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Les courses et les datas (épisode 1/3)
La méthode Ciaron Maher : rationaliser pour mieux gérer
Ciaron Maher est l’une des figures incontournables des courses australiennes. L’ancien jockey installé entraîneur en 2005 – avec des chevaux d’obstacle – est devenu en quelques années l’une des superpuissances des courses australiennes. Associé avec David Eustace depuis 2016, il a été le premier entraîneur australien à développer une équipe d’analystes de données, dont a fait partie la Française Morgane Molle.
Un effectif important à gérer
En quelques années, Ciaron Maher a développé son effectif de façon spectaculaire. En Australie, la quantité doit être alliée à la qualité si l’on veut réussir à faire sa place… N’oublions pas que l’Australie est grande, avec les principales courses réparties entre l’État de Victoria (celui de Melbourne) et l’État de New South Wales (celui de Sydney), pour simplifier. Un peu à l’image des « super-entraîneurs » américains, qui ont des effectifs répartis sur plusieurs États, Ciaron Maher doit trouver un moyen de gérer ses pensionnaires sans avoir le don d’ubiquité.
Une des solutions est de s’appuyer sur les données, comme nous l’explique Morgane Molle : « L’effectif géré est colossal : 600 chevaux, répartis dans différentes propriétés, et ils essayent de plus en plus de maîtriser chacune d’entre elles. Les chevaux sont répartis sur les centres d’entraînement de Sydney, où j’étais, avec 70 à 80 chevaux, de Ballarath, du côté de Melbourne, avec une centaine de chevaux, ainsi qu’à Fingal, où on trouve pas mal de collines pour les phases de préparation avant de partir vers les gros centres d’entraînement. D’autres sont en phase de spelling [de repos, ndlr] à la plage, d’autres au débourrage. Ils essayent de gérer tout cela au maximum en interne. L’équipe utilise principalement Arioneo, ainsi qu’un peu iTracker. Cela fait trois ou quatre ans que Ciaron Maher fait appel à ces technologies. L’entraînement en Australie, c’est soit très doucement, soit très vite ! Ils peuvent faire deux tours de piste un peu au-dessus du galop de chasse ou des galops rapides sur le gazon ou la polytrack. Sauf raison exceptionnelle, ces derniers sont tous monitorés. Quand on fait la liste des travaux le matin, on détermine ceux qui seront trackés, avec validation de l’assistant entraîneur. En Australie, nous avons aussi les jump outs et les trials, qui sont tous monitorés. En général, il y a deux minutes pour changer le tracker de cheval entre la sortie de piste de l’un et l’entrée en piste de l’autre. C’est donc une vraie logistique à mettre en place : il y a cinq ou six trackers pour environ 80 chevaux. Il n’est pas possible pour l’entraîneur de voir tous les chevaux sur tous les centres, d’où l’importance des données dans le cas où cela n’est pas possible. Pour ceux qu’il voit, les données sont un complément qui devient, je crois, de plus en plus indispensable. Il est toujours possible de faire sans mais, dans ce cas, il y a un peu de frustration, le sentiment d’avoir une perte d’information. Surtout au niveau de la récupération des chevaux. »
Optimiser
La solution Equimètre d’Arioneo, utilisée par Ciaron Maher et son équipe, permet de récolter de nombreux types de données. Reste à savoir lesquelles l’entraîneur souhaite exploiter : « En soi, connaître la vitesse d’un cheval n’est pas un enjeu. En Australie, on travaille au temps, donc on sait à quelle vitesse le cheval est allé et le cavalier sait, en se mettant en selle, ce qu’il doit faire. Les données récupérées permettent surtout de quantifier l’intensité du travail, de voir si le cheval progresse ou non et s’il prend bien le travail. Selon les résultats des données, nous pouvons avoir des indications sur les artifices à utiliser si besoin, comme les attaches-langues ou les bonnets, et nous pouvons habituer les chevaux à les avoir. Les données sont surtout utilisées pour la récupération. C’est vraiment l’enjeu premier. Les données servent à comparer le cheval… à lui-même ! Elles permettent de mieux suivre son évolution. Pour ce faire, le cheval est monitoré au moins une fois par semaine. Les travaux sur les tapis roulants le sont aussi. »
Une équipe d’analystes de données
Les données, c’est bien. Mais encore faut-il savoir quoi en faire et les analyser. Cela demande du temps, qu’un entraîneur n’a pas forcément à sa disposition. Ciaron Maher a trouvé la parade et a recruté une équipe d’analystes de données, dont Morgane Molle a fait partie : « Il y a toute une équipe dédiée à la data science. L’équipe est gérée par Josh Kadlec-Cavanagh. Il vient de l’analyse de datas de façon générale, a mis en place des plateformes et des outils de valorisation de données développés uniquement pour Ciaron, qui permettent par exemple la création de graphiques pour optimiser le travail. On trouve aussi Katrina Anderson. C’est une athlète dans la course à pied et elle a fait une thèse sur l’analyse des données sur les chevaux de course. En ce qui me concerne, j’ai pris la suite de Romane Borrione sur l’analyse de datas, qui travaille désormais pour Lindsay Park. Il y a trois ou quatre personnes qui travaillent uniquement sur les données, ce sont des métiers qui émergent. Il y a beaucoup de travail puisque le nombre de chevaux est important. »
Un outil de communication possible envers les propriétaires
L’Australie est le pays de la multipropriété. Les écuries de groupe ou les syndicats sont bien organisés mais il n’en reste pas moins que donner des nouvelles régulières à tout le monde est un sacré défi. Les données à l’entraînement peuvent être un bon outil de communication envers eux, à condition de savoir bien les exploiter : « Les données sont un moyen de communication envers les propriétaires, mais c’est un outil de communication qu’il faut maîtriser. Quelques-uns des éléments clés leur sont envoyés. La difficulté est de ne pas envoyer de données brutes qui, potentiellement, peuvent être mal interprétées. C’est bien d’avoir des données mais chacun peut en faire ce qu’il veut, il faut donc les maîtriser. »
Un pays ouvert à la nouveauté
L’Australie, avec ses entraînements chronométrés et ses trials bien rodés, avait déjà un terreau en place pour l’introduction de la data science à l’entraînement. Ciaron Maher a été le premier à vraiment révolutionner l’utilisation des données le matin mais d’autres lui emboîtent le pas : « Rien qu’à Warwick, on voit apparaître de plus en plus de trackers, il y a un vrai boom de ce côté-là en Australie. Je crois qu’il y a là -bas une vraie ouverture d’esprit sur le sujet, cela vient plus naturellement. Peut-être parce qu’il y a une plus grande habitude : le matin, tout le monde a une montre dans la main pour chronométrer les travaux. On voit une envie d’essayer de nouvelles choses. L’entraîneur est à la tête de tout, mais il n’hésite pas à s’appuyer sur d’autres personnes, que ce soit un racing manager, un chargé de communication… Il est certain que tout cela a un coût mais les courses australiennes ont cette capacité-là à créer de l’attrait. J’ai le souvenir d’un homme qui venait le matin travailler à l’entraînement et n’hésitait pas à faire les boxes. Il n’en avait pas besoin financièrement parlant puisqu’il était trader, mais c’était son plaisir ! L’Australie a réussi à créer un cercle vertueux autour des courses, qui n’ont pas une image vieillissante. En France, j’ai l’impression que la retenue est en train de se lever sur le sujet des données, je trouve cela très positif. C’est un vrai plus, à condition de savoir quoi en faire. »