DAVID LAYANI, LA VIE EN ROSE… ET (BIENTÔT) EN GRIS
Jeune propriétaire aux grandes ambitions, David Layani a les moyens et la résistance aux aléas pour aller loin. Son effectif compte déjà 25 chevaux de plat, à peine un an après le lancement de ses couleurs (le 13 mars 2024). Tard dans la nuit de jeudi à vendredi (notre homme a un emploi du temps chargé !), le patron de Onepoint a répondu aux questions de la presse hippique… et il s’est livré avec beaucoup de franchise !
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.comÂ
En 1921, François Dupré dépose ses couleurs : casaque grise, toque rose. Pendant plus d’une décennie, cette casaque sera « de plomb », jusqu’à la victoire d’Yonne (Indus) dans l’édition 1939 de la Poule d’Essai des Pouliches (Gr1). À partir de ce succès, elle se transforme en plume et les Dupré vont illuminer le galop français jusqu’à la fin des années soixante. Dans la foule de Longchamp, un jeune homme n’a d’yeux que pour les Dupré. Son nom ? Jean-Luc Lagardère ! Fortune faite, Lagardère achète le haras d’Ouilly et reprend les couleurs «rose et gris» de son idole hippique. Et l’histoire se répète. L’écurie Lagardère connaît un lancement très difficile et après des années de traversée du désert, la casaque de plomb redevient de plume grâce à Resless Kara (Akarad) et Linamix (Mendez). L’écurie Lagardère explose au point d’être sacrée tête de liste en France, comme Dupré avant lui. Dans la foule, un jeune homme admire les Lagardère. Son nom ? David Layani.Â
Et c’est reparti pour un tour ! Fortune faite, l’admirateur de Lagardère se lance au galop. Sa première année de propriétaire – en 2024 – a été particulièrement calme (six chevaux, 20 courses, aucune victoire). Une traversée du désert qui annonce des jours meilleurs comme pour Dupré et Lagardère ? Pour l’instant, les Layani courent avec une casaque «rose toque blanche». Mais rien n’est gravé dans le marbre et le gris pourrait rejoindre le rose, comme l’explique le jeune propriétaire : « Le rose de ma casaque, c’est celui de Lagardère. Mais désormais, je compte faire la demande pour reprendre sa casaque et m’inscrire dans ses pas… À ce titre, j’apprécie beaucoup la relation que je développe avec André Fabre. » Le maître cantilien a bien sûr été l’artisan des plus grands succès de Lagardère au galop…
La naissance d’une vocation
Federico Tesio, dont on dit qu’il est le plus grand éleveur de l’histoire moderne, écrivait en 1946 dans Tocchi In Penna al galoppo que l’on pouvait répartir les propriétaires en trois catégories : ceux qui aiment le cheval, ceux qui aiment le jeu… Et ceux qui aiment le snobisme ! Aujourd’hui, on peut certainement remplacer ce qualificatif par l’aspect social du sport hippique car cela fait très longtemps que les hippodromes ne sont plus le repère de la bonne société. Comment David Layani se situe-t-il dans la classification de Tesio ? : « Tout jeune, j’ai eu la passion du cheval. Quelque chose de très fort. J’ai monté avec ou sans selle, poneys comme chevaux. Lorsque ma mère me cherchait, j’étais aux écuries. Mes oncles et grands-pères n’avaient pas les moyens d’acheter des chevaux, mais ils étaient turfistes. C’était la grande passion familiale et nous allions sur les hippodromes, à Vincennes comme à Longchamp. À cette époque, les champs de courses étaient pleins. À une période où le numérique n’existait pas, c’était la grande sortie du dimanche. Et là , j’ai été fasciné par la compétition. Mon intérêt pour les courses, c’est donc la passion pour le cheval et l’attrait pour la compétition. Très jeune, j’avais une fascination pour les grandes maisons, Wertheimer, Wildenstein, l’Aga Khan… Et surtout Jean-Luc Lagardère. C’est une inspiration très forte. À double titre d’ailleurs, sur le plan entrepreneurial bien sûr, mais aussi en tant que propriétaire de chevaux de course. C’est ainsi qu’est né le rêve de revenir à l’hippodrome, mais cette fois au milieu du rond de présentation. Ce rond de mon enfance représentait d’autant plus quelque chose qu’il y avait du monde tout autour… Mon idée, c’est de créer une grande écurie. Avec des ambitions classiques. Le point d’ancrage, c’est la France et on voit d’ailleurs que certains entraîneurs français réussissent très bien à l’international. Et je n’exclus pas d’investir en Angleterre ou aux États-Unis. » Autre inspiration de David Layani, Claude Guedj, qui nous a quittés en 2022 à l’âge de 84 ans : « Cet ami m’avait ouvert les portes du trot. J’ai adoré driver avec lui à Grosbois. J’ai toujours aussi eu la passion pour cette discipline. Je vais entamer des démarches pour rencontrer des acteurs du trot et voir de quelle manière investir de la meilleure façon possible. »
Photo – Jean-Luc Lagardère
Un an d’apprentissage
L’une des clés dans le retournement de situation chez Lagardère, c’est qu’il avait su tirer les leçons de ses échecs précoces en changeant radicalement son approche. Son regain de compétitivité ne fut donc pas le fruit du hasard… En douze mois au galop, David Layani a pu se faire une première expérience pratique. Qu’a-t-il déjà changé ? : « Cette première année comme propriétaire ressemble un peu aux douze premiers mois d’une jeune entreprise : c’est très dur. C’est beaucoup d’énergie et beaucoup d’investissement. Ouvrir la deuxième année d’exercice sur une victoire, aussi petite soit-elle, ça fait du bien [Corazon a gagné à Pornichet le 7 janvier, ndlr]. Désormais, j’essaye d’acheter plus de pouliches très bien nées avec une valeur résiduelle d’élevage forte. Cela permet d’affronter à la fois la difficulté et la sélection des courses, et en même temps d’ouvrir des portes vers l’élevage… J’ai été très bien accueilli lors de mon arrivée au galop, par Michel Zerolo, qui est désormais mon manager, mais aussi par la famille Chehboub ou encore par Jean-Lou Tepper. J’ai ainsi appris à nouer des partenariats, avec par exemple Jean-Pierre Dubois, Jenny Bianco, la famille Chehboub… Enfin, j’ai réparti les chevaux chez un plus grand nombre d’entraîneurs. J’ai démarré chez un seul professionnel, Jean-Claude Rouget, qui avait au départ tout mon effectif. Et j’ai été confronté à des difficultés internes à son écurie. La rencontre avec différents entraîneurs, chez qui j’ai désormais des chevaux, est une autre évolution. Ils peuvent avoir des méthodes différentes, mais toutes sont intéressantes. Je travaille avec six entraîneurs et cela me semble être une stratégie saine. Dans les deux ans qui viennent, je repasserai certainement à trois en fonction des affinités, des résultats et de la qualité de nos projets communs. »
David Layani a aussi (déjà ) la volonté de faire venir de nouveaux investisseurs au galop comme Éric Benhamou (Allure Invest), copropriétaire d’Allure (Persian King). Le week-end venu, lorsqu’il quitte Paris pour les champs de Normandie, c’est certainement un peu le choc des cultures. De la tech, David Layani passe à un univers où l’on élève et où l’on entraîne sensiblement de la même manière qu’il y a cinquante ans : « J’aime beaucoup les traditions. Les chevaux, c’est du vivant. Au-delà du digital, le lien avec l’animal doit rester très présent. Imaginer des acheteurs sans affect, ce n’est pas à la hauteur de cette compétition qu’est le sport hippique. Aux courses comme aux ventes, il y a de l’adrénaline, mais il faut bien garder la tête sur les épaules. » David Layani souhaite par ailleurs mettre à l’Å“uvre son expérience de la technologie dans son aventure au galop : « Onepoint a monté un groupe de travail autour de l’intelligence artificielle dans les courses en réunissant des acteurs qualifiés et institutions pour essayer d’améliorer la performance, du croisement jusqu’à l’entraînement. »
Photo – Les couleurs actuelles de David Layani
L’élevage, l’autre vocation
Le monde du galop français a des allures de microcosme. Et lorsque David Layani a fait son apparition dans la salle des ventes d’Arqana, son entrée n’est pas passée inaperçue. C’est le moins que l’on puisse dire. D’autant plus qu’il a investi des sommes significatives : « Je suis revenu au galop avec le valeureux Jean-Claude Rouget qui est malheureusement tombé malade. Tous les premiers achats ont été faits avec lui. Ce fut une période difficile. Mais il paraît qu’il faut démarrer difficilement car cela donne des marges de progression ! Comme vous avez pu le constater, de ce point de vue j’ai été servi… Mais j’ai décidé d’insister. J’ai conservé cette ligne directrice qui consiste à essayer d’acheter des yearlings avec lesquels on peut avoir de grands espoirs. Je suis donc actif chez Arqana où les ventes de sélection sont de très haut niveau. Mais aussi sur des profils à l’entraînement et donc plus confirmés, comme Safia (Sottsass) ou encore Stormy Donald (Hello Youmzain). Et il y a d’autres discussions en cours, pour essayer d’accélérer la construction de cette écurie classique. »
À l’évocation des longues années de disette lors du lancement de Lagardère au galop, David Layani réagit : « J’espère que cela durera bien moins longtemps pour moi ! Je me suis donné trois ans pour essayer de trouver le bon rythme. » La particularité du galop français, c’est qu’il n’y a pas (ou du moins très peu) de propriétaires purs et durs. En France, ils sont aussi presque toujours des éleveurs. Et c’est un profil qui correspond parfaitement au quatuor d’inspirations évoqué un peu plus haut (Wertheimer, Wildenstein, l’Aga Khan et Lagardère). Cette logique, David Layani l’a bien intégrée et l’élevage arrive au grand galop : « Avec Henri Bozo et Stuart Mcphee, nous avons acheté Alianza (Halling), la mère du classique Metropolitan (Zarak). Elle va bientôt pouliner d’Erevann (Dubawi) et elle va retrouver, avec beaucoup d’espoirs, Zarak (Dubawi) ! » Lagardère a eu Linamix. François Dupré a eu Tantième (Deux Pour Cent) et son fils Tanerko. David Layani, lui aussi, se voit bien lancer la carrière d’un sire ayant couru avec la casaque grise, toque rose : « J’aimerais gagner un classique d’ici cinq ans mais aussi fabriquer un étalon… Il me reste quatre ans ! J’essaye de m’en donner les moyens. Plusieurs 2ans montrent de très belles choses. »
Rendez-vous mardi à Saint-Cloud
Photo – Safia
Si je vous demande le nom d’un ancien joueur de polo qui a quatre produits de 2ans et 3ans par Sottsass (Siyouni) à l’entraînement en France, vous me répondez… Peter Brant. Raté, c’est David Layani ! : « J’ai déjà rencontré Peter Brant. C’est quelqu’un que j’apprécie. C’est un investisseur redoutable et passionné au galop. Mais je me sens plus proche d’un entrepreneur et industriel français comme Jean-Luc Lagardère. » Safia (RS) (Sottsass), lauréate du Prix de la Chapelle, est l’espoir classique le plus évident de l’effectif. Elle va faire sa rentrée mardi à Saint-Cloud dans le Prix Kizil Kourgan (Classe 2) et dispose d’engagements dans tous les classiques français. L’opposition devrait être de taille, avec notamment (mais pas uniquement) Ultrafragola (Sottsass), issue du même père et gagnante du Prix des Marettes… pour Peter Brant ! Si l’on veut poursuivre la comparaison du parcours de David Layani avec celui de ses illustres prédécesseurs, il est évident qu’à notre époque, les affaires et les courses n’ont que peu de points de rencontre. Autrement dit, peu d’acteurs du milieu économique français sont actifs au galop, contrairement à l’époque des débuts de Lagardère (qui avait acheté son premier yearling en 1966). David Layani note : « J’ai rencontré assez peu de passionnés de courses dans ma vie professionnelle. Avec des exceptions comme David Salabi. Aujourd’hui, clairement, le monde des affaires est assez loin de celui des courses. C’était différent lors de mon enfance. Il y a là tout un enjeu pour la filière qui doit retrouver son attractivité pour redonner aux courses françaises leurs lettres de noblesse. »
Sommes-nous de mauvais actionnaires ?Â
Le trot et le galop ont-ils été de mauvais actionnaires qui ont pressé le PMU comme un citron et fait fuir tous ses talents ? : « J’ai été choqué que l’on s’en prenne au management du PMU. Lancer une telle vendetta, c’est donner une image désastreuse à l’extérieur. Vis-à -vis des investisseurs potentiels qui pourraient acheter des chevaux, mais aussi des gens qui pourraient devenir des parieurs. Sans sérénité, pas de confiance. Et sans confiance, pas d’investissement sur l’avenir. Toutes les manœuvres de déstabilisation du PMU nuisent à l’ensemble de la filière. Attirer des investisseurs, c’est bien sûr proposer des bonnes allocations. Mais c’est aussi être plus efficace et se donner des marges de manœuvre en mettant en place des synergies. Il y a beaucoup d’hippodromes en France et deux filières, le trot et le galop, qui ont des chemins parallèles. Nous devons mettre en place des trajectoires communes, pour mieux dépenser mais aussi pour mieux soutenir le PMU qui a besoin de moyens pour avancer. » Dans un univers concurrentiel, l’opérateur de paris doit pouvoir compter sur les meilleurs salariés possible pour faire face et rebondir. Mais ces personnes ambitieuses ont un prix. Et l’image d’austérité et de tension n’aide pas à les recruter : « Faire venir des talents, c’est avoir de la confiance, des projets… Et les moyens de les réaliser. Les salariés du PMU bossent dur pour faire tourner cette boutique qui reverse quand même 837 millions aux courses. C’est une boîte qui a fait des économies importantes. Et malgré cela, dans un marché difficile et en déclin, elle tient la route… Donnons-lui les moyens d’assurer sa survie à long terme plutôt que de lui tirer dessus. » Donner des marges de manœuvre au PMU passe-t-il par une baisse (momentanée) des allocations ? : « Je vous parle en tant que propriétaire de galopeurs. La question des allocations doit être posée sans tabou. Mais il y a certainement d’autres solutions à cheval entre trot et galop. »
Les courses, un sport moderne ?
David Layani est le créateur et le patron de l’un des fleurons de la version moderne du capitalisme à la française avec Onepoint (3.600 salariés). Cette entreprise est spécialisée dans la transformation numérique des entreprises et organisations. Une transformation qui passe, au-delà de la technologie, par la mise en place de valeurs dites modernes, comme l’inclusivité. Et justement, en parlant de valeurs, les courses, ce sport ancestral, ont-elles leur place dans la société de 2025 ? : « En France, c’est un sport inconnu qui est lié au jeu et à l’addiction. Mais je pense que si on leur redonne toutes leurs lettres de noblesse, les courses peuvent avoir toute leur place dans notre société. Et c’est pour cela qu’on doit envoyer des messages de responsabilité, d’exemplarité, de modernité, d’inclusion et d’engagement. On a des femmes jockeys ou entraîneurs extraordinaires. La France a des élevages de très grande qualité et des terres magnifiques. On doit faire connaître le sport hippique comme quelque chose d’adorable… Et non pas de détestable. » David Layani, comme tous les grands chefs d’entreprise, a une image publique qui fait partie intégrante de sa vie professionnelle. Justement, en se lançant au galop, a-t-il pris un risque ? « J’ai tendance à assumer tout ce que je fais. Et cette passion, je l’assume pleinement. J’ai senti parfois l’incompréhension du monde des affaires. Mais je suis un homme de combat. Et de combats justes surtout. Je n’ai aucun problème à porter les couleurs du sport que j’aime. »
« IL FAUT AIDER LE PMU »
« Lors de mon retour sur un hippodrome, trente ans après, j’ai trouvé beaucoup moins de monde et des infrastructures parfois un peu vieillissantes. Mais aussi des sujets de gouvernance autour des filières et un moteur, le PMU, qui fait l’objet de manÅ“uvres de déstabilisation. Ce qui n’a pas manqué de me surprendre. Il ne faut pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis. On a une entreprise qui reverse 100 % de sa marge à la filière. Et cette entreprise, le PMU, dans un marché décroissant, doit trouver un modèle pour assurer pérennité et croissance à long terme. Cela ne va pas. Il faut mettre les sujets importants sur la table, trouver des synergies entre le trot et le galop… Le PMU est particulièrement ciblé. Or il faut lui donner les moyens d’investir à long terme. Pour cela, je ne vois que deux possibilités. Il faut clairement poser la question de l’ouverture du capital et de la capacité d’endettement. Une entreprise qui n’investit pas, c’est une entreprise qui meurt. La deuxième question à poser très clairement, c’est celle d’une éventuelle fusion avec la Française des Jeux. Sinon, il existe une troisième possibilité et c’est la baisse des allocations. On ne peut pas avoir une entreprise qui reverse 100 % de ses revenus, avec la volonté de maintenir un haut niveau d’allocations… tout en ayant une grande quantité d’hippodromes, avec des infrastructures qui vieillissent et qui ne permettent pas l’attractivité que l’on peut voir à Longchamp par exemple… »Â