PIC D’ORHY, QUAND MAULÉON BRILLE À ASCOT
Triple lauréat de Gr1, Pic d’Orhy a été élevé par un ancien joueur de rugby ayant vécu une épiphanie au bord du rond de Pau ! Son histoire est donc celle Jean Contou-Carrère, mais aussi celle d’Yves Broca et de Patrick Boiteau. Trois éleveurs qui ont su tirer leur épingle du jeu avec un budget (au départ) limité.
Dimanche en Angleterre, Pic d’Orhy (Turgeon) a remporté de bout en bout le Betfair Ascot Chase (Gr1) pour la deuxième année consécutive. À 10ans, il est encore au sommet de sa forme et les différents échellistes britanniques sont là pour en attester. Comme son nom l’indique, ce français de naissance est originaire du Sud-Ouest, le pic d’Orhy étant un sommet frontalier des Pyrénées. Mais le cheval a grandi 70 kilomètres plus loin, à Navarrenx, chez Jean Contou-Carrère et son associé Yves Broca.
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Petit élevage, grande réussite
Ancien arrière du Sport athlétique mauléonais, lorsque l’équipe évoluait en première division du rugby français, Jean Contou-Carrère a ce côté pudique propre aux ruraux du Sud-Ouest. Son parcours en tant qu’éleveur est assez extraordinaire. Dans le sens où, malgré un petit effectif, Pic d’Orhy n’est pas le seul bon cheval qu’il a sorti avec son associé. Le binôme a eu ses premiers partants au début des années 2000 à partir d’étalons et de juments du cru. Mais rapidement, les associés ont compris qu’il fallait viser plus haut. Et deux juments habilement dénichées vont leur permettre d’y parvenir. Ahombros (Mansonnien), elle-même élevée par Francis Montauban, va leur donner Océan Austral (Antarctique), qui a remporté le Grand Steeple-Chase Cross-Country de Fontainebleau (L), Uniketat (Vision d’État), lauréat du Prix Gaston de Bataille (L), et Lady d’Ogenne (Sassanian), gagnante du Grand Steeple-Chase de Craon. Chez la famille Menuet, Lady d’Ogenne a produit Let me Love (Authorized), lauréate du Maurice Gillois (Gr1). L’autre bonne poulinière de Jean Contou-Carrère et d’Yves Broca n’est autre que Rose Candy (Roli Abi), acquise après avoir passé un coup de téléphone à son éleveur Patrick Boiteau. Elle leur a donné trois bons chevaux, le désormais célèbre Pic d’Orhy, mais aussi Éclair Gris (Fairly Ransom), deuxième du Prix Antoine de Palaminy (L), et Sainte Candy (Jeu St Éloi), deuxième du Prix Girofla (L)… Six black types, dont un triple lauréat de Gr1, en finalement assez peu de temps, c’est remarquable pour un élevage avec un nombre de juments restreint. Lorsqu’on questionne Jean Contou-Carrère à ce sujet, il évoque la bonne fortune. Mais la chance qui se répète… ce n’est plus vraiment de la chance !
Le rêve d’une enfance rurale
On sent poindre une certaine émotion chez Jean Contou-Carrère lorsqu’il évoque la naissance de sa vocation : « Pic d’Orhy, c’est une belle satisfaction pour de petits éleveurs. J’ai commencé à élever à la trentaine, lorsque j’ai arrêté le rugby. Au fond, j’ai toujours eu la passion des chevaux mais elle a longtemps été inassouvie. C’était certainement la transformation d’un autre rêve d’enfance inassouvi, celui d’être vétérinaire. Et puis un jour à Pau, autour du rond, j’ai eu un coup de foudre. En mon for intérieur, j’ai su que j’aurais rapidement un cheval. Je ne suis pas issu du sérail. Mais j’ai grandi à la ferme et d’une certaine manière, cela m’a appris à m’occuper des animaux, à avoir l’esprit d’observation. Enfant d’agriculteurs, j’ai appris les joies et les peines de l’élevage, mais aussi à regarder la conformation, à juger l’état des animaux… Bien plus tard, je me suis donc lancé avec une jument de fortune au fond d’une grange. Yves Broca, mon associé, est commerçant. Il a toujours cru que nous sortirions un super cheval un jour ou l’autre. Cela me faisait sourire au départ car j’avais bien conscience que la route était très longue. Si vous racontez votre rêve à une personne et qu’elle vous prend au sérieux… c’est certainement que vous ne visez pas assez haut ! Et puis Pic d’Orhy est arrivé, ce qui est statistiquement peu probable pour de petits éleveurs. Je ne suis pas parieur, pourtant j’ai longtemps lu la presse hippique par passion, pour comprendre qui étaient les éleveurs en réussite, les étalons… J’ai donc essayé de partir avec des juments issues de bons élevages, Ahombros et Rose Candy, lesquelles avaient par ailleurs des pedigrees solides. Les deux étaient inédites, mais notre budget était limité. Rose Candy, la future mère de Pic d’Orhy, a été vendue une première fois, mais la vente est tombée à l’eau car elle s’est accidentée. Elle avait une fracture du fémur et n’était pas capable de trotter. Malgré son handicap, nous avons donc tenté notre chance. Rose Candy n’a coûté que 1.000 €. Son premier produit Éclair Gris a gagné le Prix Champaubert à 3ans pour Guy Cherel. Quelle chance ! »
Compétiteur un jour, compétiteur toujours
Entre la région de Navarrenx et de Mauléon, et le haras du Mesnil où le confirmé Turgeon (Caro) faisait la monte, il y a 700 km. Je vous laisse calculer le nombre d’heures de camion ! : « Assez rapidement, j’ai compris qu’il fallait faire la route pour aller aux étalons. Dans les années 1980, j’ai joué au rugby en première division et j’en ai gardé quelques préceptes. Pour avoir une chance d’atteindre le haut niveau, il faut s’en donner les moyens. Alors quitte à passer du temps à transporter les juments, autant aller à un bon étalon. Mais au fond, bien sûr, chaque éleveur « vole » un peu le travail de celui qui l’a précédé. Avec Pic d’Orhy, nous avons bénéficié des années de labeur de Patrick Boiteau sur cette famille. L’élevage et les courses, quand cela se passe bien, c’est extraordinaire. Malheureusement les gens pensent que c’est un milieu fermé, inaccessible… Nous avons besoin de plus de monde sur les hippodromes. Pau a réussi cet hiver, c’est très bien. »
Un sacré cheval de course
Jacques Détré a acheté plusieurs foals chez Jean Contou-Carrère, notamment les futurs bons Pic d’Orhy, sa sÅ“ur Sainte Candy et Uniketat. Il se souvient : « Pic d’Orhy était un foal qui sortait vraiment de l’ordinaire. La famille était très bonne et j’aimais beaucoup Turgeon. » Confié à François Nicolle, Pic d’Orhy a débuté dans le Prix Rush et il a gagné… de trois longueurs devant Goliath du Berlais (Saint des Saints) ! Il a battu le même futur bon cheval de sept longueurs dans le Prix Go Ahead. Deuxième du Prix Georges de Talhouët-Roy (Gr2), à une encolure de Beaumec de Houelle (Martaline), il s’est ensuite classé deuxième (du même gagnant) dans le Prix Cambacérès (Gr1), en battant L’Autonomie (Blue Brésil). Les Détré ont alors reçu une offre difficile à refuser de Johnny de La Hey : « Pic d’Orhy a été vendu cher, mais ce fut un achat judicieux car il a fait une belle carrière en Angleterre, même s’ils ont mis beaucoup de temps à trouver les boutons avec ce cheval très allant. Il est remarquable de longévité et a déjà gagné 15 courses. »
Les rebuts de Boussac
L’histoire de la famille de Pic d’Orhy remonte à la fin de l’empire hippique de Marcel Boussac. Sa cinquième mère, Amphipolis (Charlottesville), issue d’un pedigree vieillissant, a fait partie des poulinières que le grand éleveur a laissé partir quelques années avant sa faillite. Plus précisément, Boussac s’est débarrassé de toute la proche famille, et la mère d’Amphipolis est partie pour le Japon, à l’époque où ce pays était une destination bien moins glorieuse qu’aujourd’hui. Amphipolis, elle, arrive à la fin des années 1970 dans les mains de Jack de Brabant, un ressortissant belge qui s’était offert un château dans le Lot. Ayant du terrain, il décide de monter un petit élevage à titre récréatif. Sur les conseils des Haras nationaux et du cavalier olympique Didier Seguret, installé non loin de là , Amphipolis va aux étalons anglo-arabes du coin : Arpad II (Dunamis), clairement orienté concours hippique, mais dont on se rendra compte plus tard qu’il était capable de sortir des chevaux d’Auteuil, et Iram de Chalezac (Nikou), lui clairement estampillé « sports équestres ». Dans le Lot, la Boussac Amphipolis va engendrer Lotoise (Arpad II) que son éleveur et propriétaire décide d’envoyer chez Denis Etchebest, le roi des anglos, pour qu’elle effectue sa première partie de carrière en course. Sa campagne à 3ans est catastrophique (10e, 11e et 10e en trois sorties). Didier Seguret la récupère mais Lotoise ne prend pas d’état.
L’origine a bien failli partir en concours hippique
Lotoise passe donc chez Renée Laure-Koch, qui a ensuite réalisé la grande carrière d’éleveur de pur-sang arabe qu’on lui connaît, avec les « du Maury ». Mais au début des années 1980, l’époque était sensiblement différente et Renée Laure-Koch se souvient : « J’ai un peu fait mes armes avec Lotoise. Je l’ai entraînée à la maison, sans avoir vraiment les installations pour. En fait, elle était préparée comme un cheval de concours complet, en sautant des fossés et en allant au drag de Pau [c’est-à -dire la chasse au leurre avec des chiens, ndlr]. Avec le recul, vu mon manque d’expérience, elle devait quand même être très bonne pour arriver à gagner. Je l’ai même montée en course, ce qui m’a permis de comprendre qu’il y avait des personnes plus douées que moi pour cela. Au départ, Lotoise était compliquée et c’est la première fois que j’ai dû me résoudre à utiliser un gogue commandé. » Chez Renée Laure-Koch, Lotoise a pris plusieurs bonnes places sous la selle de Philippe Brechet. Et elle a fini par gagner un steeple-chase au Dorat ! La jument est ensuite revenue chez Didier Seguret pour faire du concours complet… c’est-à -dire la discipline pour laquelle elle avait été conçue. Et en 1989, ils remportent le mythique CCI3* de Bramham ! Son frère Newlot (Arpad II), d’un courage extrême mais manquant de respect en obstacle, a couru les championnat du monde de Stockholm en CCE (10e et meilleur français). Obobbylot (Iram de Chalezac), le troisième, était meilleur sauteur et il a concouru avec succès au niveau international en CSO et en CCE.
L’inspiration de Patrick Boiteau
À ce stade, on se dit que l’origine galope vers la gloire dans les sports équestres. Mais c’était sans compter sur le premier foal d’Amphipolis, une pouliche née chez Marcel Boussac avant que ce dernier ne se sépare de toute la famille et que la mère parte faire des anglos dans le Lot. Nommée Palisa (Abdos), elle avait un inbreeding monstrueux sur Abdos (Arbar) qui était à la fois son père et le père de sa deuxième mère. Gagnante en fin d’année de 3ans à Angers sous les couleurs de l’Aga Khan – et l’entraînement d’Alain de Royer Dupré – Palisa a fait carrière dans les handicaps et réclamers jusqu’au jour où Patrick Monfort la repère pour la famille Boiteau. Au sujet de l’ancêtre de Pic d’Orhy, Patrick Boiteau se souvient : « C’était une fille d’Abdos qui était alors un père de mère de premier plan [Acamas, Akarad, Akiyda, Darara, Darshaan, Épervier Bleu… ndlr]. Marcel Boussac avait tenté un inbreeding assez osé et Palisa avait une anomalie physique. Sa langue était trois fois plus longue que la normale, comme un caméléon. Belle et grande jument, avec de la tenue, nous avons donc tenté notre chance. Il faut dire que nous avions peu de moyens à l’époque. Nous avions ainsi acheté un certain nombre de juments dans une fourchette comprise entre l’équivalent de 1.500 et 2.000 € [venues du plat… ndlr]. Et c’était aussi une période où les souches d’obstacles étaient moins développées et donc moins facilement disponibles. On travaillait alors de concert avec des entraîneurs d’obstacle qui nous disaient après les avoir testés si les chevaux sautaient ou non ! Depuis, les médias, l’information et les statistiques se sont beaucoup développées. On est actuellement bien plus riche en références qu’à l’époque. Quelques décennies plus tard, on se rend compte que Palisa fut la base d’une bonne descendance avec laquelle nous avons eu de réelles satisfactions [elle est l’aïeule d’une bonne quinzaine de black types sur les obstacles… ndlr] » Chez Patrick Boiteau, la jument a donné deux bons chevaux en première génération, dont Rose Angevine (Master Thatch). Cette reine des provinces a gagné 10 courses dont le Prix Gaston Despres (L) à Angers. À son tour, une fois au haras, Rose Angevine a donné Bonbon Rose (Mansonnien), gagnant du Prix Ferdinand Dufaure (Gr1). Dans la descendance de Palisa, outre Pic d’Orhy et Bonbon Rose, on trouve également Clarcam (Califet), gagnant du Racing Post Novice Chase et du Manifesto Novices’ Chase (Grs1).Â