DE STOUTE À AMO, ET D’AUTRES GÉANTS

Par Franco Raimondi. Depuis plus d’une quarantaine d’années, le passe-temps hivernal favori des amoureux des courses en Angleterre était de commenter le potentiel des 2ans de Sir Michael Stoute ayant couru tout au long de la saison précédente et de tenter de deviner le nom de son futur lauréat du Derby. Tout a changé… Nous avions digéré sans trop de difficulté la création du Dubai Carnival en 2003, réussi à apprécier la montée en puissance d’autres pays et les courses d’hiver sur les pistes en sable fibrées (P.S.F.), mais cette année sera plus dure, car la saison qui arrive sera la première sans les chevaux de Sir Michael Stoute, qui a décidé de mettre un terme à sa carrière démarrée en 1972, alors qu’il n’avait pas encore 24 ans. Il a gagné son premier Gr1, les Nunthorpe Stakes, avec Blue Cashmere (Kashmir II), inventé le sprinter à 4ans le jour J, deux ans plus tard. La première saison anglaise sans Sir Michael Stoute est une pilule difficile à avaler, surtout si l’on pense que son dernier Derby, remporté avec le malheureux Desert Crown (Nathaniel), date de 2022.

Le lauréat d’Epsom en 2025 ne sera pas donc un résident de Freemason Lodge, la base de Sir Michael Stoute, même si, dans l’historique écurie de Newmarket, arriveront les chevaux d’Amo Racing, l’opération de courses – et, à l’avenir, d’élevage – de Kia Joorabchian et de ses associés. L’homme qui est devenu, au fil des années, l’un des patrons du marché international du football a décidé de créer une nouvelle superpuissance. Il est l’investisseur numéro un sur le marché du pur-sang et a dépensé plus de 62 millions d’euros pour acheter, en solitaire ou en association, 68 chevaux, soit une dizaine de millions de plus que Godolphin. Il s’est offert les deux top prices de Tattersalls October Book 1, ainsi que celui de Tattersalls December Foal et You Got to Me (Nathaniel), la pouliche la plus chère de cette année.

La plus grosse partie des investissements d’Amo Racing concerne le segment des yearlings. Ils seront donc plutôt des candidats aux classiques de 2026 mais, comme il l’a dit dans le podcast Off the Bridle conduit par les entraîneurs George Scott et Charlie Fellowes, son programme s’inscrit dans la durée : « Godolphin a fait un travail incroyable, Coolmore est la meilleure opération du monde, Juddmonte est dans la même ligue, Shadwell continue à produire des champions et Sumbe a beaucoup investi en France. Je me rends compte que leurs élevages n’ont pas des années, mais des dizaines d’années d’avance, et nous ne pouvons pas croire que nous serons compétitifs dans un an ou deux, simplement parce que nous avons dépensé beaucoup d’argent. »

Si l’achat de Freemason Lodge se concrétise comme prévu début janvier, le maître des lieux sera le jeune entraîneur brésilien Raphael Freire (28 ans), qui s’occupe déjà des chevaux d’Amo Racing basés à Lambourn. Il en est à sa deuxième saison anglaise. Fils et petit-fils d’entraîneurs au Brésil, il a monté en course et a décroché sa licence d’entraîneur en Norvège en 2019. C’est un grand pari. Pour lui comme pour Kia Joorabchian. Notons que l’homme d’affaires a ajouté à sa liste d’entraîneurs George Scott et Sir Mark Prescott.

Une page se tourne, comme chaque année, à Ballydoyle. Auguste Rodin (Deep Impact) et City of Troy (Justify), les neuvième et dixième lauréats du Derby d’Aidan O’Brien, sont partis au haras. Il faut trouver le onzième. En 2024, les 2ans de Ballydoyle ont écrasé le record de Groupes gagnés, qui remontait à 2001 : 24 avec 16 chevaux différents. La comparaison a ses limites car les Groupes étaient moins nombreux en 2001, mais le score reste impressionnant. Pour mémoire, l’équipe de 2001 avait gagné 11 Grs1 avec sept juniors ; celle de 2024 en est à sept avec cinq sujets, dont trois pour la seule pouliche Lake Victoria (Frankel).

La première saison presque sans Galileo (Sadler’s Wells) s’est bien passée. Si l’on analyse les pères des 2ans gagnants de Groupe pour Aiden O’Brien, on trouve, parmi les étalons Coolmore, cinq Wootton Bassett (Iffraaj), trois No Nay Never (Scat Daddy), un Churchill (Galileo) et un American Pharoah (Pioneerof the Nile). Mais aussi, hors étalons Coolmore, trois Frankel (Galileo), un Dubawi (Dubai Millennium), un Night of Thunder (Dubawi) et un Sea the Stars (Cape Cross) – le fameux The Lion in Winter, qui s’est arrêté en août mais est le préféré des observateurs pour le Derby.

Autre record : Aidan O’Brien a gagné en Irlande avec 54 juniors différents en 83 partants.

Godolphin a gardé à l’entraînement le classique Notable Speech (Dubawi), qui a sauvé la saison des Bleus avec le vétéran Rebel’s Romance (Dubawi) et d’autres qui ont évolué surtout hors d’Europe. Les 2ans ont brillé en fin de saison en remportant trois des quatre Grs1 de Newmarket, avec notamment le doublé Middle Park & Dewhurst de Shadow of Light (Lope de Vega) et le Fillies’ Mile de Desert Flower (Night of Thunder), sans compter Ancient Truth (Dubawi), qui est tenu en haute estime par Charlie Appleby.

L’année 2025 du galop à l’étranger commencera très tôt. Le champion de Hongkong Romantic Warrior (Acclamation) découvrira Meydan le 24 janvier, avec comme objectif la Saudi Cup (Gr1) sur le dirt. La saison est désormais étalée sur douze mois, d’un Carnival à l’autre. On peut regretter les hivers passés à étudier le futur Derby winner de Sir Michael Stoute, mais enfin, il faut vivre avec son époque. Heureuse retraite, Sir Michael… Et aux courses, les amis !