JEAN-PIERRE TOTAIN, DE PAU À CHELTENHAM… EN PASSANT PAR ABU DHABI !
L’ancien entraîneur de Pau connaît une réussite protéiforme en tant qu’éleveur, de l’Angleterre aux pays du Golfe. L’histoire de Jean-Pierre Totain pourrait tout à fait faire l’objet d’un film. C’est celle d’un orphelin qui a réussi à s’imposer dans le monde des courses…
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
L’Eau du Sud (Lord du Sud) a récemment remporté le Betfair Henry VIII Novices’ Chase (Gr1). Le représentant de Sir Alex Ferguson (et de ses associés) fait désormais partie des trois favoris de l’édition 2025 de l’Arkle Challenge (Gr1) lors du prochain festival de Cheltenham. Son histoire est intimement liée à celle de son éleveur, le Béarnais Jean-Pierre Totain (écurie d’Ossau) qui entraînait la deuxième mère, la célèbre Neriette (Vettori)…
Elle n’avait rien d’un cheval d’obstacle
Lors de son achat, Neriette (Vettori) n’avait vraiment pas une « tête de cheval d’obstacle »… et elle a d’ailleurs démarré sa carrière en plat. Issue d’un grand élevage – celui de Lady O’Reilly -, c’était une fille de Vettori (Machiavellian), un étalon hors-sujet dans le monde des sauteurs. Qui plus est sur une famille américaine. En outre, sa mère avait presque 20ans lors de sa naissance. Jean-Pierre Totain se souvient : « Je l’ai achetée aux ventes en association avec Jean-Pierre Hebrard. Toute petite, elle ne ressemblait à rien. Et je me suis même fait un peu charrier. Mais le papier maternel de Neriette était excellent. Un de ses frères Nerio (Star Appeal) avait gagné le Prix Noailles (Gr2). Un autre Never (Vettori) avait remporté le Kennel Gate Novices’ Hurdle (Gr2) à Ascot. C’était une vraie famille de chevaux solides. À cet instant, Vettori n’avait pas la cote. Compte tenu de cela et du manque de taille de la pouliche, Neriette a coûté quelque chose comme 50.000 francs [environ 8.000 €, ndlr]. » Neriette a commencé sa carrière en plat au mois de mars de 3ans à Libourne. Troisième. Elle a couru sept fois dans cette discipline à 3ans, atteignant une valeur 31,5 sur 2.000m. Assez vite, le Palois essaye la petite pouliche sur les obstacles : « Neriette était dure comme le fer. Bonne sauteuse, elle a gagné à Hyères sur les haies et je l’ai directement envoyée sur le steeple de Pau car elle était douée. C’est vraiment là que sa carrière a décollé. Je pense que c’est la meilleure femelle de l’histoire paloise sur les obstacles. Tout simplement. Elle a gagné sept courses, dont le Grand Prix (Gr3), la Grande Course de Haies (L), le Palaminy (L), le Gaston PhÅ“bus… Son palmarès devrait compter deux Grand Prix, mais elle a été distancée de manière tout à fait injuste. » De l’audace, Jean-Pierre Totain n’en manque pas et sa pouliche a d’ailleurs remporté le Gilles de Goulaine à Auteuil (L). Mieux encore, elle est même allée jusqu’au Japon courir le Nakayama Grand Jump 2004 !
Toute petite, Neriette ne ressemblait à rien. Et je me suis même fait un peu charrier.
D’un outsider à l’autre
Après six saisons de compétition, Neriette a été mise à la reproduction par Jean-Pierre Totain, mais elle est malheureusement morte en n’ayant donné que trois produits. La dernière était une fille de Walk in the Park (Montjeu), alors étalon débutant au haras du Val Raquet et proposé à seulement 2.500 €. Qui aurait pu imaginer qu’il deviendrait dix ans plus tard le premier père de sauteurs à dépasser le tarif de 20.000 € (officieusement car il est private depuis 2016). Si Neriette n’avait pas la tête de l’emploi dans le monde de l’obstacle, on peut aussi dire que Walk in the Park fait lui aussi figure d’outsider au haras. Essayé sur les obstacles sans succès en fin de carrière, c’était un cheval avec beaucoup de tenue mais sans véritable changement de vitesse. Habilement et patiemment préparé par John Hammond, Walk in the Park a tout donné pour se classer deuxième du Derby d’Epsom (Gr1) qui plus est en bénéficiant d’un parcours idéal pour finir entre Motivator (Montjeu), et Dubawi (qui ne tenait pas 2.400m). Ce fut le début de la fin pour Walk in the Park et son cÅ“ur est resté sur la piste d’Epsom. Les grands haras irlandais ont lancé des dizaines de chevaux supérieurs à lui au haras. Et pourtant, c’est bel et bien Walk in the Park que les lads de Coolmore sont venus racheter au docteur Semirot qui l’avait habilement déniché à la vente de l’Arc pour 195.000 €. Soit nettement plus cher que Blue Brésil (76.000 € à la vente d’automne) ou que Karaktar (110.000 € à la vente d’été). Jean-Pierre Totain détaille : « Walk in the Park me plaisait beaucoup. Et puis c’était tout de même un Montjeu. » Avec Neriette, il a donné Eaux Fortes (Walk in the Park) le premier vrai sauteur parisien de sa jeune production. La pouliche a en effet gagné à Auteuil à la fois en steeple et sur les haies. Eaux Fortes va faire partie des femelles que Jean-Pierre Totain a conservées pour tenter de faire perdurer la souche de sa jument de cÅ“ur : « Outre mes quatre ou cinq juments pur-sang arabes, je n’ai que deux poulinières d’obstacle. Et elles sont en association avec mes amis Arnaud Chaillé-Chaillé et Richard Evain. Je ne veux pas beaucoup de chevaux à l’élevage car cela doit rester mon plaisir. » Au haras, Eaux Fortes, la fille de Neriette, a donné L’Eau du Sud…
L’origine redémarre
Pendant une assez longue période, l’origine va être plus ou moins en dormance. Et puis en 2024, L’Eau du Sud (Lord du Sud) a gagné son Gr1, alors que Sony Bill (Battle Of Marengo), autre petit-fils de Neriette, s’est classé deuxième du Prix Stanley (L) avant de partir chez Willie Mullins. Au sujet de la conception de L’Eau du Sud, Jean-Pierre Totain se souvient : « Lord du Sud était loin d’ici, au haras du Lion. Je voulais un fils de Linamix. Mais les acheteurs, aux ventes, étaient nettement moins convaincus. Pourtant, c’était un beau poulain et je pensais le vendre assez cher. Heureusement, Arnaud Chaillé-Chaillé, qui est l’un de mes meilleurs amis, l’a acquis pour 14.000 €. Je me demande s’il ne l’a pas acheté pour me faire plaisir. En tout cas, bien lui en a pris… L’Eau du Sud a gagné à Pau au mois de décembre de ses 3ans. Mais il a été exporté après sa victoire dans le Prix Virelan (L) à Auteuil. Ensuite, en Angleterre, ils ont pris le temps pour en faire un cheval de steeple. C’est mon premier gagnant de Gr1 en tant qu’éleveur. Je vais essayer d’aller le voir courir à Cheltenham. »
Au cÅ“ur de l’actualité dans le Golfe !
Jean-Pierre Totain n’était pas passé loin d’un premier Gr1 (comme éleveur) en 2023 mais avec les pur-sang arabes. C’était avec la bonne Divana Chica (Majd Al Arab), deuxième du Qatar Arabian Trophy des Pouliches (Gr1 PA) pour Wathnan Racing. Là encore c’est une histoire d’amitié car il est associé sur la mère avec un autre de ses amis, Alban de Mieulle. Divana Chica vient de bien gagner au Qatar la préparatoire aux Oaks locales : « Alban de Mieulle a beaucoup travaillé et il s’est bien intégré là -bas. Il a fait une carrière que beaucoup lui envient. C’est la victoire du courage et de l’honnêteté. » Dimanche à Abu Dhabi, Alban de Mieulle va seller l’un des favoris dans la HH The President Cup (Gr1 PA) avec Abbes (TM Fred Texas) : « J’ai d’ailleurs vendu la deuxième mère, Sarahmina (Torando de Syrah), au cheikh Abdullah. C’est devenu l’une des plus belles souches. » La saison des bonnes courses de pur-sang arabes redémarre actuellement dans le Golfe. Vendredi soir à Meydan, Unleashed (Valiant Boy) a gagné les Madjani Stakes (Gr2). C’est un petit-fils de Darweesh (Amer), un étalon qui faisait la monte pour Jean-Pierre Totain : « À l’époque, malheureusement, presque personne n’a voulu utiliser Darweesh. Pourtant, il a donné de très bons chevaux comme Faucon du Loup (Darweesh) ou encore Valiant Boy (Darweesh). J’ai gardé plusieurs filles de cet étalon… » L’élevage et l’entraînement sont deux univers différents. On peut exceller dans l’un des domaines et échouer dans l’autre car ils ne font pas appel aux mêmes qualités. Chez Jean-Pierre Totain, la vocation d’éleveur est arrivée très tôt dans sa carrière : « Depuis le départ, c’est la passion du cheval, plus que celle de l’entraînement, qui me motive. Pour moi, avoir un élevage, c’est un accomplissement, un rêve. Ma compagne Alexandra s’en occupe énormément au quotidien. Vivre avec mes chevaux, c’est ce que j’ai toujours voulu. J’ai toujours souhaité élever à petite échelle pour ne pas avoir besoin de salariés et pour que cela reste un plaisir. Si cela devenait un jour une contrainte, j’arrêterais l’élevage. »
L’autre jument qui a changé sa vie
Jeune entraîneur est un métier difficile et à la fin des années 1980, Jean-Pierre Totain n’était pas dans la position de pouvoir faire la fine bouche : « En fait, je prenais tous les animaux que l’on voulait bien me proposer. Le jour où un client m’a suggéré de prendre un pur-sang arabe à l’entraînement, j’ai forcément dit oui. Ce premier cheval arabe, c’était Danzina (Zulus). En août 1989, elle m’a permis de décrocher ma première victoire avec un pur-sang arabe. La famille de Danzina donne des chevaux qui laissent leur cÅ“ur sur la piste, en particulier les femelles. C’est vraiment une très bonne famille. Ils ne sont pas forcément précoces ou tardifs, il y a un peu de tout de ce côté là . » Danzina était bonne deuxième d’une course qui serait aujourd’hui un Gr1, et est la mère ou la grand-mère de plusieurs chevaux de ce niveau, comme la bonne Divana Chica dont nous avons parlé un peu plus haut ! Grâce à Danzina, Jean-Pierre Totain s’est lancé à corps perdu dans les courses de pur-sang arabes alors en pleine explosion. À cette période, certains des coups de commerce les plus mirifiques de l’histoire du galop français ont été réalisés dans le Sud-Ouest. Ces chevaux, qui ne valaient rien quelques années auparavant, se sont soudainement vendus pour des millions (de francs) lorsque les grands propriétaires arabes ont commencé à acheter en France. Jean-Pierre Totain, avec un indéniable talent d’entraîneur, mais aussi la bosse du commerce, a été assez habile pour tirer son épingle du jeu lors de cette période euphorique sur le plan commercial : « J’ai compris que pour les propriétaires du Moyen Orient, la question n’était pas le prix des chevaux ou le montant des allocations. Ils ne sont pas là pour l’argent. Leur but, c’est de gagner de bonnes courses. Et pour cela, il faut leur trouver de bons chevaux. » Il poursuit : « Danzina, c’est ma souche de cÅ“ur. Mais les tout meilleurs pur-sang arabes que j’ai entraînés n’en étaient pas issus. C’est certainement Mushrae (Munhiz) ou encore Badad (Tidjani) pour le cheikh Mansour. Sans oublier Magic de Piboul (Dormane)… »
Magic de Piboul a été le premier pur-sang arabe entraîné en France à remporter la Kahayla Classic (Gr1 PA), c’est-à -dire la Dubai World Cup des pur-sang arabes. Alors que Mushrae s’est imposé dans la Qatar Arabian World Cup (Gr1 PA) le jour de l’Arc. Badad s’était imposé dans la grande épreuve internationale du meeting d’Istanbul. Très tôt dans sa carrière, Jean-Pierre Totain a compris qu’il fallait voyager avec les pur-sang arabes : « Je suis un des premiers français à avoir couru et gagné en Turquie, à Abou Dhabi, au Maroc, en Sardaigne… L’international, c’était aussi à l’époque une manière de permettre de faire gagner des Groupes à des chevaux qui n’avaient pas le niveau pour cela en France. Pour les propriétaires du Golfe, c’est essentiel. »
J’ai grandi dans un orphelinat. Non loin de cet établissement, il y avait une écurie. Je m’échappais pour aller voir les chevaux. Et je me faisais punir à mon retour à l’orphelinat…
À cheval entre deux mondes.
Beaucoup de bons entraîneurs de pur-sang arabes ont connu la réussite à haut niveau en obstacle, comme Arnaud Chaillé Chaillé, François Rohaut… : « De toute manière, l’obstacle est formateur et beaucoup de bons entraîneurs de plat ont commencé ainsi, d’Aidan O’Brien à André Fabre en passant par Jean-Claude Rouget… » C’est aussi le cas de son mentor Jean Lesbordes qui a remporté l’Arc et de grandes courses à Auteuil. : « J’ai grandi dans un orphelinat. Non loin de cet établissement, il y avait une écurie. Je m’échappais pour aller voir les chevaux. Et je me faisais punir à mon retour à l’orphelinat… La passion des chevaux est née ainsi. Je ne soupçonnais même pas l’existence des courses. J’étais attiré par l’animal. Après la troisième, les jeunes de l’orphelinat étaient souvent dirigés vers un apprentissage. Je n’avais pas franchement envie de devenir menuisier. Étant donné que j’aimais les chevaux, on m’a placé à l’Afasec. C’est ainsi que j’ai fait mon entrée dans le monde des courses, totalement par hasard. Au début de ma carrière, j’ai été lad dans plusieurs écuries de la région, dont celle de Jean-Claude Rouget, mais j’étais alors très jeune. Par la suite, j’ai intégré l’équipe de Jean Lesbordes. Comme lad dans un premier temps, avant d’être nommé responsable de l’écurie. Il a été le premier à me confier des responsabilités, à me laisser monter tous les bons chevaux. C’est un vrai passionné, un entraîneur d’exception. C’est vraiment chez lui que j’ai appris à travailler les chevaux. Je me suis beaucoup inspiré de lui. Quand Jean Lesbordes est parti à Paris, j’avais 26 ans. C’était en 1987. Je ne voulais pas rester employé toute ma vie. Alors je me suis lancé. Je suis devenu entraîneur public. N’ayant rien, je n’avais rien à perdre. Je me suis alors dit que si ça ne marchait pas, je changerais de métier. J’ai débuté en entraînant deux chevaux destinés à la boucherie, achetés 5.000 francs (environ 760 €) avec des amis. Sir Do (Sissoo) était l’un de ces deux chevaux. Je l’ai revendu à monsieur Campanella, mon premier propriétaire. C’est vraiment Sir Do qui m’a lancé. Le cheval a gagné sept courses et plus de 100.000 € de gains. Les résultats aidant, assez rapidement, on m’a confié d’autres chevaux… »
L’obstacle est formateur et beaucoup de bons entraîneurs de plat ont commencé ainsi, d’Aidan O’Brien à André Fabre en passant par Jean-Claude Rouget…
Par amour pour Pau
Jean-Pierre Totain a été une fois tête de liste par le nombre de victoires lors du meeting de Pau. Mais il l’a été à plusieurs reprises selon le taux de victoires : « Viser ce meeting était un choix. Car ensuite, les chevaux ont besoin de repos au moment où on court à Paris. » L’époque était différente car le Sud-Ouest avait alors un réel vivier de propriétaires : « J’ai toujours dit que je voulais arrêter le métier jeune pour avoir le temps de vivre mes autres passions. Une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté – mais pas la seule, car au même moment, des opportunités se sont présentées à moi -, c’est que j’ai senti que le propriétariat local était en difficulté. Par le passé dans le Sud Ouest, le boucher, le charcutier, ou encore l’architecte du coin avait un cheval. Cela ne lui coûtait pas trop cher et il allait aux courses. On gagnait des épreuves et on fêtait cela au restaurant. L’ambiance n’avait absolument rien à voir avec celle d’aujourd’hui. La concurrence était bien moindre à l’époque en province. Les courses n’étaient pas internationales comme elles peuvent l’être de nos jours. Quand j’étais jeune professionnel, on entraînait ce qu’on trouvait localement chez les éleveurs. Cela n’a rien à voir avec la situation actuelle. Les jeunes qui s’installent sont méritants car il y beaucoup moins de propriétaires. Il faut qu’ils réinventent le métier pour trouver des clients. En sachant que ce sont les bons entraîneurs qui font les centres d’entraînement. Regardez Jérome Reynier à Calas. »