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mercredi 25 décembre 2024

AccueilCoursesPHILIPPE JAENADA : « JE NE FAIS RIEN À PART ÉCRIRE ET REGARDER DES COURSES »

PHILIPPE JAENADA : « JE NE FAIS RIEN À PART ÉCRIRE ET REGARDER DES COURSES »

PHILIPPE JAENADA : « JE NE FAIS RIEN À PART ÉCRIRE ET REGARDER DES COURSES »

[La rédaction de JDG a sélectionné pour vous quelques-uns des meilleurs articles publiés en 2024. Épisode 3/10 : Rencontre avec un grand écrivain fan de courses.]

C’est l’histoire du coup de foudre d’un adolescent pour les courses, à Évry. Philippe Jaenada a ressenti, ce jour-là, une émotion indescriptible. Comment décrire en effet un coup de foudre, quelque chose d’aussi physique que mystique ? Ce jour-là est resté gravé dans le cÅ“ur de l’homme qui entre-temps est devenu l’un des écrivains français les plus lus. À l’occasion de la parution de La désinvolture est une bien belle chose (Mialet-Barrault éditeurs), il nous a accordé une longue interview… où il a plus été question de courses que de littérature ! « Toute ma vie a été consacrée aux courses de chevaux. Il y a toute une période, de ma vingtaine jusqu’à la naissance de mon fils, où j’allais tous les jours sur les hippodromes lorsqu’il y avait des courses à Paris. Je n’avais pas de vie régulière. La nuit, je faisais le papier, je me couchais vers 5 ou 6 h, je me levais vers midi et j’allais beaucoup à Auteuil. Pendant des années, je n’y ai pas loupé une réunion, tant l’hippodrome est facile d’accès. Et quand je pouvais, Longchamp, Saint-Cloud, Vincennes, Chantilly… »

Un coup de foudre… Et, pourtant, une peur immense du cheval. Ses trois expériences sur le dos de notre animal préféré se sont mal passées. Jaenada a fini au milieu de la ville, poursuivi par le moniteur en mobylette. Ou au milieu de la forêt, seul, pendant de longues heures parce que son cheval a décidé de se promener de lui-même. Et, enfin, une mauvaise chute et un poignet cassé. Une relation si particulière au cheval, « un mélange de terreur animale, instinctive, pas raisonnée… et d’amour absolu ». C’est aussi l’histoire d’un second coup de foudre, un matin d’août 2024 à Beaupréau et, peut-être, le début d’une nouvelle aventure.

Les courses sont une bien belle chose…

Pour la première fois de sa vie, cet été, Philippe Jaenada est allé à l’entraînement. C’était le cadeau de son fils pour ses 60 ans. Il est tombé sous le charme de Beaupréau…

Les chevaux sont au centre de la vie de Philippe Jaenada, parieur passionné. Sa rencontre avec les courses puis le jeu sont le fruit d’un hasard, d’un banal fait de vie, peut-être du destin pour ceux qui y croient : « Ma vie est intimement, étroitement liée aux chevaux. Pourtant, je ne suis pas issu du monde des courses et j’ai attendu presque cinquante ans pour visiter un centre d’entraînement, quasiment forcé par mon fils. Quand j’étais petit, ma mère a décidé un jour de nous emmener à l’hippodrome d’Évry, juste à côté de là où nous habitions. Elle aurait tout aussi bien pu, ce jour-là, nous emmener au parc d’attractions ou faire une balade en forêt. Nous sommes allés à Évry et j’ai été, comme des gens rentrant dans une église, touché par la grâce. Foudroyé. Je n’ai aucune mémoire de mon enfance et je n’en ai pas de façon générale. Mais je me souviens de chaque chose de cette journée. Je me souviens que, lorsque nous sommes repartis de l’hippodrome, la chanson dans la voiture était de Nicolle Croisille. Pourtant, ne me demandez pas ce que j’ai écouté avant-hier, je l’ignore. Mais j’étais tellement bouleversé… Peut-être étais-je jockey dans une vie antérieure ? La couleur, par exemple… Évry avait des banquettes très années 70, elles étaient turquoise. Cette couleur est associée, même cinquante ans plus tard quand je vais sur un hippodrome, aux courses, aux casaques… »

Au bon souvenir de Pois Chiche

Évry, encore et toujours, près de la maison. La première rencontre avec les courses, puis un premier gagnant : « Je demandais tout le temps à ma mère de m’emmener aux courses. Évidemment, cela la saoulait un peu, elle s’en moquait des chevaux. Évry était formidable. À partir de 14 ou 15 ans, avec des potes, nous prenions nos mobylettes et y allions. On jouait en demandant aux personnes qui faisaient la queue au guichet de le faire pour nous. On leur donnait un franc et on leur demandait de jouer pour nous dans la suivante. Je me souviens de mon premier gagnant : Pois Chiche, numéro 10 ! Je le revois gagner. Cela ne m’a jamais quitté… ».

La déception et le bonheur du père

Philippe Jaenada a rencontré les courses par hasard. Comme tout passionné, il a tenté de faire aimer l’univers à son fils, qui a grandi sur les hippodromes. Et pourtant… « Quand notre fils est né, on l’amenait sur les hippodromes. Je me moquais qu’il soit médecin, pilote d’avion… Je voulais en faire un turfiste ! Quand il était petit, il était très content : « Cheval ! Cheval ! » Puis il a commencé à avoir un peu de plomb dans la cervelle et ses propres envies. Il n’a plus eu envie d’y aller. Effondrement du père… »

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Une étude montre que les musiques que l’on préfère, une fois adulte, sont celles de nos années adolescentes. Pareil pour le sport. Il fallait juste que cela ressorte, peut-être : « Il y a quelques mois, il y avait une réunion à Saint-Cloud et j’ai demandé à mon fils et à sa compagne : « Est-ce que vous avez envie de passer une journée à Saint-Cloud ? » Ils ont dit oui… Et, vingt ans après un cruel et douloureux échec, mon fils a été comme moi à Évry ! Il me posait plein de questions. Le soir, à minuit, il me dit qu’il regarde les chevaux pour le lendemain. Nous sommes retournés plusieurs fois aux courses et, de son côté, il y a emmené ses amis qui n’y connaissent rien. Alors, enfin, peut-être ai-je contribué à lancer des passions ».

Ernest : Hemingway ou trotteur ?

Les courses sont au centre de la vie de Philippe Jaenada, au point que le nom de son fils y fait référence : « Mon fils s’appelle Ernest. Évidemment, tout le monde me dit : « Ah, Hemingway ! » Mais pas du tout. Quand nous nous sommes rencontrés avec ma femme, je lui ai fait découvrir les courses et nous sommes allés dîner à Vincennes. Moi, turfiste, je jouais les bons chevaux et ma femme jouait à leur tête ou parce qu’elle aimait bien leur nom. Évidemment, elle gagnait tout le temps ! Et là, elle me dit : « Oh, Ernest, j’adore ce nom ! » Je lui dis qu’il n’a aucune chance, et de regarder les performances, mais elle s’en moque. Donc elle a mis une pièce sur Ernest, qui a gagné triomphalement. Jackpot ! Et nous avons dit, vraiment en rigolant car on ne se connaissait que depuis deux semaines, que si un jour nous avions un enfant, nous l’appellerions Ernest. Finalement, nous sommes restés fixés sur Ernest. Donc non, ce n’est pas Ernest Hemingway mais Ernest le Rebelle, trotteur de l’écurie Barthélémy, gagnant en 1998 à 35/1 ! ».

Certains ont Mozart, lui a Equidia

On imagine un écrivain concentré sur son art avec, peut-être, du Mozart en fond sonore pour chercher l’inspiration. À chaque auteur sa méthode, son éventuelle musique d’accompagnement. Pour Philippe Jaenada, pas de musique : « Je regarde Equidia toute la journée. Je l’allume quand je me lève et j’éteins quand je me couche. Addiction ? Je lis tout le temps, toujours, est-ce que cela est une addiction ? Cela ne m’a pas manqué quand j’ai fait mon tour de France pour mon livre. Mais une chose est devenue une addiction… Quand j’écrivais un livre, j’avais besoin d’être enfermé, dans un silence complet. Et il y a une dizaine d’années, sur un livre que je n’arrivais pas à écrire, j’avais mis Equidia en fond. Je regardais ce qu’il y avait, je revenais à mon écriture… Cela s’est installé. Je suis devenu incapable d’écrire si je n’ai pas Equidia. J’ai essayé, vraiment ! J’ai des amis qui ne peuvent écrire que dans les trains, les hôtels… Je ne peux plus me concentrer si je n’entends pas le fond sonore d’Equidia, je ne peux pas écrire. J’ai besoin de ce bruit de fond, d’entendre Manuela Jollivet. Je me lève, je bois mon café devant Equidia, j’écris et je fais mes recherches avec Equidia. J’ai la chance d’avoir une vie complètement vide, je ne fais rien à part écrire et regarder des courses de chevaux. Certains penseront peut-être que c’est d’une tristesse extraordinaire, mais je n’ai besoin de rien d’autre. Des chevaux, des courses et le bistrot de temps en temps. J’écris pendant six ou huit heures par jour. Mais je peux avoir des hauts et des bas et je joue quand je décroche. Par contre, dans les moments où je suis très concentré, je peux me rendre compte ensuite que j’ai oublié de jouer untel ou untel. Dans ces moments, je n’entends plus, mais cela m’accompagne. De même que je ne peux écrire que dans mon bureau, jamais dans un hôtel. Le décor m’accompagne, Equidia aussi ».

Suave Dancer et le temps qui passe

On demande à Philippe Jaenada quels chevaux l’ont marqué : « J’ai beaucoup de souvenirs de chevaux. Suave Dancer surtout. J’ai vu toutes ses courses en vrai. Son accélération était comme voir passer une soucoupe volante avec un petit extraterrestre par la fenêtre. Cette émotion, quelque chose de quasi surhumain. Pourtant, Suave Dancer n’était pas le meilleur cheval du monde mais c’est celui qui m’a donné l’impression d’être frappé par la foudre. J’avais l’impression de voir l’incarnation de la foudre matérialisée en animal… Et il est mort jeune, tué justement par la foudre. Il y a quelque chose qui me fascine et j’en parle dans mes livres : le temps qui passe, les souvenirs… Le monde des courses est fait pour cela. Je peux marquer les différents moments de ma vie avec les chevaux. C’est quelque chose qui me rassure. Equidia a fait un top-courses spécial Gérald Mossé et j’ai eu l’impression de voir un album. Revoir courir Helissio concrétise, matérialise le passage du temps. Voir courir des petits-enfants de chevaux qui m’ont ému, qui m’ont fait perdre un peu de sous ou beaucoup de sous, cela fait une continuité. Mais il y a aussi l’inverse de cela dans les courses, quelque chose que je trouve extraordinaire sur les hippodromes et je ne pense pas que cela existe ailleurs. Si, demain, on va à Auteuil ou à Longchamp, c’est exactement la même chose qu’en 1938 ou 1967. À part les tissus qui habillent les gens et le fait qu’ils ont tous un petit appareil dans la main, ce sont les mêmes personnes, la même atmosphère, les mêmes discussions, les mêmes questions sur les chevaux. Les casaques sont dans un matériau différent mais elles sont les mêmes, les étriers sont un peu plus courts. L’hippodrome est une capsule, un enclos préservé, avec des très riches et des très pauvres, des furieux possédés et des professionnels sérieux, qui regardent les chevaux de la même manière. Cela me rassure. »

Les hippodromes, un lieu indescriptible

Beaucoup d’écrivains ont parlé des courses, chacun à sa manière. Mais peu ont réussi à parler de la course en elle-même. On évoque le jeu, à la Bukowski, le côté chatoyant qui les accompagne, à la Marcel Proust. Mais peut-on écrire l’émotion d’une course ? « Je parle de courses dans beaucoup de mes livres mais je n’ai jamais écrit de livres ou de chapitres sur l’ambiance sur les hippodromes – ni même dans les bars, qui ont quelque chose en commun. Ces endroits, je crois, résistent à l’écriture. L’émotion que l’on a sur un hippodrome se vit plus qu’elle ne s’écrit et je n’ai jamais vu cela dans un livre. On peut juste dire ce qu’il se passe mais ce n’est pas dire ce que c’est. Et, après tout, je trouve que ce n’est pas nécessaire. Quand il n’y aura plus d’hippodromes, il faudra des gens qui écrivent dessus pour que l’on sache ce que c’était. Mais là, il faut juste y aller. Je ne pense pas que les grandes émotions soient faites pour la littérature. Elles sont faites pour la vie. Il y a peu d’endroits où vous pouvez observer la vie des gens. Les hippodromes et les bars en font partie, comme une sorte de parc d’attractions de l’humanité. On y trouve des gens qui peuvent avoir des réactions extrêmes, des émotions profondes. Parce qu’ils sont heureux, tristes… Il y a ceux qui courent partout parce qu’ils ont gagné, ceux qui regardent par terre parce qu’ils ont perdu, et on peut les observer. Les courses ont influencé mon écriture mais jamais d’une manière directe. »

Une première

Il n’y a pas d’âge pour les premières. Pour ses 60 ans, Philippe Jaenada s’est rendu pour la première fois à l’entraînement : « Je joue mais j’aime rester à l’écart, je n’aime pas participer à quelque chose. J’aime regarder et écouter. J’aurais pu « rentrer »… J’ai eu plein d’articles dans la presse mais mon fait de gloire absolu, celui que j’ai gardé, c’est une page dans Paris-Turf ! J’avais fait une émission sur Equidia, où on m’avait emmené sur un hippodrome. J’avais rencontré des entraîneurs, des jockeys, mais j’étais mal à l’aise. Ce n’était pas ma place. Henri-Alex Pantall n’en revenait pas que j’aie attendu autant pour aller un matin à l’entraînement. Il aura fallu attendre mon anniversaire et mon fils qui est, je crois, la personne la plus extraordinaire du monde – il ne lui manquait qu’une qualité qui était de s’intéresser aux courses et nous y sommes (rires) ! Il trouve toujours des cadeaux marrants pour les anniversaires et il a envoyé des mails aux secrétariats de différents entraîneurs. Et il a eu une réponse d’Henri-Alex Pantall et de François Nicolle. Je pense que j’aimerais beaucoup François Nicolle, mais je me dis : ce sera une seule fois dans ma vie. J’apprécie aussi monsieur Pantall et je me dis que j’aimerais bien voir des galops de chevaux de plat donc la réponse est : Beaupréau. Mon fils dit qu’il vient avec moi et on nous donne rendez-vous à telle date à 9 h. J’étais… tremblant ! »

Beaupréau

« Beaupréau, c’est quelque chose. On a trouvé difficilement un hôtel, on a cherché longtemps où manger et on n’a trouvé que le McDo. Le lendemain, on arrive devant la propriété de monsieur Pantall. On voit une longue allée mais personne. Mon fils appelle la secrétaire, laquelle nous dit de rentrer, que monsieur Pantall est là – alors que je pensais qu’il serait à Deauville – et qu’il est au courant. On rentre dans cette allée. J’ai eu un drôle de réflexe. Il n’y avait encore personne, nous remontions l’allée et il y avait des chevaux. Nous nous sommes approchés. J’étais tellement sur une autre planète, tellement ému que mon cerveau a déconnecté, et j’ai caressé la tête d’un cheval qui était là. C’est comme si j’étais drogué. Puis nous avons vu une petite voiturette de golf et c’est Henri-Alex Pantall qui venait nous accueillir. Nous sommes restés trois ou quatre heures. Pour les gens des courses, c’est la vie quotidienne. Mais pas pour nous. Nous avons rencontré aussi Yvette Pantall. Ils ont été très gentils alors que nous étions dans nos petits souliers. J’ai réalisé, grâce à mon fils pour mes 60 ans, un rêve de petit garçon. Le problème est que, par sentimentalité, je joue désormais tous les pensionnaires d’Henri-Alex Pantall (rires) ! »

Si j’ai le Goncourt…

La visite à Beaupréau pourrait bien changer la vie de Philippe Jaenada et l’amener de l’autre côté de la barrière. « On a visité la propriété qui est magnifique. J’étais assis à côté d’Henri-Alex Pantall dans sa voiturette et je me disais que j’allais me réveiller, que j’étais en fait dans mon lit. C’est immense ! Il s’était inquiété de savoir si nous avions trouvé où dormir et je lui ai raconté. Puis on passe devant une belle petite maison et il m’explique que c’est là où logent les propriétaires parce que, à Beaupréau et même dans un rayon de vingt kilomètres, il n’y a rien… Il se trouve qu’il y a trois ans, L’Équipe avait fait un grand papier sur moi qu’ils avaient titré : Si je gagne le Goncourt, j’achète un cheval. Henri-Alex Pantall m’a dit : « Vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous souhaitez dormir dans cette maison ! » Alors le Goncourt, peut-être pas. Mais si mon livre se vend bien, si j’ai un prix, je n’achète pas un cheval… mais une patte ou une oreille ! J’aurai le droit d’aller dormir dans la maison ainsi. Mon but est d’aller dormir là-bas, j’ai vraiment une motivation ! » Si vous souhaitez encourager Philippe Jaenada à acheter une oreille de cheval, vous savez ce qu’il vous reste à faire… Vous pouvez commander son livre ici !

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