ce qui ne fût pas le cas il y a quatre ans. Respecter un verdict démocratique évitera bien des crispations. Cette phrase est lourde de sens selon moi. Le modèle français est bon, il repose sur l’indispensable utilité de tous ses acteurs et nous devons absolument le pérenniser par plus de solidarité à l’égard des plus vulnérables. Le prochain président de France Galop ne sera pas un grand président s’il n’intègre pas à ses objectifs chiffrés une indispensable dimension humaine et sociale.
On parle beaucoup de compétitivité. Que faudrait-il faire pour rendre l’entraînement français encore plus compétitif ?
Le manque de compétitivité de l’entraînement français se ressent surtout en plat car en obstacle, les étrangers sont (à ce jour) moins présents sur nos programmes.
Les chevaux français ont réalisé un bel été à Deauville et il faut saluer Ace Impact et son entourage pour leur éclatant sans-faute, mais il y a quand même une lame de fond : nous ne gagnons pas assez nos propres Groupes. La raison en est évidente : le nombre et la qualité des chevaux dépendants des entraînements anglais et irlandais ne sont pas comparables aux nôtres, tout comme les moyens financiers de leurs plus grandes casaques. La France n’est pas le centre des courses européennes, nul besoin de se voiler la face. Nos plus grands propriétaires ne peuvent pas soutenir les mêmes investissements et les belles casaques étrangères présentes chez nous envoient généralement leur deuxième choix. En revanche, les entraîneurs français n’ont pas moins de talent et de compétences que leurs homologues d’outre-Manche. Quand les astres s‘alignent, nous les battons. Que faire pour inverser la tendance ? Pas évident…
Au-delà du volet social et administratif, que préconisez pour aider “l’entraîneur français” ?
Selon moi, le gros point faible de l’”entraîneur français” réside dans son manque de réseaux à l’International, alors que c’est justement un point fort des Anglo-Irlandais. Moins de dix entraîneurs de plat en France peuvent se targuer d’avoir un “carnet d’adresses” solide. Parmi les “jeunes entraîneurs” connaissant une belle réussite, il faut citer Francis-Henri Graffard et Jérôme Reynier, qui tous deux ont suivi le Godolphin Flying-Start. Une des solutions pour retrouver une meilleure compétitivité face aux entraîneurs des îles Britanniques pourrait être la création d’un “French Flying-Start”, un cursus d’excellence ouvert à de jeunes français, futurs entraîneurs ou entraîneurs récemment installés ayant déjà montré talent et résultats mais un peu en panne de clientèle “haut-de-gamme”. Ce programme pourrait être financé par l’ensemble des forces constituant notre industrie, y compris nos grands propriétaires les plus bienveillants (mécénat). S’il y a lieu de comparer France et Angleterre/Irlande, il est intéressant de comparer Europe et Nouveau Monde. Et là , niveau et résultats sportifs mis à part, force est de constater que l’Europe est à la peine dans beaucoup de domaines. En termes d’allocations, d’engouement du public, de spectacle, d’investissements ou d’élevage. Impossible de rivaliser avec les courses millionnaires qui poussent comme des champignons en Australie et dans les pays du Golfe, ni avec les modèles organisationnels et économiques du Japon ou de Hongkong, ni avec la ferveur hippique de tous ces pays ou encore avec la capacité d’investissement des propriétaires et des éleveurs américains, ou même avec la qualité émergente de l’élevage japonais.
C’est peut-être moins vrai cette année, mais ces dernières saisons, nous avons assisté à une razzia des concurrents étrangers sur nos épreuves black types, voire même à l’échelon inférieur ? Quel est votre sentiment à ce sujet ? Doit-on laisser les choses en l’état ?
Je n’ai pas constaté de baisse de régime en 2023 en ce qui concerne la réussite des entraîneurs étrangers en France, bien au contraire. De la Listed au Gr1, la tendance ne s’est pas inversée, nous avons juste moins mal performé que l’an dernier. Cette concurrence au plus haut niveau est saine, elle permet aux meilleurs chevaux européens, voire mondiaux, de s’affronter et c’est bien normal dans une logique de sélection de nos futurs étalons et poulinières. En revanche, la présence des partants étrangers dans les courses françaises de plus faible niveau, dites alimentaires, n’est pas vertueuse pour notre écosystème. Je disais déjà cela lors de campagne électorale précédente sans susciter beaucoup d’émoi chez nos dirigeants.
D’ailleurs, un des candidats actuels à la présidence de France Galop s’était opposé à des propositions de bon sens, novatrices et protectionnistes, que j’avais portées au nom de l’AEP. Peut-être que ce candidat saura se repositionner sur le sujet, tout comme il serait bon que ses challengers nous donnent leur avis. Les Allemands sont redoutables dans toutes les catégories, leur réussite est encore plus flagrante en 2023. Les Espagnols, malgré des “excès de vitesse” parfois constatés et sanctionnés restent performants dans le Sud-Ouest, les Belges ont montré de grands progrès dans les plus petites épreuves cette année. En plat, les étrangers représentent certes 10 % des partants environ (pour une part plus importante des gains). Ces partants étrangers dont nos dirigeants pensent avoir tant besoin pour assurer depuis 20 ans la recette du PMU, ont, à petit feu, de par leur réussite, largement contribué à l’abandon ou à la baisse des investissements de nos petits et moyens propriétaires placés face à une concurrence ardue dans un contexte économique déjà fort compliqué. Pour moi, il ne fait aucun doute que les 10 % de partants étrangers (en plat) ont participé à l’agonie de beaucoup plus de 10 % du contingent des petits/moyens chevaux et propriétaires français.
C’est-à -dire ?
Je pense, en toute objectivité, que ces partants étrangers sont des partants non vertueux pour les courses françaises. Ils ont participé à la paupérisation des petits entraîneurs et éleveurs comme au désamour de nombreux propriétaires pour leur passion. Et cela, malheureusement, avec la bénédiction infanticide de la maison-mère et, il faut bien l’avouer, avec un désintérêt froid et égocentrique de l’élite de notre sport. Sur ce sujet, la famille des courses se doit de réagir. Respecter à la lettre les directives européennes, ne pas chercher à instiller des mesures protectionnistes, ne pas modifier certains règlements avec malice si besoin, que l’Institution se conforte sans cesse dans une posture inerte et justificatrice, tout cela n’est pas défendre les acteurs de notre écosystème, c’est au contraire participer à une épuration des plus faibles et c’est ce contre quoi l’AEP se bat depuis plus de dix,ans. Je dois reconnaître que nous n’avons pas obtenu gain de cause auprès de nos dirigeants sur cette question. Inlassablement, nous repartirons à la charge. Cette année, un nouveau président sortira des urnes et je ne pourrai que lui conseiller d’étudier très sérieusement la question. Je dois dire, en revanche, que tous les entraîneurs étrangers installés en France, de plus en plus nombreux, sont les bienvenus car ils participent totalement à l’essor de nos courses. Soumis aux règles sociales et fiscales françaises, au même contexte économique, à la même fréquence de contrôles antidoping, aux mêmes inspections sanitaires, aux surveillances d’effectifs, aux visites de l’Inspection du Travail (jusque sur les hippodromes), nos confrères sont complètement intégrés à notre système. Ils sont sans doute les meilleurs ambassadeurs du Racing Made in France ! Ils jouent avec les mêmes règles du jeu et sont incontestablement des acteurs essentiels d’une concurrence saine, équitable et profitable à toute notre communauté.