mardi 16 juillet 2024
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Trois Italiens, un Irlandais et une pouliche pour un rêve classique

Trois Italiens, un Irlandais et une pouliche pour un rêve classique

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Ce n’est pas que Gala Real (Wootton Bassett) soit forcément une pure nageuse. Mais en tout cas, elle a prouvé à trois reprises que le lourd ou le très souple ne la dérangeait pas. Au contraire, il est probable que la pluie « ralentisse » certaines de ses adversaires… Le vrai travail sérieux s’est déroulé la semaine dernière et Alessandro Botti détaille : « Ce matin, elle a fait un petit bout, pour ne pas arriver trop fraîche dimanche. Tout s’est bien passé. Elle a bien récupéré. Gala Real a un très bon comportement et un mental irréprochable. Christophe [Soumillon, ndlr] était content. » Au sujet de l’état de la piste, il poursuit : « Il est probable que le bon terrain ne la dérange pas. Mais nous avons la certitude que le souple lui convient. Il faut être réaliste, pour avoir du vrai souple, il faudrait de la pluie au moment même de la course. Je vis à Chantilly depuis 15 ans… et je connais bien la piste de l’hippodrome. Dans tous les cas, si le terrain est bon, j’espère qu’elle nous montrera une aptitude égale à celle dont elle a fait preuve dans le souple. Car si c’est le cas, cela nous ouvrira bien des perspectives ultérieurement. Les pouliches n’ont qu’une seule occasion de courir le Diane dans leur vie. Mon souhait, c’est que la piste ne soit pas légère. Je suis convaincu que Gala Real a de la tenue. Il est certain que nous allons assister à une « vraie course », pas tactique donc, avec des anglaises et des irlandaises. Dans tous les cas, c’est vraiment la meilleure que j’aie eue dans mes boxes. » Dans une saison si difficile à décrypter, avec la météo (encore elle !) qui a brouillé les cartes, Gala Real fait partie des trois meilleures chances françaises selon les bookmakers. Mais la course reste vraiment ouverte.

Ils ont battu les Lerner aux enchères

Pour un entraîneur avec un effectif de taille moyenne comme Alessandro Botti, la probabilité de toucher une Gala Real est mince. Alors autant tomber dans une édition du Diane où il n’y a pas (sur le papier) une Zarkava (Zamindar) au départ. Gala Real a coûté 270.000 €. C’est tout simplement le yearling le plus cher de la carrière de l’Italien : « Lorsque le marteau est tombé, Carlos Lerner, battu aux enchères, est venu me dire que nous avions acheté la plus belle pouliche de la vente. J’étais content de le voir gagner le Jockey Club, en particulier pour monsieur Urano, copropriétaire de Look de Vega et Gala Real. Finalement, les Lerner ont acheté le meilleur mâle de la génération et ils ne sont pas passés loin de repartir aussi avec la meilleure femelle de l’année… Gala Real ! » La pouliche est issue de Cala Violina (Lope de Vega), en référence à une plage toscane. Un nom qui a sauté aux yeux d’Ilaria Botti qui a convaincu son mari d’aller voir la yearling : « Elle était superbe. Mais nous savions que nous n’aurions pas les moyens de l’acheter. J’ai donc parlé avec Ghislain Bozo qui m’a dit qu’il la connaissait bien. Selon lui, c’était l’une des plus belles de la vente. Nous y sommes donc allés ensemble, en restant de marbre jusqu’à 260.000 €. Les enchères ont alors calé. Nous avons rajouté 10.000 € et sommes repartis avec la pouliche pour 270.000 €. Je pense que Ghislain avait déjà monsieur Urano et Ballylinch Stud en tête. Et moi, j’ai proposé Carlo Ancelotti. »

Mais en course, l’histoire a commencé par une défaite cuisante : « À 2ans, Gala Real travaillait bien. Elle a débuté au mois de juillet en se classant bonne dernière à Chantilly. C’était sur 1.400m en bon terrain. J’étais tellement déçu ! Mais j’ai parlé avec mon père, qui a beaucoup d’expérience. Et il m’a dit : « Quitte à être battu en débutant, autant que cela soit sur une performance trop mauvaise pour être exacte. » » Lors de sa sortie suivante, en terrain lourd sur 2.000m, Gala Real a gagné par 11 longueurs. Le lot était modeste, mais pas l’impression visuelle ! Elle a ensuite survolé sa Classe 2 à Saint-Cloud. En dernier lieu, dans le Prix de la Seine (L), Gala Real a refait le peloton pour venir battre Aventure (Sea the Stars). Or cette dernière a ensuite gagné le Prix de Royaumont (Gr3) de sept longueurs, soit la marge la plus importante de ces dernières décennies dans cette épreuve. La ligne a donc (pour partie) répété.

S’associer pour tenir

Pour parvenir à prouver à la face du monde qu’il sait entraîner, un entraîneur a besoin de chevaux qui avancent. Or avant Gala Real, à une exception près, les 10 précédents lauréats black types d’Alessandro Botti avaient coûté moins de 30.000 € yearlings (quand ils avaient trouvé preneurs). Le problème, c’est qu’on ne peut pas bâtir une carrière sur ce type de miracle permanent. Certains vous diront que la corrélation entre prix et qualité sportive n’est pas systématique. C’est vrai. Mais il est difficile de nier que les poulains bien faits et bien nés ont plus de chance de devenir bons que les autres. Et dans le même temps, le cheval que l’entraîneur achetait 20.000 € ou 30.000 € il y a 15 ans pour le revendre à sa clientèle coûte désormais bien plus cher : « Le marché est peut-être en train de revenir un peu à la réalité car certains pinhookers ont souffert. Mais en attendant, le yearling que j’achetais 20.000 € ou 30.000 € lors de mon arrivée en France vaut désormais 50.000 € ou 80.000 €. Face à ce phénomène, il n’y a pas d’autres alternatives que de monter des copropriétés comme sur Gala Real. C’est important pour essayer d’avoir un certain volume et un minimum de qualité. »

Traditionnellement, les acheteurs italiens sont connus pour aimer la vitesse et la précocité. En France, on peut adopter une autre stratégie : « Il est devenu plus difficile d’acheter des chevaux de vitesse car tout le monde est dessus. Et souvent, c’est un Anglais qui a le dernier mot aux ventes sur ce type de profils. On arrive parfois à acheter un poulain de tenue pour un prix plus raisonnable, à qualité égale, car les acheteurs savent qu’il faudra l’attendre. Je suis autant attiré par un sujet qui tient que par un autre « vite » si les deux ont de la qualité. Mais le programme français pousse à essayer de former des chevaux pour l’avenir. Au contraire, en Italie, il est taillé pour les 2ans et le premier semestre à 3ans. Après le Derby et les Oaks, il ne reste plus grand-chose à courir. »

Un précurseur

Historiquement, les Italiens en mal d’aventures allaient à Newmarket. Pour la génération de Luca Cumani, quitte à délaisser l’Italie, il fallait aller à la source, dans le « saint des saints » des courses. Plus récemment, les lignes ont bougé. Certes il y a déjà eu un précédent à Chantilly, Eliseo Barda. Ancien assistant de Maurice Zilber, il n’avait pas fait long feu. Le vrai premier Italien de Chantilly, c’est donc Alessandro Botti. Il a ouvert la voie à ses compatriotes. Et à l’heure où nous écrivons ces lignes, les huit professionnels italiens de l’aire cantilienne représentent 10 % des chevaux du centre d’entraînement : « Quand je suis arrivé, c’était très compliqué. D’autant plus que je ne parlais pas un seul mot de français. Désormais, il y a une véritable communauté italienne à Chantilly. Vous trouverez tous les produits italiens de qualité dans les commerces. Mon fils, dans son club de sport, a rencontré des enfants d’Italiens. Désormais, à Chantilly, ils sont nombreux, qu’ils soient entraîneurs, lads, jockeys, apprentis ou assistants. Mon bon apprenti, Giovanni Sias, vient de Sardaigne. »

Au sujet du changement de cap des Italiens, de Newmarket vers la région parisienne, il explique : « En France, le vivier de propriétaires est peut-être moins fort. Mais on peut survivre avec un cheval moyen, y compris en étant associé. En Angleterre, il faut un bon… Ou rien. » Ces dernières années, le nombre de jeunes entraîneurs qui prennent une licence à Newmarket a fortement baissé. À l’inverse, la France, et Paris en particulier, attirent les ambitieux : « D’une manière générale, on voit que Chantilly revient fort sur le devant de la scène. Il y a beaucoup de jeunes ambitieux qui se sont installés en assez peu de temps, de Christopher Head à Mario Baratti. L’arrivée de Christophe Ferland, c’est aussi top pour le centre. » Si Alessandro Botti a prouvé qu’un entraîneur italien pouvait faire son trou à Chantilly, la force de l’exemple s’est aussi jouée sur la réussite de Cristian Demuro. D’une certaine manière, les jeunes cavaliers ambitieux du pays ont eu plus de facilité à s’identifier à lui qu’à Lanfranco Dettori qui était d’une autre génération. Les deux Arcs de Demuro ont poussé certains à faire leurs valises. Et on les retrouve le matin à cheval sur les pistes de Chantilly. Les entraîneurs italiens ont donc probablement importé plus de salariés que de propriétaires de leur pays ! C’est une Italienne, Martina, qui monte Gala Real le matin. Les deux responsables de l’écurie Botti sont aussi des Italiens. Mais sur la trentaine de casaques actives chez le Cantilien seulement un petit tiers vient de l’autre côté des Alpes. Si on prend le risque de tenter l’aventure française, c’est pour viser l’excellence.

En France, on peut encore rêver grand

On ne quitte donc pas sa patrie et sa famille pour entraîner des chevaux en 15 de valeur. Issu de la plus grande dynastie du galop italien, Alessandro Botti aurait sans l’ombre d’un doute pu faire carrière dans son pays d’origine. Mais même en réussissant là-bas, ses efforts auraient certainement été vains. Une victoire dans les Oaks d’Italie (Gr2) le week-end dernier n’aurait pas changé sa vie. Un succès ce dimanche dans le Prix de Diane aura un retentissement international. En France, on peut encore rêver grand : « La scène hippique italienne est devenue une version diminuée d’elle-même. Elle est peu visible. C’est terrible, car les gens travaillent aussi dur qu’ici et certains sont doués. Mais le système ne fonctionne plus. Pour sauver le rating, les étrangers reçoivent les allocations en priorité. Les entraîneurs italiens viennent seulement de recevoir leurs gains d’octobre dernier. Il faut être très courageux pour travailler dans de telles conditions. C’est le jour et la nuit avec l’époque où tous les grands jockeys venaient monter le week-end en Italie. Nous avions à l’époque certaines des plus belles allocations d’Europe. Mais le problème de l’Italie, ce sont les Italiens… » Pour illustrer ses propos, Alessandro Botti cite un exemple venu de sa jeunesse : « Mon père et plusieurs autres entraîneurs s’étaient enfermés dans le ministère en signe de protestation. Ils ont obtenu un pourcentage sur les machines à sous, pendant trois ans. Une partie de l’argent devait aller aux allocations, l’autre dans des investissements pour restructurer le sport hippique. Les professionnels italiens se sont opposés à cela et tout a été mis dans les prix de course. La filière italienne a préféré le court terme, plutôt que d’investir dans l’avenir du sport hippique. Quand j’ai vu cela, je suis parti pour la France. Même si j’ai dû tout recommencer à zéro, je suis content d’avoir fait ce choix. Ma vie est en France. Je me suis marié à Chantilly. Mon fils va à l’école ici. »

Trois Italiens et un Irlandais

Gala Real a permis à Alessandro Botti de compter les Irlandais Ballylinch Stud parmi ses clients : « La bonne surprise, c’est que John O’Connor parle français, car mon anglais n’est pas irréprochable. La scène hippique française est bien plus internationale qu’auparavant. Il n’y a qu’à voir Arqana qui n’a pas arrêté de prendre des parts de marché. C’est formidable de voir un acteur de la taille de Ballylinch Stud faire autant confiance à la France. Ce qu’ils ont réussi avec Place du Carrousel est impressionnant. » Gala Real fait vivre le grand frisson au coach du Real Madrid Carlo Ancelotti. Qui sait, une victoire dimanche pourrait inciter tous ses joueurs à tenter l’aventure des courses. Quinze jours après leur victoire dans la Ligue des champions, il doit certainement encore rester quelque chose de leur prime de match !

Enfin, la pouliche a aussi consolidé les liens avec Lucien Urano, lui aussi venu d’Italie. Avant Gala Real, il n’avait eu qu’un seul autre cheval chez les Botti et il fut vendu sur une victoire à un propriétaire saoudien. Les offres affluent pour Gala Real. Mais pour l’instant, le triumvirat tient bon. C’est ça la force du rêve classique. Il faut aussi dire que la pouliche est aux portes de l’exploit : si elle venait à gagner, Lucien Urano serait l’un des rares à remporter le Diane et le Jockey Club la même année. Sur les cinquante dernières années, seuls les associés de Coolmore (Joan of Arc et St Mark’s Basilica) et Gérard Augustin-Normand (Almanzor et La Cressonnière) y sont parvenus. Avant cela, il fallait remonter à Marcel Boussac en 1956. Si Lucien Urano y parvient avec une vingtaine de poulinières pur-sang et 18 chevaux de plat, ce serait un véritable exploit. Mais cela ne serait pas son premier tour de force. Il y a 20 ans, il recrutait un jeune directeur, Henri Bozo, pour relancer un haras à l’abandon. On connaît la suite de l’histoire. Urano a certes revendu l’écurie des Monceaux en 2014, mais ce qu’il a lancé est devenu un exemple international, avec des Grs1 et top price à la pelle. Les Monceaux représentent une part considérable et grandissante du marché de Deauville et parmi les gros élevages commerciaux européens, c’est celui avec le meilleur taux de black types par yearling vendu. Sacrés Italiens !

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