ENTRE INQUIÉTUDE ET COMBATIVITÉ
Correspondant à Bruxelles pour le Daily Telegraph dans les années 1990, Boris Johnson (alors journaliste) avait multiplié les articles de désinformation. Depuis l’interdiction de certains types de bananes jusqu’à la menace de la suppression des bus à impériale, en passant par la normalisation des formes des concombres… toutes ces fakes news ont alimenté un ressentiment qui a finalement donné naissance au Brexit. Tout cela peut prêter à sourire, mais parfois, la réalité dépasse la fiction. Et c’est le cas avec ce projet pour une nouvelle réglementation du transport des animaux. On marche sur la tête et il est bien difficile de défendre le projet européen lorsqu’on est soi-même directement confronté à de telles aberrations !
Déraisonnable et inapplicable
Avec Loïc Malivet, Pierric Rouxel est l’un des représentants français à l’European Federation of Thoroughbred Breeders’ Associations (Eftba). Il fait donc partie des élus de notre pays qui suivent avec grande attention ce dossier. Préoccupé mais combatif, Pierric Rouxel nous a confié : « Rien n’est encore gravé dans le marbre, mais ce projet pour une nouvelle réglementation sur le transport des animaux vivants – des caprins aux bovins en passant par toutes les races de chevaux et de volailles – est passé de la Commission au Parlement européen [voir plus loin le paragraphe « De légitimes inquiétudes», ndlr]. Il prévoit des arrêts obligatoires après sept heures de transport avec des temps de repos de huit heures où il faut décharger les chevaux dans des unités prévues à cet effet, en quelque sorte des quarantaines de repos. Ce qui est complètement ridicule et inapplicable pour les chevaux d’élevage de notre filière. C’est déraisonnable en termes de bien-être animal, car cela pose la question des conditions de stationnement des chevaux durant les heures où ils sont bloqués. Économiquement, c’est très grave car cela perturbe tout le processus économique des ventes et de l’élevage. »
Les chevaux de course ne sont pas concernés
Pierric Rouxel poursuit : « Dès le départ, les chevaux de compétition – courses et sports équestres – ont été exclus. Ce qui nous paraissait tout à fait normal. Mais les chevaux d’élevage ne l’ont pas été. À Bruxelles, nous sommes allés voir le commissaire belge chargé d’examiner ce projet de réglementation. De manière très explicite, il nous a dit : « Nous sommes désolés, nous aurions dû dès le départ exclure les chevaux d’élevage car leurs conditions de transport n’ont rien à voir avec celles des animaux exportés pour la boucherie à travers la Méditerranée. » Tout a donc été étudié pour trouver une solution qui permette de faire sortir les chevaux d’élevage de ce texte. Nous avons essayé de faire valoir le fait que nos animaux sont sous le « High Health High Performance horse »…  [ce statut permet d’exempter les animaux en compétition de certaines réglementations car ils répondent à des standards très élevés en matière de santé animale, ndlr]. Mais ils n’ont pas voulu en entendre parler car « il est trop facile de faire adhérer un pays à ce statut-là sans avoir des garanties suffisantes de contrôle ». Nous avons alors essayé en présentant les excellentes conditions de transport des chevaux d’élevage. Là encore, cet argument n’a pas été suffisant. »
La boîte de Pandore de l’élevage équin
À l’échelle du monde de l’élevage et de ses réglementations, la filière cheval est un acteur de petite taille. Et au sein même du petit monde du cheval, les courses sont minoritaires. Ce qui complique bien sûr la tâche de nos élus lorsqu’il faut faire entendre notre voix et prendre en compte nos spécificités face à des réglementations qui veulent s’appliquer à l’ensemble des espèces animales. Pour les chevaux de sport et de loisir, qui représentent l’écrasante majorité de la population équine d’Europe, l’insémination artificielle permet de contourner les difficultés du projet de réglementation de transport. Ce n’est pas le cas avec les pur-sang anglais et si la nouvelle réglementation venait à passer, c’est un peu comme si on ouvrait la boîte de Pandore de l’élevage équin. En d’autres termes, un véritable effet domino est à prévoir avec des conséquences en cascade. Pierric Rouxel détaille : « Face à nous, il y a de nombreux lobbys, notamment animalistes. Ces gens-là veulent interdire le transport des juments pleines après huit mois de gestation. Cela signifie qu’aller faire saillir à l’étranger serait bien plus compliqué [actuellement, on fait voyager des juments pleines qui poulinent hors de France pour y être saillies, mais qui reviennent dans notre pays dans les délais prévus afin que le poulain bénéficie du statut « assimilé » et donc des primes françaises, ndlr]. Le transport des foals serait aussi considérablement contraint pour les rapatrier en France. Cette nouvelle réglementation rendrait notre système des « assimilés » impossible à faire fonctionner compte tenu des délais. Une brèche a été ouverte et divers lobbyistes tentent de s’y engouffrer. Dans la liste des lobbys qui sont face à nous, on trouve quelques surprises. Comme dans le cas de l’Association internationale des vétérinaires qui ne souhaite pas que les chevaux d’élevage soient retirés de projet de réglementation. Certainement car il y a un intérêt économique, avec de nombreux contrôles à effectuer. Il y a aussi à l’Å“uvre le lobby de ceux qui veulent imposer l’insémination artificielle. Là encore, il y a un intérêt économique à stopper les transports de reproducteurs tels qu’ils existent actuellement. Et c’est d’autant plus choquant qu’en 2024, lors du congrès international des éleveurs de pur-sang à Tokyo, les 27 pays présents ont redit à l’unanimité leur opposition à l’insémination artificielle. Il est tout à fait choquant de voir qu’on relance ce débat contre l’avis des associations d’éleveurs. »
La nécessité d’un front uni et international
Si l’on veut voir le verre à moitié plein, il faut mentionner le fait que toute l’Europe de l’élevage est touchée, comme l’explique Pierric Rouxel : « Tous les grands pays d’élevage européens, à commencer par la France et l’Irlande, ont bien conscience de l’urgence qu’il y a à défendre nos positions. France Galop est très actif sur la question à Bruxelles. L’European & Mediterranean Horseracing Federation, dont Henri Pouret a été élu président, se démène également. L’Eftba, la Fédération européenne des éleveurs, où je représente la Fédération des éleveurs du galop, fait aussi le maximum à Bruxelles en lançant des actions de lobbying. Cela coûte très cher, si bien qu’il est impossible d’agir de manière isolée. Il faudrait que tous ces organismes se fédèrent, afin de peser plus lourd politiquement mais aussi pour trouver des fonds suffisants. »
De légitimes inquiétudes
L’élu de la Fédération des éleveurs conclut : « Lorsqu’un tel projet était au niveau de la Commission européenne, il était dans les mains de commissaires avec une équipe technique qui avait la connaissance technique des sujets concernés. C’est à ce niveau-là qu’il aurait fallu réussir à faire retirer les chevaux d’élevage du texte. À ce stade, nous n’avons pas réussi à faire entendre nos propositions qui font pourtant appel au bon sens… Désormais, le projet est arrivé au Parlement européen. Là , on a affaire à des ressorts plus politiques que techniques. Ce qui ne facilite pas les choses. Cependant, le temps politique européen étant très long, de telles mesures ne seront pas applicables en 2025 ou en 2026. Ce délai nous laisse une petite marge pour inverser la tendance. En outre, François Bayrou est le Premier ministre de la France. Et il est éleveur et fin connaisseur des spécificités de notre univers. À l’instant, il n’est pas simple de taper à sa porte car il est forcément extrêmement occupé. Mais si François Bayrou parvient à passer le cap du budget et qu’il reste Premier ministre, nous aurons probablement une personne qui saurait nous aider à Bruxelles. Je suis un optimiste par nature, mais sans être alarmiste, je suis tout de même très inquiet sur ce dossier. Tout le monde, au sein de la Fédération des éleveurs, est sur la même ligne. C’est un des dossiers qui nous font « carburer » en ce moment. Tout comme nos amis irlandais qui sont concernés au plus haut point. Les éleveurs anglais, suite au Brexit, sont en dehors de la zone d’influence, malheureusement. Mais une telle réglementation les affecterait aussi et ils nous soutiennent. Il n’y a pas un seul pays ou un seul élu de notre univers qui soutient ce projet de réglementation. »
OLIVIER DELLOYE : « NOUS SOMMES ATTENTIFS ET PRÉOCCUPÉS »
Le président de l’agence Arqana nous a expliqué : « Toute la phase d’élections au Parlement européen a un peu gelé pendant un moment les différents travaux sur les dossiers en cours. Aux dernières nouvelles, ils ont repris sur ce dossier de réglementation du transport. Le lobbying côté filière cheval, en France et chez nos homologues européens, a aussi repris. Nous sommes attentifs et préoccupés par ce projet qui implique des enjeux très importants. C’est un sujet sur lequel nous avons beaucoup alerté les autres agences de vente européennes pour qu’elles agissent dans leur pays. Il y a le risque que les chevaux soient immobilisés au sein des établissements de vente après leur passage aux enchères, sans oublier de très nombreux contrôles avant et après. Tout cela représente une lourdeur et un cadre pas du tout adapté à l’activité économique. C’est de nature à freiner considérablement les flux. »