samedi 27 juillet 2024
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Blue Rose Cen, la réussite d’une vraie stratégie

Blue Rose Cen, la réussite d’une vraie stratégie

Avec Blue Rose Cen, Big Rock et Ramatuelle, Leopoldo Fernandez Pujals fait une entrée fracassante dans le monde de l’élevage. Les spéculations vont bon train. Mais quelle est la véritable la stratégie de l’homme de la Yeguada Centurion ?

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

L’histoire de l’élevage est riche de moments ironiques et de réalités contre-intuitives qui prennent nos certitudes à contre-pied. Cette année, les deux meilleurs 3ans français – Ace Impact (Crasckman) et Blue Rose Cen (Churchill) – sont issus de mères black types acquises “pas chères” lorsqu’elles étaient yearlings. Absolutely Me (Anabaa Blue) n’avait pas une “grande page” et le marteau est tombé à 16.500 € chez Osarus. C’est la mère d’Ace Impact. Un profil qui correspond aussi à celui de Queen Blossom (Jeremy), génitrice de Blue Rose Cen…

Elle n’a coûté que 15.000 €

Lorsque Queen Blossom est passée sur le ring de Goffs pour la première fois, la saillie de son père Jeremy (Danehill Dancer) était tombée à 3.000 € (contre 12.500 € en débutant). Et son futur entraîneur Patrick Prendergast l’a obtenue pour “seulement” 15.000 €. Là encore, la page n’avait rien d’extraordinaire… Queen Blossom a été élevée puis vendue par l’Irish National Stud (où son père faisait la monte) et Gary Swift, l’un des responsables du haras, se souvient : « Foal, elle n’avait pas assez de force pour aller aux ventes. Mais c’était une yearling athlétique, bien que petite et assez “ordinaire” physiquement, comme beaucoup dans cette famille. Patrick Prendergast n’était alors qu’un jeune entraîneur. Mais elle lui avait tapé dans l’œil et lorsque le marteau est tombé, il était un peu surpris de l’avoir eue pour si peu. Dès ses premiers travaux, elle a montré beaucoup d’aptitude : il disait à qui voulait l’entendre qu’elle était exceptionnelle. Queen Blossom a gagné à 2ans et s’est classée quatrième de Listed à cet âge. Pour sa rentrée à 3ans, elle a gagné les Park Express Stakes (Gr3) et le Team Valor l’a achetée. »​​​​​ ​ ​Quatre ans plus tard, Ted Durcana signé le bon à 110.000 Gns pour la double lauréate de Groupe à la vente de décembre de Tattersalls. Mais son client, l’entraîneur Peter Magnier, est mort entre-temps et Queen Blossom s’est retrouvée dans le catalogue de novembre 2019 chez Goffs. La jument a été “scratchée” et c’est à l’amiable qu’elle a rejoint l’effectif de la Yeguada Centurion.

Une question de masse critique

Alan Porter est l’un des conseillers en croisement les plus célèbres au monde et il travaille pour Leopoldo Fernandez Pujals quasiment depuis les premières heures de son élevage de galopeurs. Je lui ai demandé pourquoi il avait fait acheter Queen Blossom. Et sa réponse a été limpide : « Monsieur Pujals voulait atteindre rapidement ce que l’on appelle une masse critique [un nombre suffisant de poulinières pour avoir une réelle probabilité de réussir, ndlr]. Il a donc acquis un groupe de juments pleines aux enchères et à l’amiable. » Oui, mais pourquoi celle-là en particulier ? « La grande force de Queen Blossom, bien sûr, c’était d’avoir été une bonne jument de course, lauréate de Groupe en Irlande et aux États-Unis. Elle était pleine de Churchill lors de son achat, et c’est bien sûr une variante du croisement de Galileo sur Danehill. Le pedigree de Queen Blossom n’avait rien d’extraordinaire. Mais j’ai tendance à penser que si vous n’avez pas de millions à dépenser, il faut faire des concessions. On veut le meilleur sur tous les plans, mais avec une bonne jument de course, on peut être conciliant sur les premières générations du pedigree. Surtout pour un élevage comme la Yeguada Centurion qui est surtout là pour courir, même si certains yearlings passent en vente. Monsieur Pujals et son équipe ont beaucoup d’expérience dans les sports équestres : ils ont donc une idée assez précise de ce qu’ils veulent sur le plan de la conformation. »

Au départ il y a Dario Hinojosa

Alan Porter m’a aussi raconté : « J’ai travaillé avec Dario Hinojosa pendant vingt-cinq ans, et il m’a mis en contact avec son ami monsieur Pujals. » L’homme de Darpat France (Recoletos, Chinchon…) a beaucoup pratiqué les inbreedings sur les grandes poulinières. Comme dans le cas du double gagnant de Gr1 Huetor (Archipenko) qui a trois fois la célèbre Special (Forli) dans les cinq premières générations de son pedigree. À l’inverse, les chevaux de la Yeguada Centurion ne semblent pas avoir beaucoup d’inbreedings de ce type : « Dario Hinojosa a des juments qui descendent de la souche de Special. Cette famille semble bien fonctionner avec le type d’inbreedings que vous venez d’évoquer. Dans certains cas particuliers, je peux proposer des inbreedings proches. Mais c’est vraiment dans des conditions et familles particulières comme celle avec laquelle Dario Hinojosa a si bien réussi. J’ai fait beaucoup de recherches, en particulier lors de la création de TrueNicks : il apparaît que même si l’on peut obtenir de très bons chevaux avec cette pratique, les inbreedings proches n’ont pas un très bon taux de réussite. Lorsque les bons chevaux ont des inbreedings ou des linebreedings, c’est souvent plus loin dans leur pedigree. Bien sûr, il y a des exceptions… »

Un problème de traduction

On ne croise pas Leopoldo Fernandez Pujals tous les matins à Chantilly. Aussi, après le Diane, j’ai filé à la conférence de presse, pour l’entendre expliquer sa stratégrie d’achat de juments. Malheureusement, la réponse en anglais de l’homme de la Yeguada Centurion a été mal traduite. Ainsi on a pu lire dans plusieurs périodiques : « Quand on se lance dans un tel projet en faisant le choix d’acquérir quatre-vingts poulinières directement ou indirectement liées à des victoires de Grs1, comme l’a fait Leopoldo Fernandez Pujals, on met quand même toutes les chances de son côté. » Ce n’est pas du tout ce que l’éleveur a voulu dire. Redonnons la parole à Alan Porter qui détaille la stratégie de son client : « Pour les achats de juments, je fais des suggestions et nous comparons nos listes. Mais c’est monsieur Pujals et son équipe qui prennent leur propre décision. Et ils repèrent aussi eux-mêmes des juments. Ce fut le cas de Needmore Flattery (Flatter), une jument black type exceptionnellement dure en course. Ils l’ont achetée 195.000 $, alors que son fils Taiba (Gun Runner) était foal. Or il a gagné trois ans plus tard le Santa Anita Derby et le Pennsylvania Derby (Grs1). Royal Story (Lemon Drop Kid), acquise 125.000 $, était elle aussi black type. Sa fille Queen Goddess (Empire Maker) était alors yearling. Et elle a plus tard remporté les American Oaks (Gr1). Ces deux poulinières, monsieur Pujals et son équipe les ont trouvées eux-mêmes. Ils ont pris de très bonnes décisions en choisissant des juments black types qui correspondaient à leur idée de la conformation. » Voilà ce que Leopoldo Fernandez Pujals a essayé d’exprimer en conférence de presse après le Diane !

Bien acheter… et au bon moment

De 2018 à 2020, Leopoldo Fernandez Pujals a procédé à des investissements colossaux. Et il l’a fait au bon moment, alors que le marché était pour partie secoué par le Covid. Sur ces trois années, il a acheté pour 12 millions de dollars de chevaux (sans compter les amiables). Avec ce budget, plusieurs options possibles : acheter douze juments à un million ou un nombre plus important à des tarifs moins élevés. C’est ce deuxième scénario qu’il a choisi. Et sur la soixantaine de juments acquises en vente publique, toutes n’ont pas des pages de catalogue incroyables, mais 80 % sont black types. Et si l’on ajoute celles qui ne le sont pas, mais dont au moins l’un des produits a pris du caractère gras, on arrive à 90 %. Alan Porter détaille : « Monsieur Pujal n’a pas fait de coup de folie. Il n’a pas acheté de juments à plus d’un demi-million. L’idée était plutôt d’atteindre, avec le même budget, la masse critique que nous venons d’évoquer. Raven’s Lady (Raven’s Pass), mère de la gagnante du Prix du Bois (Gr3), Ramatuelle (Justify), a le même profil que Queen Blossom. Une double gagnante de Groupe, avec une famille proche assez moyenne… et acquise à un tarif qui reste cohérent, 300.000 $ dans son cas. C’est un bon rapport qualité prix. Car elle est assez proche, d’un point de vue potentiel à l’élevage, d’une gagnante de Gr1 qui aurait coûté au moins un million de dollars. Sur un ring, la différence de prix entre une gagnante de Gr3 qui peut être placée de Gr1 et la gagnante dudit Gr1 est très importante, alors que le différentiel sur le plan de la valeur sportive l’est moins. Les juments qui ont été performantes en course, sur le dirt comme sur le gazon, ont en quelque sorte passé un “test de solidité” en compétition. »

L’autre incompréhension

Leopoldo Fernandez Pujals a dans un deuxième temps acheté beaucoup de juments américaines – y compris certaines ayant fait carrière sur le dirt – mais pour l’instant, il est impossible de se faire une opinion sur ce choix, car elles n’ont eu que très peu de partants chez nous. Et c’est là que réside une autre incompréhension concernant sa stratégie : malgré ces acquisitions américaines, tous ses bons chevaux actuels sont issus de ses achats précédents, c’est-à-dire européens ou ayant couru en Europe. Alan Porter détaille : « Je sais que monsieur Pujals aime l’idée d’importer des courants de sang purement américains. Cela semble avoir bien réussi à certains éleveurs français comme Jean-Luc Lagardère qui avait acheté aux États-Unis des juments black types à un tarif raisonnable. Les chevaux américains ont une grande vitesse de base. À l’inverse, la tendance française qui consiste à aller lentement avant de sprinter rend le verdict des courses assez aléatoire. Si la course roule dès le départ, ce sont les meilleurs qui sont automatiquement parmi les premiers à l’arrivée. Dans les ventes américaines, je pense qu’on peut trouver des juments de gazon ayant fait preuve de qualité au niveau black type pour un bon rapport qualité/prix. Mais seulement si on se concentre sur celles qui ne correspondent pas à ce que recherchent les Japonais ou les grands acheteurs internationaux. »

L’argent ne fait pas tout

Dans un article publié par TDN Australia New Zealand, Tom Wilson, analyste sur les questions de vente et d’élevage, a chiffré à 221 millions de dollars les achats en ventes publiques des Chinois de Yulong Investments (sous huit signatures différentes) entre 2015 et 2023. Cela permet d’apprecier d’autant plus le bon usage des 12 millions dépensés par Leopoldo Fernandez Pujals. Alan Porter conclut : « Blue Rose Cen est exceptionnelle. Et c’est tout aussi assez exceptionnel de l’avoir fait naître aussi rapidement dans une carrière d’éleveur. Il y a bien sûr une part de chance dans tout cela. Mais je crois que dans sa carrière d’entrepreneur, monsieur Pujals a toujours su provoquer ladite chance ou tout du moins la saisir. C’est quelqu’un qui toute sa vie a été capable de mettre sur pied des organisations et manager des équipes. Cette réussite est d’autant plus remarquable que la proportion de black types est élevée. Et ce n’est pas qu’une question de pedigrees. Christopher Head fait du très bon travail. Et leurs chevaux sont vraiment bien élevés. Regardez Jigme (Motivator) en obstacle ou Inflation Nation (Speightstown) qui n’est pas passée loin de la victoire dans les Paradise Creek Stakes (L) sur les 1.400m turf de Belmont Park. C’est la réussite d’une organisation dans son ensemble. L’histoire prouve qu’arriver avec beaucoup d’argent ne suffit pas pour réussir en matière d’élevage. Il faut s’entourer de compétences et de gens de confiance. Monsieur Pujals a cherché à comprendre et se faire bien conseiller dès le départ avant d’investir. Ils ont évité beaucoup d’erreurs et de faux amis. »

Karlshof, Galiway… et le phénomène Baader-Meinhof

L’illusion de fréquence, ou phénomène Baader-Meinhof, est une combinaison de deux biais cognitifs. Après avoir remarqué une chose pour la première fois, on a tendance à la remarquer plus souvent, ce qui conduit quelqu’un à croire qu’elle apparaît fréquemment. Grosso modo, en matière d’élevage, notre cerveau est parfois notre pire ennemi ! Jeremy a donné les mères de plusieurs chevaux qui sont montés sur le podium d’un Groupe. Mais cela fait-il de lui un bon père de mère ? La réponse est plutôt négative. Dans ce rôle, et malgré les gains de Blue Rose Cen, son AEI (average earning index) est faible : 0,81. Ses filles ont produit un lauréat de stakes pour 96 partants (1 %). Le week-end dernier, Kendargent a donné deux gagnants de Groupe : Arnis Master (Tai Chi) en Italie et Rubis Vendome (Galiway) à Chantilly. Vrai bon père de mère ou illusion de fréquence ? Les chiffres plaident pour la première option avec un AEI de 2,24 et 13 lauréats de stakes pour 168 partants (7,7 %). Pour comparaison, Galileo est à 1,48 et 7,6 %. 

La grande forme de Karlshof

Lundi à Saint-Cloud, Let’s Get Loud (Outstrip) est devenu le premeir gagnant du Gestüt Karlshof sous l’entraînement de Yann Barberot. L’élevage de la famille Faust a réalisé un super week-end avec See Hector (3e Gran Premio du Milano, Gr3), Arnis Master (voir plus haut) et Pirouz (Counterattack), les deux premiers du Premio Carlo Vittadini (Gr3), sans oublier Kolossal (Outstrip), lauréat du Prix del Guibileo (Gr3). Le 11 juin, Straight (Zarak) a survolé l’Union Rennen (Gr2). En établissant le temps record, il a décroché le statut de favori du prochain Derby allemand (Gr1).

Galiway, pas une illusion de fréquence

Mardi soir, Vauban (Galiway) a survolé le Copper Horse Handicap sur les 2.800m de Royal Ascot. Double lauréat de Gr1 en obstacle, le pensionnaire de Willie Mullins est pris à une valeur de 45,5 en plat. Son propriétaire, Rich Riccie, était tellement stressé qu’il n’a pu regarder la course en direct. Mais le bruit des parieurs lui a donné du courage et il a pu voir son représentant s’imposer de sept longueurs avant de s’écrier : « Melbourne, on arrive ! » Plus calmement, il a déclaré plus tard à The Irish Field : « Willie Mullins pense tout le bien du monde de ce cheval. Il est un peu moins bien sur les haies désormais. Je me demande s’il n’a pas été plus préparé pour la Melbourne Cup que pour Cheltenham ! Nous avons un goût d’inachevé avec la Melbourne Cup (Gr1) suite à la deuxième place de Max Dynamite (Kentucky Dynamite). J’avais adoré cette expérience et j’aimerais y revenir pour gagner… » Outre la victoire de Rubis Vendome dans le Prix du Lys (Gr3) et celle de Vaudan, Galiway a brillé grâce à Sunway (Galiway), brillant lauréat pour ses débuts à Sandown. Cinq des sept derniers lauréats de ce maiden sont ensuite devenus black types, dont un certain Native Trail (Oasis Dream) ! 

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