La France, ses entraîneurs, ses chevaux et ses Groupes 1
Pour notre étude sur la compétitivité de l’entraînement français à domicile et au top niveau en 2023, nous nous sommes basés sur les onze Grs1 disputés à date (Ganay, Poules d’Essai, Saint-Alary, Ispahan, Jockey Club, Diane, Grand Prix de Saint-Cloud, Jean Prat, Grand Prix de Paris et Rothschild). Nous avons pris en compte, pour la comparaison, les années 2022 et 2021, ainsi que 2019 afin d’avoir une référence “avant-Covid”.
Anne-Louise Echevin
ale@jourdegalop.com
Moins de partants étrangers dans les Grs1 cette année : vrai… et faux !
En 2023, nous avons comptabilisé 35 partants étrangers dans nos Grs1. C’est le nombre le plus faible sur nos années de référence : 36 en 2022, 41 en 2021 et 42 en 2019. Si nous nous arrêtons à ce chiffre, la conclusion est simple : il y a eu moins d’étrangers dans nos Groupes 1 cette année. Mais il est essentiel de mettre ces données en perspective. Si vous êtes un lecteur assidu de Jour de Galop, vous vous souviendrez que, à plusieurs reprises, nous avons souligné des Grs1 avec peu de partants. Si l’on veut être tout à fait juste, ce n’est pas un débat uniquement français puisque, en Grande-Bretagne notamment, le sujet a été abordé à de nombreuses reprises cette année. Et, avec lui, la compétitivité globale des courses européennes.
Toujours est-il que le phénomène oblige à prendre en compte la notion de proportion dans notre étude. En 2023, nous passons de justesse la barre des 100 partants dans les Grs1 déjà courus (102 exactement). Sur nos autres années de référence, nous sommes toujours à plus de 110 partants, dont un pic à 132 en 2021. Mais, sur la proportion, les étrangers répondent bien présent cette année : ils représentent 34,3 % du peloton de nos Grs1. C’est bien plus qu’en 2022 (31,8 %) et qu’en 2021 (31 %)… mais moins qu’en 2019 (37,5 %), où le Brexit n’était pas encore entré en vigueur, où le Covid et ses impacts notamment sur l’économie n’existaient pas, tout comme la guerre en Ukraine.
Les étrangers un peu plus absents dans les courses pour 3ans
Nous avons souligné le Grand Chelem des 3ans français dans nos Grs1. Nos données indiquent que ce sont les courses qui ont amené le moins de concurrents étrangers, particulièrement dans celles pour les poulains. Ils représentent 22,2 % des partants dans la Poule d’Essai des Poulains (deux des neuf partants), soit le pourcentage le plus faible sur nos années de référence. Les étrangères ont constitué 20 % du peloton de la Poule d’Essai des Pouliches (deux des dix partantes) : deuxième score le plus faible sur nos années de référence après 2021. Côté pouliches, une explication est que les 1.000 Guinées ont fait le plein avec 20 partants. Chez les mâles, ils étaient en revanche 14 “seulement” : pénurie d’espoirs chez les milers de 3ans à cette date ? Le meilleur d’entre eux, le français d’élevage Paddington (Siyouni), n’était alors “que” gagnant de Listed…
Le Jockey Club n’a pas eu la cote chez les étrangers cette année. Ces derniers représentaient 18,2 % des partants, là où nous n’étions jamais sous la barre des 30 % sur nos années de référence ! Préférence pour le Derby d’Epsom ou moins d’espoirs classiques du côté des poulains anglo-irlandais pour justifier ce déplacement ? Par contre, les étrangères ont été intéressées par le Diane : 33,3 % des partantes de l’édition 2023, le meilleur pourcentage de notre étude. Quant au Grand Prix de Paris, avec 37,5 % de partants étrangers, il enregistre son plus faible score d’attrait à égalité avec 2019. Concurrence de l’Irish Derby, mais peut-être aussi des King Edward VII Stakes (Gr2) de Royal Ascot, tombés assez tard cette année et, par possible répercussion, des King George VI and Queen Elizabeth Stakes – on pense à un cas comme King of Steel…
Quant au Saint-Alary, il enregistre un score correct sur le pourcentage d’étrangères au départ, mais difficile à comparer avec les années précédentes puisque la course a été avancée dans le calendrier. C’est en tout cas un bon point pour son attrait et donc son rating… même si ce point est en réalité discutable sur la seule année 2023.
La proportion des concurrents internationaux dans les Grs1 français (en %)
Ganay | Poulains | Pouliches | Saint Alary | Ispahan | Jockey Club | Diane | GP Saint-Cloud | Jean Prat | GP Paris | Rothschild | Total | |
2023 | 28,5 | 22,2 | 20 | 30 | 50 | 18,2 | 33,3 | 60 | 50 | 37,5 | 44,4 | 34,3 |
2022 | 16,6 | 33,3 | 26,6 | 33,3 | 16,6 | 33,3 | 11,7 | 55,5 | 45,5 | 50 | 42,8 | 31,8 |
2021 | 28,6 | 25 | 15,4 | 0 | 33,3 | 31,5 | 11,1 | 50 | 53,8 | 54,5 | 50 | 31 |
2019 | 20 | 40 | 30 | 9 | 55,5 | 40 | 12,5 | 71 | 53,8 | 37,5 | 55,5 | 37,5 |
Les anglo-irlandais ont envoyé leurs seconds couteaux : faux !
Pour expliquer la réussite des français, certains ont avancé l’argument de la moins bonne qualité des chevaux internationaux au départ de nos Grs1. Nous avons donc recensé tous les internationaux ayant pris part à ces courses sur les années 2023, 2022, 2021 et 2019 ainsi que le rating avec lequel ils se présentaient au départ afin de calculer leur moyenne. Et la réponse est claire. Les entraîneurs étrangers nous ont envoyé des éléments avec des ratings plus que solides cette année, à part pour le Saint-Alary qui enregistre le rating moyen le plus faible de nos années de référence… sachant cependant qu’aucune pouliche étrangère n’avait fait le déplacement en 2021 !
En qualité d’avant-course, les internationaux sont venus en force dans le Ganay, le Diane et le Jean Prat – que l’entraînement français a gagné. Ces trois Grs1 enregistrent les meilleurs ratings moyens sur les quatre années de notre étude : 121 pour le Ganay (sur, il est vrai, des ratings 2022), 106,4 pour le Diane et 113,5 pour le Jean Prat. On pourrait même rajouter à cette liste le Grand Prix de Saint-Cloud, dont le rating des internationaux a été plombé par Malabu Drive (Frankel), le leader de Westover (Frankel), pris en 80 ce qui nous donne un rating moyen de 105,6. Il n’avait aucune ambition en tant que telle, si ce n’est d’assurer le rythme et le pauvre Malabu Drive n’a même pas eu les moyens de le faire ! Si on l’enlève, les deux internationaux au départ, Westover et l’allemand Tunnes, présentaient un rating moyen de 118,5 avant la course. C’est le meilleur score pour le Gr1 de Saint-Cloud sur nos années d’étude et, assez logiquement, Westover s’est imposé et il a confirmé depuis avec une excellente deuxième place dans les King George qui pourrait lui valoir un rating canon de 127. Certes, ils n’étaient que deux “vrais” internationaux à Saint-Cloud dans une course à quatre “vrais” partants : 50-50 donc. D’où, encore une fois, une réflexion à se poser sur les déplacements intra-européens et la compétitivité européenne de façon plus générale.
Les ratings des internationaux dans les Grs1 de 3ans étaient bons
Nous avons souligné plus haut que, côté opposition internationale en quantité, les Grs1 pour 3ans étaient ceux qui avaient le plus souffert – sauf le Diane. En qualité, ce n’est pas le cas, les ratings moyens des concurrents au départ étaient bons. Les entraîneurs et propriétaires internationaux ont déplacé peu de partants mais sont venus avec des poulains et pouliches qui présentaient de bons profils et de bons ratings au départ.
Les poulains internationaux de la Poule d’Essai avaient un rating moyen de 109, le deuxième meilleur score de notre étude comme les pouliches au départ de leur Poule d’Essai, avec un rating de 105 – rappelez-vous que les femelles sont prises plus basses en ratings que les mâles pour cause de poids pour sexe. Ceux au départ du Jockey Club étaient dans une fourchette habituelle avec leur 109,5, soit au même niveau que 2022 (109,6). C’est aussi le deuxième meilleur rating moyen de l’épreuve, sachant que l’édition 2021 de St Mark’s Basilica (Siyouni) possède un petit 106,8 avec la présence du tchèque Royal Word (Wootton Bassett), un peu surclassé avec son 89 de rating. Si on l’enlève, le rating se fixe à 110. Le rating moyen des internationaux du Grand Prix de Paris 2023 était aussi très bon, à 110,6… Et celui du Jean Prat excellent, avec des étrangers présentant un excellent rating moyen de 113,5, le meilleur de notre étude pour ce Gr1. Rappelons-le, la course a donné un podium 100 % français !
Les concurrents internationaux qui sont venus courir nos Grs1 en 2023 n’étaient pas de mauvais chevaux. Encore une fois, on se dit que l’explosion des coûts liés au Brexit et à la crise financière ont certainement joué un rôle, sur la quantité comme sur la qualité. Avec des frais importants, la sagesse serait de ne se déplacer qu’avec une vraie chance. Nous avons demandé son avis à Olivier Berghgracht (STH Hipavia), bien placé pour observer les mouvements des chevaux : « De nombreux facteurs entrent en compte quand on déplace un cheval. Je crois que le Brexit et la hausse des coûts jouent beaucoup pour les professionnels anglo-irlandais dans leur choix de déplacement et la sélection des engagements. Il y a l’aspect financier lié au Brexit mais il faut aussi prendre en compte le temps que représente désormais un trajet de l’Angleterre à la France. On constate des évolutions dans certains types de déplacement : des grosses écuries qui prenaient par exemple régulièrement l’avion se déplacent plus que d’habitude en camion ou en bateau, par exemple. En discutant avec les entraîneurs, j’ai aussi eu l’impression que la météo assez étrange que nous avons eu cette année a pu avoir un impact : on m’a souvent posé des questions sur les prévisions, sur comment sera le terrain sachant que nous avons eu une période de sécheresse avec des pistes particulièrement rapides qui ne convenaient pas à tous et, actuellement, nous avons l’impression d’être en septembre ! En réalité, je n’ai pas de réponse absolue à donner sur le sujet et il sera intéressant de voir ce qu’il se passe pour la suite du meeting de Deauville et, ensuite, pour l’automne avant de tirer des conclusions. »
La suite du meeting de Deauville, l’automne… et la fin de l’année. Pour juger le niveau d’un cheval, surtout un 3ans, il faut attendre les grandes joutes face aux chevaux d’âge. Nous disions, en introduction, que nous étions sur les mêmes bases qu’en 2016 dans les Grs1. A la fin de cette année, l’entraînement français avait remporté 71,7 % des Groupes de l’Hexagone et 57 % de ses Grs1. La France est donc dans une excellente dynamique en 2023 et a de nombreux atouts pour poursuivre sur sa lancée et briller, dans le pays comme à l’étranger, dans les prochains jours et prochaines semaines.
Les ratings moyens des concurrents internationaux au départ des Grs1 français
Ganay | Poulains | Pouliches | St Alary | Ispahan | Jockey Club | Diane | GP Saint-Cloud | Jean Prat | GP Paris | Rothschild | |
2023 | 121 | 109 | 105,5 | 95,6 | 115,3 | 109,5 | 106,4 | 105,6 | 113,5 | 110,6 | 109,75 |
2022 | 120 | 106,8 | 101,75 | 106 | 109 | 109,6 | 102,5 | 116,8 | 112,6 | 111,3 | 113,3 |
2021 | 116,5 | 115,3 | 108 | – | 112 | 106,8 | 106 | 112,5 | 111 | 108,6 | 109 |
2019 | 114 | 105 | 105 | 106 | 115,4 | 106,6 | 102 | 114,2 | 108,1 | 109 | 109,1 |