Ventes aux enchères publiques : quelles garanties pour les acheteurs ?
Par Blanche de Granvilliers, avocat à la cour, membre de l’Institut du droit équin
Les ventes aux enchères organisées par les agences spécialisées dans les chevaux de course font partie des moments forts de l’été et de l’automne. Ces rendez-vous sont l’occasion de faire le point sur les garanties juridiques et les recours dont dispose l’acheteur lors d’une vente aux enchères publiques.
Les chiffres démontrent que les déçus sont peu nombreux en raison des précautions prises à la fois par les agences, les vendeurs et les acheteurs. Néanmoins, connaître ses droits en tant qu’acheteur permet d’avoir les bons réflexes en agissant dans les délais légaux et de faire valoir ses droits tout en évitant un contentieux.
L’importance des conditions générales de vente
Les conditions générales rappellent qu’elles sont censées être connues par les parties (acheteur, vendeur, courtier) même si cette connaissance n’est pas effective : le vendeur, quand il signe le mandat de vente, reconnaît avoir pris connaissance des conditions générales, l’acheteur indique avoir accepté les conditions générales lorsqu’il signe le bordereau d’adjudication, directement ou par l’intermédiaire de son courtier. Ce sont ces conditions qui vont régir les garanties prévues par l’agence au bénéfice de l’acheteur. L’acheteur qui se plaint de son achat devra avant toute chose, immédiatement se référer aux conditions générales pour vérifier qu’il dispose bien d’un recours. Il est d’ailleurs conseillé, avant même de porter une enchère, de prendre connaissance de ces conditions générales, et ce même si on croit les connaître, dès lors qu’elles évoluent régulièrement.
Les conditions générales rappellent systématiquement l’application de la garantie des vices rédhibitoires du code rural. Ni l’agence ni le vendeur ne peuvent prévoir que l’acheteur n’en bénéficiera pas. Hélas, cette garantie des vices rédhibitoires prévue par les articles L 213-1 et R 213-1 et suivants du Code rural et de la Pêche maritime, offre une protection minimale à l’acheteur, du fait de ses conditions d’application particulièrement strictes et limitées.
Bien qu’elle soit qualifiée de « garantie de droit dans les ventes d’animaux domestiques », la garantie des vices rédhibitoires ne protège que faiblement l’acheteur : elle ne vise que certains défauts limitativement énumérés (au nombre de 7) et impose d’agir en justice dans des délais très courts (10 jours pour les 6 défauts et 30 jours pour l’uvéite isolée) à compter de la livraison.
Cette garantie est donc l’opposée de la garantie des vices cachés du Code civil (articles 1641 et suivants) qui permet à l’acheteur de se plaindre de tous les défauts antérieurs à la vente et ce pendant un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice. Dans les ventes amiables, l’acheteur peut démontrer que cette garantie des vices cachés lui a été implicitement accordée par le vendeur. Ce n’est pas le cas dans les ventes aux enchères puisque la garantie des vices cachés est le plus souvent exclue des conditions générales de ventes aux enchères, qu’il s’agisse d’ailleurs de ventes de chevaux de course ou de sport. Â
Des garanties supplémentaires prévues à certaines conditions
Outre la garantie des vices rédhibitoires, les conditions générales peuvent prévoir (mais pas systématiquement car elles n’ont aucune obligation d’accorder des garanties autres que celle du Code rural) des recours possibles pour certains défauts du cheval. S’agissant de ces garanties supplémentaires, l’acheteur devra veiller à se conformer strictement aux conditions générales qui prévoient également des délais d’action de courte durée qui excèdent rarement trente jours [1] et qui peuvent se limiter à quelques jours. Les conditions générales encadrent les recours issus de ces garanties en prévoyant les conditions (expertise par un vétérinaire tiers par exemple) permettant une éventuelle annulation de la vente.
Ces garanties conventionnelles présentent une grande utilité et sont une des raisons de la rareté des contentieux dans les ventes aux enchères publiques. [2]
En toute hypothèse, rien n’oblige le vendeur à se conformer aux avis des experts et il aura toujours le choix de refuser un accord amiable et d’obliger l’acheteur à saisir la juridiction.
L’incidence du dossier vétérinaire
Le cheval inscrit aux ventes n’est pas systématiquement vendu avec un dossier vétérinaire et ce dossier peut être plus ou moins complet selon le choix du vendeur (imagerie, endoscopie notamment). Cependant certaines agences imposent des normes strictes quant au contenu et la qualité du dossier vétérinaire fourni par le vendeur [3], une rigueur qui contribue à la bonne information de l’acheteur et donc à une diminution du contentieux.
Lorsqu’un dossier vétérinaire est fourni, l’acheteur doit impérativement mandater son vétérinaire pour en prendre connaissance avant de porter les enchères pour deux raisons : d’une part le dossier ne contient en principe que des images et pas de commentaire et seul un vétérinaire pourra interpréter le dossier ; d’autre part tout défaut mentionné dans le dossier vétérinaire sera présumé être connu de l’acheteur et qui dit défaut apparent, dit absence d’action contre le vendeur et ce quelle que soit la garantie en cause (garantie des vices rédhibitoires, garantie conventionnelle ou garantie des vices cachés du code civil). Â
Outre le dossier, certaines informations à propos de la santé du cheval (tic, cornage ou autre) peuvent être annoncées à la tribune et sont réputées connues des enchérisseurs qui ne pourront invoquer ce défaut pour faire annuler la vente. Les conditions générales prévoient généralement que l’acheteur peut ordonner un prélèvement sanguin le jour de l’adjudication pour vérifier que le cheval n’est pas sous l’emprise de substances prohibées.[4]
Qu’en pensent les juridictions ?
S’agissant des actions en justice basées sur les vices rédhibitoires, bien que ces délais du Code rural qui datent du XIXE siècle, soient devenus totalement anachroniques avec la lenteur actuelle de la justice, les Tribunaux n’ont aucun scrupule à déclarer irrecevable l’acheteur qui ne les aura pas respectés. (Cf Jugement TGI Nanterre du 6 avril 2012 ; CA Versailles 30 Octobre 2014 ; Jugement TGI de Paris du 15 novembre 2012 ; Cour de cassation du 15/11/2005 n° de pourvoi 03-10474 ; Cf. CA Caen 9 Novembre 2021 ; TGI de Saint Brieuc 18 mai 2015)
Les tribunaux ont tendance à interpréter restrictivement les garanties accordées aux acheteurs dans les ventes aux enchères publiques : ils refusent d’admettre l’application de la garantie des vices caché expressément exclue par les conditions générales et d’accorder des garanties autres que les garanties conventionnelles, limitativement énumérées.(Cf. CA Cean 9 novembre 2021 [5] ; Cf. TJ Lisieux 9 décembre 2022)
À l’inverse, la Cour de cassation a confirmé un arrêt qui avait appliqué la garantie des vices cachés en présence de conditions générales qui les avaient pourtant expressément exclues. (Cf. Cour cass. 1er juillet 2015.) Cependant dans cette affaire, le vendeur n’avait pas soulevé l’argument de la seule application de la garantie des vices rédhibitoires du Code rural, et les juges en avaient déduit qu’il avait accepté avoir accordé cette garantie des vices cachés. Â
Globalement on peut néanmoins en conclure que les juges ne vont pas au-delà des conditions générales quand elles n’accordent que la garantie du Code rural. Les garanties conventionnelles supposent de bien respecter les conditions générales pour ne pas risquer une irrecevabilité.
Quelle garantie autre que les « garanties » ?
Ce tableau qui semble peu protecteur pour l’acheteur doit être nuancé. Le vendeur ne bénéficie pas d’une totale impunité. L’acheteur peut reprocher à son vendeur de lui avoir dissimulé une information importante qui? si elle avait été connue? L’aurait-elle dissuadé d’acheter le cheval.[6] Si l’acheteur parvient à démontrer que le vendeur connaissait des informations importantes sur la santé du cheval, (cela passe nécessairement par une expertise judiciaire)? il pourra solliciter et éventuellement obtenir la nullité de la vente et des dommages et intérêts. On trouve quelques décisions ayant fait droit aux demandes des acheteurs : la Cour d’appel de Caen le 4 juin 2013 a donné raison à l’acheteur d’un cheval boiteux dès le lendemain de la vente, considérant que la lésion était ancienne et donc nécessairement connue du vendeur professionnel. La même Cour d’appel de Caen le 7 novembre 2013 a annulé une vente, où le dossier vétérinaire du cheval détenu par le vendeur comportait des lésions qui n’avaient pas été portées à la connaissance de l’acheteur.
Pour conclure sur le sujet, les parties ont toutes les deux intérêts à agir prudemment (en s’adressant à leurs conseils) dès les premiers temps du litige : l’acheteur pour respecter les délais, le vendeur pour ne pas maladroitement accorder à l’acheteur des garanties initialement non prévues. La pire des alternatives reste la procédure qui est longue, coûteuse et nécessairement aléatoire. Le vendeur dont le prix sera consigné si l’acheteur a agi assez rapidement, n’y trouvera pas non plus intérêt. Rappelons que durant le temps de la procédure, le cheval reste sous la responsabilité de l’acheteur qui devra en prendre soin et le soigner de manière raisonnable. Ce n’est que lorsque le premier jugement sera rendu et s’il gagne sa procédure que l’acheteur se verra rembourser du prix de vente et des frais de pensions et autres dommages et intérêts. À l’issue de la procédure, la valeur du cheval sera définitivement nulle. Il faut en moyenne entre 4 et 6 ans pour obtenir une décision par une Cour d’appel.
C’est notamment parce qu’elles sont conscientes de ces enjeux, que les agences s’investissent pour proposer des solutions acceptées par l’ensemble des parties, sur la base de rapport par un tiers vétérinaire. L’acheteur négociera cependant d’autant mieux qu’il aura agi sur le bon fondement et qu’aucune négligence ou déchéance de droit ne pourra lui être reprochée.
[1] Les ventes Fences offrent quant à elle, une garantie contractuelle à l’acheteur pour tout défaut survenant dans les 3 mois à compter de l’adjudication.
[2] Par exemple, les garanties conventionnelles prévues par l’Agence Arqana issues du droit anglo-saxon. La procédure prévue permet à l’acheteur de solliciter l’annulation de la vente en cas de « vices d’écurie », « bruits inspiratoires anormaux » et « ataxie » s’il n’a pas eu connaissance du défaut avant la vente.
[3] L’agence Arqana impose que les radios soient réalisées selon des protocoles précis
[4] Un article entier des conditions générales de l’Agence Arqana détaille la possibilité de l’analyse de dépistage (détection de stéroïdes anabolisants androgènes ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (A.I.N.S.) avec retour du cheval au vendeur si l’analyse est positive. Une procédure de restitution du lot à son vendeur, est également prévue en cas de positivité à la piroplasmose.Â
[5] Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté le 18 janvier 2023 par la Cour de cassation
[6] L’agence Arqana prévoit que l’acheteur peut demander une analyse de dépistage visant à la détection de certaines substances prohibées telles que les stéroïdes anabolisants androgènes ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (A.I.N.S.)  avec retour du cheval au vendeur si l’analyse est positive. Une procédure de restitution du lot à son vendeur, est également prévue en cas de positivité à la piroplasmose.Â
Ce qu’il faut retenir
Les contentieux sont plutôt rares compte tenu des précautions prises par les agences de vente, des protocole vétérinaires mis en place et des garanties qui sont inférieures à celles dont l’acheteur peut bénéficier dans une vente amiable.
Ce sont les conditions générales qui prévoient les garanties applicables. Les délais sont généralement des délais courts qui sont impératifs. Les défauts qui sont apparents au regard du dossier vétérinaire ne peuvent donner lieu à une action en nullité de la vente au profit de l’acheteur.
Les tribunaux ont tendance à interpréter restrictivement les garanties accordées aux acheteurs et refusent de les étendre au-delà de ce qui est prévu par les conditions générales. Toutefois si l’acheteur parvient à démontrer que le vendeur avait connaissance d’un ou plusieurs défauts du cheval et qu’il n’en a pas informé l’acheteur avant la vente aux enchères, ce dernier pourra faire annuler celle-ci.
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