CE QUE VEULENT LES (RACING) FANS
[La rédaction de JDG a sélectionné pour vous quelques-uns des meilleurs articles publiés en 2024. Épisode 1/10 : les leçons de l’Asian Racing Conference]. Beaucoup d’entre nous considèrent les courses comme un sport. D’autres comme une «industrie», même s’il ressort que le terme peut faire débat. Mais l’Asian Racing Conference a tenu à mettre en avant un autre aspect, essentiel : le divertissement. Et pour y arriver, il faut écouter son public et le comprendre. Et non l’inverse.
Du fun
S’il y a bien une chose que les États-Unis savent faire, c’est le show, pour le meilleur ou pour le pire. Et du Fun fun fun, comme le chantaient les Beach Boys. La chanson pourrait bien être une idée d’animation pour la prochaine édition de la Breeders’ Cup, à Del Mar. Drew Fleming, le patron de la Breeders’ Cup, explique : « Nous organisons des événements sportifs mais il ne faut pas oublier que nous sommes également dans le business du divertissement. Il faut célébrer le cheval, oui, mais aussi divertir. Quand le public se rend sur un hippodrome, il faut lui donner ce qu’il cherche. La nouvelle génération demande à vivre une expérience, elle veut le «wow factor», pouvoir partager sur les réseaux sociaux, en parler à ses amis. Cette année, la Breeders’ Cup a lieu à Del Mar, bien connu à travers la chanson de Bing Crosby Where the turf meets the surf et nous allons jouer à fond sur le concept, en faisant venir des tonnes de sable pour recréer une plage sur l’hippodrome. Les gens pourront venir boire du champagne les pieds dans le sable. Faire venir le public comme des propriétaires, c’est bien, mais il faut ensuite leur offrir autre chose. »
L’Australie possède nombre de courses millionnaires, même non black types. L’une d’entre elles est l’Everest (20.000.000 A$), inspirée de la Pegasus World Cup : une course où les propriétaires achètent une place au départ. Peter V’Landys, président-directeur général de NSW, est revenu sur l’idée derrière ce que nous pourrions voir comme une «énième» course millionnaire : « L’idée était de trouver un moyen de revenir à la Une des journaux. Nous avons vu le concept aux États-Unis et nous nous y sommes intéressés. Nous avons ainsi créé l’Everest mais, derrière, nous avons aussi voulu créer une journée de courses qui pouvait attirer une nouvelle audience. Il fallait que, plus qu’une course, ce soit un événement pour la génération Snapshat ou Tiktok. Vous avez vu les images où tout le public reprend en chœur Sweet Caroline. Mais chanter ainsi Sweet Caroline n’est pas anodin, il s’agit d’unir tout le monde pendant trois ou quatre minutes autour d’un événement sportif. […] Notre challenge est de faire en sorte que 10 % à 20 % des personnes assistant à un grand meeting deviennent des clients réguliers. »
Andrew Harding, directeur exécutif du Hong Kong Jockey Club, surenchérit : « Les passionnés sont avant tout nos clients. Ils sont bien plus que de simples spectateurs. À l’ère du digital, la compétition n’a jamais été aussi forte. Aujourd’hui, les fans, existants comme futurs, ont des milliers de façons de passer leur temps. Là où existent des challenges, il y a des opportunités. Il faut savoir ce que le public veut et connaître l’environnement dans lequel ils évoluent. » Sait-on vraiment ce que veulent les fans ? Pas forcément car notre avis est biaisé. Nous ne comprenons pas pourquoi les gens ne s’intéressent pas à un sport que nous aimons tant. Nous levons les yeux au ciel quand il faut organiser des concerts ou des fêtes pour faire venir du public aux courses. Et nous avons tort.
Ne pensez pas comme un sport
Clare Vigors est directrice du service clientèle de Two Circles, une agence de sport basée sur la data. Son point de vue est clair : « Nous ne sommes pas dans le business du sport mais dans celui des fans – mot dont vous risquez d’être vite lassés tant nous allons en parler. Les différents relais de croissance d’un sport ne peuvent fonctionner que si l’on comprend ce que les fans veulent. Pourquoi sont-ils importants ? Depuis dix ans, le sport hippique a enregistré une grande croissance, avec des «sports right revenue» en hausse de 50 %. Mais il ne faut pas perdre sens avec la réalité : cela n’est possible que si vous avez des gens qui vous suivent. En 2030, on estime que plus de 4 milliards de personnes suivront les sports, avec un vrai potentiel de développement en Asie, Moyen-Orient et Afrique. Voici pour la bonne nouvelle. La mauvaise ? Le sport va se développer mais pas tous les sports. On estime que 15 % des organisations sportives vont disparaître. Pourquoi la NBA, la NFL [football américain, ndlr] ou la Premier League deviennent-elles de plus en plus puissantes ? Parce qu’elles mettent tout en œuvre afin de comprendre ce que les fans désirent et elles sont de plus en plus performantes dans ce domaine… »
Revenons à notre postulat : nous ne comprenons pas pourquoi le sport que nous aimons tant, que nous trouvons si beau et passionnant, n’est pas plus populaire. Clare Vigors explique que cela revient à prendre le problème à l’envers : « Il y a le principe de l’offre et de la demande. Vous êtes l’offre… mais c’est sur la demande que vous devez vous concentrer. Et donc comprendre ce que les fans désirent : l’offre arrive ensuite. Il y a fan et fan. Le sport repose sur un public de passionnés purs et durs. Il ne faut évidemment pas les ignorer, toutefois il faut comprendre que beaucoup de fans potentiels ne vont jamais rentrer dans cette catégorie. Mais ce n’est pas un souci. » Si nous sommes des passionnés convaincus en matière de courses hippiques, nous soutenons tous un – voire plusieurs – autres sports en les suivant de façon plus occasionnelle.
Les leviers pour devenir fans
Clare Vigors analyse : « La plupart des personnes commencent à s’intéresser à «quelque chose» dans la fourchette d’âge située entre 11 et 14 ans. Il y a trois étapes à franchir pour devenir un fan : comprendre, s’intéresser, appartenir. » D’où le célèbre : «On aime que ce que l’on connaît». Pour connaître, il faut préalablement découvrir : « Il vous faut réussir à construire une connaissance pour déclencher des passions. Il faut lever les obstacles. Utiliser les communautés est un bon moyen. Beaucoup de sports organisent des espaces communautaires. Une passion partagée est une passion renforcée. » En ce sens, le succès et l’émulation aperçue dans les fan zones pour les Jeux Olympiques en sont une parfaite illustration.
L’exemple de Hongkong
Dennis Hau, directeur exécutif de la stratégie et innovation clientèle du Hong Kong Jockey Club, a expliqué : « Que veulent les fans ? Premièrement, être enthousiasmé par les courses. Ensuite, des opportunités de parier. Troisièmement, des informations et des données sur les courses. Quatrièmement, une offre personnalisée. Cinquièmement, appartenir à une communauté sociale. Enfin, voir leurs favoris gagner ! À Hongkong, nous avons une baisse des enjeux qui est liée à beaucoup de facteurs différents mais cela montre tout de même que nous ne faisons pas suffisamment pour nos clients. Notre objectif est d’utiliser toutes les datas pour consolider notre base et apporter à nos clients ce qu’ils souhaitent. Nous réfléchissons au moyen de les surprendre, avec des offres personnalisées. Nous rêvons à la création d’un ChatGPT des courses pour répondre à leurs questions et les aider – évidemment, cela demande beaucoup de datas. Cinq de nos centres, en ville, ont été rénovés pour proposer de nouvelles expériences, destinées notamment à la Gen Z, et offrir plus d’engagements auprès de nos fans. Nous allons inaugurer, à Happy Valley, un tout nouveau restaurant, qui proposera également aux clients une immersion digitale unique, avec un rond de présentation virtuel qui permettra de fournir nombre de données aux clients. Nous réfléchissons aussi à l’utilisation de la réalité virtuelle ».
La méthode J.R.A.
Peut-être vous souvenez-vous de Fumitaka Tsuruoka, qui a été l’un des représentants en France de la Japan Racing Association (J.R.A.) ? Désormais conseiller technique senior de la J.R.A., il est revenu sur les méthodes utilisées pour satisfaire les passionnés : « Les fans passent en premier. Peut-être connaissez-vous le mouvement Fire ? Financial Independance, Retire Early [achever l’indépendance financière le plus rapidement possible pour prendre sa retraite le plus tôt possible, ndlr]. Dans les courses, le concept est bien connu… pour les chevaux. Beaucoup partent à la retraite dès la fin de leur année de 3ans et, pour les fans, ce départ s’apparente à un répulsif. Les champions doivent s’affronter et courir. Au Japon, quasiment tous les chevaux courent à 4ans, si ce n’est à 5ans et plus. Equinox a gagné quatre Grs1 à 4ans, ce qui a rendu les passionnés heureux. Ils étaient émus de le voir. L’émotion est un moyen marketing efficace. »
On nous dira que les enjeux – financiers ou d’élevage – sont très importants pour les champions. Du côté de la J.R.A., la perspective est envisagée non pas du côté des professionnels mais du côté des fans, et Masayoshi Yoshida, président de la J.R.A., nous l’avait bien expliqué en début d’année : « Il ne faut pas croire que les enjeux financiers autour des carrières d’étalons ne sont pas importants au Japon : ce n’est pas le cas, ils le sont. Sur ce sujet, je crois que le niveau élevé des allocations est l’un des facteurs les plus importants. Mais il y a certainement des propriétaires qui veulent aussi répondre aux attentes des passionnés de courses ou voir les meilleurs chevaux s’affronter en piste. Quand les meilleurs chevaux de différentes générations s’affrontent, cela passionne les gens. En conséquence, les enjeux sont meilleurs et comme les enjeux font les allocations… La J.R.A. fait donc son maximum pour pouvoir offrir ce type de courses au public. »