Through Seven Seas et des centaines de rêves
Mercredi matin, la japonaise Through Seven Seas a effectué son dernier travail en vue du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1). Sur la piste ronde des Aigles, bien souple, la jument a déployé de longues et belles foulées pour finir. Hiroaki Akita, président de Carrot Farm, nous en a appris un peu plus sur cette grande aventure, suite à la conférence de presse organisée par France Galop. Through Seven Seas emmène avec elle les espoirs d’un pays… et les rêves de ses 400 porteurs de part.
Anne-Louise Échevin
ale@jourdegalop.com
Club japonais : mode d’emploi
Through Seven Seas (Dream Journey) porte les couleurs de Carrot Farm, l’un des nombreux “clubs” japonais. La casaque a déjà été vue dans l’Arc, portée par Harp Star (Deep Impact), cinquième en 2014 après avoir viré au large et en finissant à la vitesse du vent. Beaucoup de chevaux japonais courent sous les couleurs de clubs : Sunday Racing (Orfèvre, Gentildonna, Liberty Island, Chrono Genesis, Duramente et tant d’autres chevaux de Gr1), Silk Racing (Almond Eye ou Equinox), Carrot Farm (Efforia, Harp Star, Lys Gracieux…), Hiroo Race Co (Panthalassa)… Liste non exhaustive. Le ticket d’entrée varie. Par exemple, un Sunday Racing Club est plus “select”, avec un nombre de porteurs de part limités (souvent moins de 50). Pour Carrot Farm, il y a une centaine de tickets d’entrée par cheval : Through Seven Seas emmène ainsi avec elle les rêves de 400 personnes ayant déboursé, selon le site Netkeiba, moins de 300 euros pour une part. Quant à Panthalassa, qui a touché le jackpot cette année en remportant la Saudi Cup (Gr1), il compte 2.000 porteurs de part, lesquels avaient dû débourser 170 € environ pour entrer dans l’aventure.
La base de données Umanity indique que Carrot Farm est apparu en 1986, avec trente partants au total. En 2022, le club en comptait 837. Hiroaki Akita explique : « Un club est souvent lié à un haras. Dans le cas de Carrot Farm, nous sommes liés à Northern Farm. Le système permet à des personnes ne pouvant pas avoir leurs couleurs de goûter tout de même au bonheur du propriétariat, même si les investisseurs sont davantage des porteurs de part. En général, un club comme Carrot propose aux alentours de 300 parts. » Avoir ses couleurs au Japon est très compliqué, il faut justifier de moyens (vraiment) très importants. Les clubs permettent à “Monsieur Tout le Monde” d’investir, selon les moyens dont dispose tout un chacun.
Les prix en fonction des origines
« Le prix est fluctuant, selon le pedigree. Un cheval issu d’une grande famille aura une part forcément plus élevée. De façon générale, un poulain ou une pouliche issu d’une jument ayant gagné au moins trois courses intègre à son tour le même club. » Ainsi, le premier produit de la championne Almond Eye (Lord Kanaloa), par Epiphaneia, a été intégré au club Silk Racing, avec 500 parts disponibles au prix unitaire de 3.000 € environ. La part d’Almond Eye était, à l’époque, plutôt autour des 400 euros… Sauf cas exceptionnel comme une blessure entraînant une fin de carrière, les pouliches et juments affiliées à un club courent jusqu’à la fin de leur année de 5ans – elles peuvent aller jusqu’au mois de mars de leur 6ans maximum avant d’intégrer le haras. Pour les mâles et même les potentiels étalons, la règle est moins fixée mais ils tendent à avoir de longues carrières. Un club japonais “loue” une carrière de course. Through Seven Seas, lorsqu’elle cessera de se produire en compétition, retournera à Northern Farm pour sa carrière de poulinière… Et ses produits devraient donc porter les mêmes couleurs avec, peut-être quelques porteurs de part souhaitant poursuivre l’aventure !
Impliquer les porteurs de part
Il ne s’agit pas seulement, pour les clubs, de vendre des parts et de ne pas assurer un “service après-vente” auprès des investisseurs. « Évidemment, quand vous avez 300 porteurs de part, il n’est pas possible d’avoir tout ce petit monde dans le rond des vainqueurs lorsqu’un cheval s’impose. Nous essayons de nous organiser afin de servir au mieux les intérêts de tous, de partager au maximum les différentes invitations. Nous mettons en place tout un système de communication autour des chevaux : nous avons ainsi, en France, une personne dédiée qui s’occupe de suivre Through Seven Seas et d’envoyer des images et des nouvelles à tous ses porteurs de part. Le club ne finance pas leur déplacement. Certains pourraient venir mais j’ai cru comprendre qu’un certain nombre voulant effectuer le voyage a finalement annulé : le yen est très bas actuellement, c’est donc un investissement conséquent pour les Japonais. La décision de voyager en France avec Through Seven Seas a été discutée et validée au sein du club. L’Arc n’est pas une course à invitations et il faut donc financer le voyage. »
Des yearlings à perte de vue pour faire son choix
Les poulains et pouliches sont affiliés à leur club lorsqu’ils sont yearlings. Les personnes intéressées peuvent se rendre à Hokkaido, l’île du nord du Japon où se trouvent les haras, pour aller les voir physiquement. On voit parfois passer des photos et vidéos sur les réseaux sociaux, avec des yearlings à perte de vue, parfois aux origines somptueuses, regroupés puis présentés un à un devant leurs potentiels futurs porteurs de part. « Nous avons des groupes de 450 personnes qui se rendent à ces présentations, effectuées au mois d’août. Les chevaux des clubs ont remporté de grandes victoires, au Japon comme à l’international, et la demande est bien présente. Un haras comme Northern Farm a de plus en plus de chevaux, et donc de plus en plus d’éléments à affilier aux clubs mais nous ne pouvons pas forcément satisfaire toutes les demandes. Je n’ai pas les chiffres précis sur le nombre d’élèves de Northern affiliés à un club, combien passent en vente, que ce soit à la Select Sale ou à la vente mixte et combien sont conservés ? Par ailleurs, il y a tout de même un processus de sélection des aspirants porteurs de part, il faut remplir certaines conditions. » Logique : il ne suffit pas de pouvoir acheter une part, encore faut-il aussi pouvoir participer à tous les frais d’entraînement ensuite. Dernière question alors : une Française peut-elle espérer obtenir une part dans un produit de Harp Star ou d’Almond Eye ? « Je suppose que rien n’est impossible (rires) ! Mais vous aurez beaucoup d’étapes de validation à passer. »
Christophe Lemaire : « Très satisfait de ce que j’ai vu »
C’était une matinée splendide sur les Aigles pour le dernier galop de Through Seven Seas. Un paysage de carte postale, avec un magnifique soleil illuminant quelques restes de brouillard. Les journalistes japonais sont bien arrivés, même s’ils sont moins nombreux que d’habitude mais, après tout, ils ne comptent que sur un seul partant cette année ! Si Tomohito Ozeki a préféré suivre le galop écarté de la foule, Christophe Lemaire et son épouse, Barbara, se sont volontiers mêlés à la joyeuse cohue qui attendait le passage de la jument. Avec sa grande action, la jument n’a pas été dérangée par une piste bien assouplie. Elle est prête, pas besoin d’un gros travail et elle a pu dérouler sa grande action. « Pas mal, non ? », commente Christophe Lemaire. Pas mal, oui ! Et si c’était elle ?
Christophe Lemaire et Tomohito Ozeki se sont ensuite exprimés durant la conférence de presse organisée par France Galop. Le jockey a donné son sentiment : « Through Seven Seas a galopé sur une piste bien souple ce matin. Nous avons vu qu’avec sa grande action, cela ne la contrariait pas. Son cavalier l’avait bien sur la main, elle m’a semblé tonique, très fluide dans son mouvement tout en ayant de la puissance. Je suis très satisfait de ce que j’ai vu. Je l’avais montée dans le passé et je l’ai retrouvée cette année quand elle a gagné son Gr3. Elle m’avait vraiment plu, montrant de gros progrès par rapport aux années précédentes. Après cette victoire, elle a confirmé en étant deuxième d’Equinox dans le Takarazuka Kinen (Gr1, fin juin, 2.200m), prouvant qu’elle avait bien le niveau Gr1 au Japon. On connaît bien le niveau des chevaux japonais et notamment d’Equinox. Cela lui donne le droit de participer à l’Arc et de bien s’y comporter. »
Tomohito Ozeki avait déjà répondu longuement à nos questions jeudi dernier, nous racontant l’histoire de Through Seven Seas. Pour lire l’article, cliquez ici.