Galileo et High Chaparral mieux cotés que City of Troy
Les souvenirs n’ont pas forcément le même impact, que l’on soit entraîneur ou journaliste. Quoi de plus logique : pour ceux qui gèrent l’entraînement des champions au quotidien, le dernier vu en piste est bien souvent le meilleur. Pour nous qui avons un regard un peu plus “décalé”, c’est généralement le plus ancien vu en compétition qui a nos suffrages. Alors, comme il convient de trancher, il est cohérent de faire appel aux hommes de l’art, les “spécialistes” les plus impartiaux possibles que sont les handicapeurs. Pour eux, et c’est sans appel, City of Troy n’est pas le meilleur des dix d’Aidan O’Brien !
Franco Raimondi
fr@jourdegalop.com
L’Avvocato Sala, figure emblématique de San Siro, avait eu la chance d’applaudir nombre de champions dans sa jeunesse. Trente ans après l’avènement de Grundy (Great Nephew), c’était toujours à contrecÅ“ur qu’il effectuait le déplacement depuis Milan jusqu’à Epsom et Royal Ascot, quasi certain de ne plus jamais revoir un cheval de cette classe fouler le gazon d’un hippodrome. Samedi, Aidan O’Brien nous a expliqué par A plus B que City of Troy (Justify) était de loin le meilleur de ses dix Derby winners.
Un journaliste qui a suffisamment de “bouteille” et des éléments pour s’appuyer sur le verdict des ratings, peut parfaitement comparer les dix lauréats d’Epsom entraînés par le maître de Ballydoyle. Sans tenir compte de la suite de la carrière des différents lauréats du classique d’Epsom, nous nous sommes penchés sur la question. C’est le premier jour de juin d’une année bissextile que City of Troy est donc devenu le dixième Derby winner d’Aidan O’Brien. Son grand-père maternel, Galileo (Sadler’s Well), avait remporté l’édition 2001 qui se disputait alors huit jours plus tard, le 9 juin. Il avait deux courses dans les jambes lors de sa campagne de 3ans et ne s’était jamais aligné sur une distance inférieure au mile. C’est au Curragh et sur 1.400m que City of Troy a effectué des débuts victorieux onze mois avant son triomphe d’Epsom. Avant le Derby, il n’avait été vu qu’une seule fois sur plus long que 1.400m, lors de mémorables et cauchemardesques 2.000 Guinées (Gr1) où il n’avait été que l’ombre de lui-même. Le dixième Derby winner d’Aidan O’Brien a remporté les Dewhurst Stakes (Gr1) à la mi-octobre de ses 2ans alors que Galileo avait effectué ses débuts bien plus tard, deux semaines exactement après la plus grande course pour les juniors sur les îles britanniques.
Les dix Derby winners d’Aidan O’Brien par rating décroissant
Année | Gagnant | Jockey | Rating officiel | RPR | Marge | Deuxième |
2001 | Galileo | Michael Kinane | 126 | 128 | 3,5 | Golan |
2002 | High Chaparral | Johnny Murtagh | 126 | 130 | 2 | Hawk Wing |
2012 | Camelot | Joseph O’Brien | 124 | 126 | 5 | Main Sequence |
2014 | Australia | Joseph O’Brien | 123 | 125 | 1,25 | Kingston Hill |
2024 | City of Troy | Ryan Moore | 123 | 125 | 2,75 | Ambiente Friendly |
2023 | Auguste Rodin | Ryan Moore | 122 | 124 | 0,5 | King of Steel |
2013 | Ruler of the World | Ryan Moore | 120 | 121 | 1,5 | Libertarian |
2017 | Wings of Eagles | Padraig Beggy | 120 | 121 | 0,75 | Cliffs of Moher |
2020 | Serpentine | Emmet McNamara | 120 | 121 | 5,5 | Khalifa Sat |
2019 | Anthony Van Dyck | Seamie Heffernan | 118 | 119 | 0,5 | Madhmoon |
Galileo, un rating de 126, tout en souplesse
Et pourtant, le jour J, Galileo, sans même songer à sa carrière d’étalon qui allait changer l’histoire de l’élevage, avait fourni une performance extraordinaire. Aidan O’Brien a cité l’habilité de City of Troy à galoper à une vitesse de croisière exceptionnelle, à surmonter les ondulations d’Epsom sans problème avant de placer une pointe extraordinaire qu’il a su poursuivre, sans fléchir, jusqu’au poteau. Galileo avait bouclé son parcours en troisième épaisseur et, tout en souplesse, il avait perdu en route ses rivaux pour s’imposer de trois longueurs et demie devant Golan (Spectrum) qui venait de remporter les 2.000 Guinées. Lors de sa victoire à Epsom, Galileo avait affiché un rating de 126. Ce samedi de juin, Galileo avait passé le test d’Epsom avec des foulées magnifiques, comme un métronome, mettant donc trois longueurs et demie dans la vue au lauréat des 2.000 Guinées (Gr1).
City of Troy a performé en 122
Le rating de City of Troy a été revu à la baisse d’une livre (124) suite à sa performance catastrophique à Newmarket. Ce rating a été confirmé par le handicapeur irlandais mais il reste désormais à juger sa performance dans le Derby. Les handicapeurs de la B.H.A. ont affiché pour le lauréat un rating de 122 et son dauphin, Ambiente Friendly (Gleneagles), est sorti d’Epsom en affichant six livres de mieux, passant de 111 à 117 de rating. Muni de lunettes irlandaises, nous pouvons étalonner la performance de Los Angeles (Camelot) qui est passé de 111 à 113 dans son pays mais qui a réalisé 112 pour les Anglais. Les handicapeurs du Racing Post ont attribué 125 au lauréat et 115 à son compagnon d’entraînement. Le quotidien anglais travaille sur une échelle qui est considérée comme deux livres supérieures à celle des ratings officiels alors que Timeform, qui est quatre livres au-dessus, a tranché à 127 en ajoutant le préfixe “p” de progrès.
126 pour High Chaparral, en costaud
Un seul des dix Derby winners d’Aidan O’Brien aurait pu battre Galileo. Il s’agit d’High Chaparral (Sadler’s Wells) qui avait remporté son Gr1 à 2ans et qui, comme Galileo, avait pris part à deux trials sur 2.000m à 3ans, avant un Derby couru le 8 juin. À Epsom, il était considéré comme le second couteau de Ballydoyle derrière Hawk Wing (Woodman). Dans une course animée à un train d’enfer par un futur lauréat de la Dubai World Cup (Gr1), le Godolphin Moon Ballad (Singspiel), leader de Naheef (Marju), High Chaparral s’est mué en rouleau compresseur dès la fin du tournant, Johnny Murtagh utilisant sa cravache bien loin du poteau. Il a ensuite fait plier Hawk Wing pour gagner de deux longueurs alors que Moon Ballad se classait troisième… à 14 longueurs ! Sa performance lui a valu de recevoir un rating de 126 par les handicapeurs. Le Racing Post comme Timeform lui attribuant 130. Le Derby d’High Chaparral s’était transformé en véritable test de tenue, à l’ancienne. Galileo aurait-il pu survoler la piste ce même jour grâce à sa souplesse légendaire ? City of Troy serait-il parvenu à conserver sa pointe de vitesse avec pareil scénario ?
Camelot en 124 dans un lot squelettique
Après un passage à vide de dix ans, Aidan O’Brien a finalement sorti un autre Derby winner qui a affiché à Epsom un meilleur rating que celui de City of Troy. Il s’agit de Camelot (Montjeu), parti couru (6/10) dans le plus petit lot (neuf poulains) programmé depuis l’édition remportée par Orby (Orme) en 1907, un cheval qui a marqué l’histoire comme étant le premier gagnant du Derby entraîné en Irlande. Confié à Joseph O’Brien et lauréat des 2.000 Guineas, Camelot avait laissé à cinq longueurs Main Sequence (Aldebaran) qui à l’époque était encore entier et sûrement pas le même cheval que celui en mesure, deux ans plus tard, de remporter quatre Grs1, dont le Breeders’ Cup Turf, aux États-Unis. Sa performance fut jugée à 124, une livre de plus que City of Troy.
Un “Aidan Derby” virtuel
Selon les handicapeurs anglais, le Derby winnner 2024 se classe donc cinquième au panthéon des Derby épinglés par Aidan O’Brien, à quatre livres ou deux longueurs et demie, si vous préférez, de Galileo et d’High Chaparral à la photo et non loin de Camelot et Australia (Galileo), à 123, ex aequo avec Auguste Rodin (Deep Impact) qui avait fait 122 comme City of Troy pour les handicapeurs anglais et 124 pour les Irlandais. Avec l’arrivée de l’IA, il ne devrait pas être difficile de créer une course virtuelle, dans laquelle Serpentine (Galileo) pourrait endosser le rôle de leader. Le scénario tactique, le terrain et le train de la course détermineraient alors le résultat. En tant que journaliste vétéran, je mettrais bien une pièce sur un succès d’High Chaparral monté par Johnny Murtagh. Et tant pis s’il est battu sur une pointe !