COMPTOIRSÂ ? MICROÂ !
Comme vous vous l’annoncions hier*, l’IFOP vient de publier avec la Fondation Jean Jaurès et le PMU une passionnante enquête sociologique dans la France des PMU baptisée fort à dessein : « Micro-comptoirs ». Nous vous proposons d’en découvrir les meilleurs extraits, regroupés par thèmes : de « Leur PMU : un club à part » à « Culture des petits gestes », en passant par « Le « taulier », figure d’autorité et figure du confident ».
« Cette étude unique nous montre que les bars PMU, comme l’explique Emmanuelle Malecaze-Doublet en introduction, présents au cœur de notre patrimoine depuis plus d’un siècle, ne sont pas seulement un folklore de la société française, ils sont la société française. Ils sont des laboratoires sociaux vivants, où se croisent générations, origines et classes sociales. Des lieux où l’on se parle sans se juger, où l’on échange des services comme autrefois sur la place du village, où la solidarité se vit au quotidien. Un café partagé, un tuyau murmuré, autant de liens qui tissent le cœur battant de la France. »
* Le document partagé hier n’était pas le bon. Pour obtenir le « vrai » rapport rédigé, merci de cliquer ici.
Extraits de l’étude…
« Onze pour cent des Français passent au moins une fois par semaine dans un PMU – cette proportion montant à 18 % de la population si l’on prend en compte une fréquentation mensuelle. »
« À l’inverse de McDonald’s, l’ »empreinte PMU » n’est pas le produit d’un plan préconçu ou d’une stratégie marketing […] mais se construit spontanément et de façon informelle. […] Comment expliquer que l’on retrouve une continuité d’ambiance d’un bar PMU à l’autre ? [en partie grâce à ] la présence d’une population de joueurs qui apporte par une sorte d’effet de halo une dynamique et un état d’esprit propres à ces établissements (absence de jugement, plaisir de discuter, abolition relative des statuts extérieurs, etc.). En outre, les bars PMU [ont] une certaine « culture de l’accueil », qui n’est pas étrangère à leur forte imbrication dans le quotidien des Français. […] Il existe peu de barrières à l’entrée, financières ou symboliques, mais aussi peu de « pression à la sortie », dans la mesure où il est possible d’occuper ces espaces un long moment en consommant parfois assez peu. »
« Le PMU se présente finalement comme un lieu assez universel, donnant à ceux qui le fréquentent l’impression d’un brassage des populations, des générations, des genres et des origines. Les entretiens réalisés mettent en évidence une certaine satisfaction de la part des enquêtés à être mêlés, par le biais du jeu notamment. »
Leur PMU : un club à part
« Pourquoi les « habitués », comme on les appelle (et comme ils se nomment eux-mêmes), viennent-ils et reviennent-ils dans leur bar PMU (le possessif a ici son importance) ? Car il s’agit bien de leur bar PMU. D’ailleurs, la plupart des clients interrogés ne sont pas spontanément capables de donner le nom officiel du bar ; pour eux, l’établissement s’appelle d’abord et avant tout le PMU, symbole supplémentaire s’il en fallait de la puissance de la marque verte dans l’imaginaire collectif. »
« Mais pourquoi reviennent-ils chaque jour ? [Parce que] le PMU est un lieu où on retrouve une forme de civilité élémentaire. « Ici, tout le monde se dit bonjour » est l’une des phrases qui revient le plus dans la bouche des clients. […] Ici, on se tutoie, on est sympas, on respecte une forme de politesse élémentaire qui fait du bien. »
« Beaucoup de clients expriment le fait de trouver dans leur PMU des relations simples, des rapports conviviaux avec les gens, comme s’ils retrouvaient là une forme de sociabilité qui aurait disparu et qu’ils ne retrouvent plus ailleurs. »
« Par ailleurs, ce qui est frappant quand on interroge les clients, c’est de sentir qu’ils viennent dans leur bar PMU pour compenser le déficit de respect et/ou de reconnaissance dont ils s’estiment victimes à l’extérieur du bar. Ici, pas de jugement ni d’arrogance, les gens sont simples, ne se « prennent pas la tête » (ne se la « racontent pas » et ne « s’engueulent » pas). »
« Une anecdote amusante nous a été livrée par un client d’un PMU marseillais nous indiquant que c’était le lieu où l’on consommait encore des boissons emblématiques comme le rosé limé, le Pac à l’eau, le Gambetta limonade ou le café glaçon. En outre, dans les PMU, beaucoup nous disent qu’ils retrouvent les odeurs qu’ils ont connues lorsqu’ils sont venus pour la première fois avec leur père il y a plusieurs décennies de cela : l’odeur du pastis par exemple. »
Des « camarades de PMU »
« Au sein de ce « sas de respiration » plein de convivialité qu’est le PMU, comment définir alors ses relations avec les autres clients ? Sommes-nous dans des relations amicales ? Fraternelles ? Presque familiales ? Sur ce sujet, ce que nous ont raconté les clients est à la fois passionnant et plein de subtilité. […] L’expression qui revient le plus souvent pour définir le rapport des habitués aux autres clients est « camarades de PMU ». […] Force est de constater que le terme « amis » n’émerge jamais dans la discussion pour définir les relations entre habitués. De la même manière, le terme de « collègues » n’est pas employé non plus, cette appellation étant à l’inverse réservée au monde du travail. Parler de « camarades » permet de signifier qu’il ne s’agit ni de relations professionnelles ni de relations amicales. »
Le bar PMUÂ ? Un couteau suisse
« Les bars PMU apparaissent tout d’abord comme des espaces de circulation d’informations pratiques, échangées au comptoir par une clientèle de proximité, relatives à la vie du territoire et au quotidien. Le bar PMU devient ainsi fréquemment un canal privilégié pour glaner des informations utiles, comme se renseigner au sujet de l’emplacement de nouveaux radars, de l’avancée des travaux sur une route, mais aussi pour trouver à qui acheter une voiture, où trouver un emploi, une baby-sitter… Dans le même ordre d’idées, ces établissements jouent aussi un rôle important de « connecteurs » entre des clients pour échanger une multitude de services. »
Solidarité de comptoir
« Le « réseau PMU » fonctionne aussi souvent comme un système de soutien informel entre les clients. Il contribue à rompre l’isolement et favorise les petits gestes d’entraide : offrir son écoute, une consommation, une cigarette, un ticket à gratter, une baguette de pain, ou encore aider pour un déménagement, faire une course… Seule limite (implicite) à ces petits gestes : le prêt d’argent pour jouer, afin d’éviter les conflits, notamment en cas de gain. »
De quoi parle-t-on au PMUÂ ?
« Les courses constituent la clef d’entrée de beaucoup de discussions. On demande son avis à d’autres clients, même inconnus, on sollicite les « experts » du bar, on partage ses pronostics, ses joies, ses déceptions. La question rituelle « T’as joué quoi, toi ? » permet souvent d’enclencher un échange et de rompre la glace. […] Dans ce contexte, ce sont les thématiques du quotidien et les faits divers qui reviennent le plus souvent : la météo, davantage au sens quotidien (la neige, la quantité de pluie dans la région…) qu’à travers des discussions plus poussées sur le réchauffement climatique ; le football, principalement auprès de la clientèle masculine, notamment lors du championnat, avec une tendance à « charrier » le client qui soutient une autre équipe que la sienne ; les faits divers nationaux (meurtres, disparitions…) ; la vie locale (évolution du quartier ou de la ville, travaux, ouvertures et fermetures de commerces, d’usines…), mais aussi la politique locale (le maire, l’équipe municipale, les dernières décisions…), etc. À cette liste s’ajoutent la question du pouvoir d’achat, du coût de la vie et des carburants, mais aussi le sujet des retraites ou les questions de santé. »
Quand les gérants font la différence
« Le « taulier » ou la « taulière » joue un rôle central dans l’attachement des clients aux bars PMU. Ce sont les garants de l’ambiance de ces établissements. Leur sympathie, leur rapport à la clientèle, mais aussi leur capacité à réguler les excès constituent des éléments déterminants de cette relation. […] Le gérant joue aussi un rôle de régulation et de maintien de l’ordre. Il fixe les règles et modère les comportements. Lorsqu’un client se permet de hausser le ton ou de causer de l’agitation, il est alors rappelé à l’ordre, voire mis à la porte s’il n’obtempère pas rapidement. »
« Alors que les relations entre clients ont tendance à rester superficielles, les gérants de bars PMU sont souvent sollicités comme confidents par des clients souhaitant se livrer à propos de sujets intimes : histoires familiales difficiles, divorces, problèmes de santé, difficultés professionnelles, etc. »
L’importance du collectif
« Pour la clientèle passionnée, le choix de se rendre dans un bar PMU s’explique en partie par l’envie de retrouver une clientèle d’habitués appréciant échanger des opinions et des analyses à propos des courses. C’est particulièrement vrai dans le cas de ce que les gérants appellent la « clientèle quinté » : une population de joueurs souvent relativement âgée, expérimentée, et appréciant « étudier » des courses dans l’ambiance calme, voire académique, du matin (très différente de l’atmosphère mouvementée de l’après-midi devant les écrans). »
« Parmi les différents types de jeux d’argent et de hasard, ce sont les parieurs hippiques qui atteindraient les scores de recherche de sensations les plus importants. Cet aspect s’explique, bien sûr, par la cinétique des courses, mais semble démultiplié par la présence d’un collectif de joueurs. »
« Le fait de jouer dans les bars PMU plutôt que sur Internet présente aussi un intérêt du point de vue de la gestion des risques addictifs. De nombreux joueurs évoquent en effet une forme d’ »addiction douce » au fait de jouer, tempérée par des rituels plus ou moins fixes, mais aussi par la présence d’un « collectif régulateur ». La simple présence d’un regard extérieur exerce tout d’abord un premier contrôle social, mais il n’est pas rare de voir le collectif de joueurs intervenir directement pour décourager un comportement de jeu excessif, notamment à travers des remarques humoristiques et bienveillantes à l’adresse de certains joueurs, sur le mode « Ce n’est pas ton jour, décroche ». Le gérant intervient en dernière instance, souvent de façon plus autoritaire, avec une expression bien connue des clients de PMU : « Range ta carte [bancaire] ! » »