La diversité, un atout à défendre
Dimanche dernier, comme tous les ans à cette date, le Prix Léon Rambaud (Gr2) se courait à quelques heures du Vase d’Argent (L) à Toulouse. Mais, cette année, les deux épreuves sont aussi réunies sur le plan généalogique., le gagnant surprise à Auteuil, est en effet un fils d’ (Monsun), lauréat de sept Listeds en France dont le Vase d’Argent à deux reprises. Un cheval dont le nom n’évoque plus rien à personne aujourd’hui.
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
L’un des meilleurs Monsun ?
Lauréat du Défi du Galop et de six Listeds au total pour la casaque Wildenstein et l’entraînement Lellouche, Aizavoski a quitté la scène sportive à 6ans sur une deuxième place dans le Prix Max Sicard (L). Il a mené une carrière d’étalon confidentielle en Irlande, son prix de saillie oscillant entre 1.000 et 1.500 € chez Arctic Tack Stud. Avant de disparaître de la circulation, il a donné seulement 134 foals en six saisons pour 58 partants en obstacle dont la moitié ont gagné (51,7 %). Et c’est remarquable lorsqu’on le compare à Poliglote (54 %), Authorized (52 %) et Voix du Nord (52 %).
Si l’on regarde sur une décennie, selon ce critère, Aizavoski est même le meilleur fils de Monsun (Königsstuhl) sur les obstacles avec Maxios (53 %). Il a fait mieux que Network (47 %), l’étalon qui a lancé la mode des fils de Monsun chez les éleveurs européens d’obstacle, mais aussi que Shirocco (36 %), Gentlewave (40 %), Getaway (42 %), Samum (42 %), Vadamos (30 %)… Il y a une décennie, tout ce que l’Irlande comptait d’éleveurs de sauteurs s’est rué sur les fils de Monsun car ils représentaient une bouée de sauvetage dans un océan saturé par les descendants de Sadler’s Wells (Northern Dancer). Tom Fleming, l’éleveur d’Hooligan, est dentiste équin. Et quand on lui demande pourquoi il a utilisé Aizavoski, il nous confie : « La mère était une petite-fille de Sadler’s Wells… et je voulais un fils de Monsun. » L’élevage, c’est parfois aussi simple que cela !
La France de l’obstacle, un miracle de diversité
Dans l’histoire récente, les alternatives à Sadler’s Wells ont été rares en Irlande. Il faut citer Shantou (Alleged), déniché en Italie, Flemensfirth (Alleged), ou encore les chevaux achetés sur descendance en France (Blue Brésil…). Une telle concentration sur Sadler’s Wells est clairement pénalisante pour l’élevage de sauteurs irlandais. À l’inverse, la France apparaît comme un « petit miracle » de diversité car, outre la lignée mâle de Sadler’s Wells, nous avons également au haras des descendants de Nijinsky (Saint des Saints et ses fils), Mill Reef (Cokoriko, Kapgarde et son fils), Voix du Nord (ChÅ“ur du Nord…), Diesis (Doctor Dino…), Top Ville (Balko…), Lyphard (tous les fils de Martaline), Kenmare (No Risk At All…), Monsun (Kamsin, Bathyrhon…), Danzig (It’s Gino, Tunis…), Luthier (Brave Mansonnien…), liste non exhaustive ! Cette diversité génétique existe dans notre pays car notre système permet à plus d’étalons d’avoir une chance d’émerger. Et elle profite à l’ensemble de l’Europe de l’obstacle.Â
Pour en revenir à Aizavoski, dans le contexte irlandais, il n’avait aucune chance face aux étalons qui saillissent des books de juments énormes. Surtout qu’au moment où il a disparu du marché, il n’avait même pas encore eu de partants en course officielle. En France, Aizavoski aurait certainement eu une chance plus réaliste de « sortir ». Car dans notre pays, d’autres en ont été capables avec des premières générations d’une trentaine de foals (comme Blue Brésil ou Walk in the Park par exemple). Ce qui est impossible en Irlande.
Le contexte actuel est très différentÂ
S’il courait en 2024, Aizavoski aurait typiquement le profil du cheval pour être vendu en Australie. Notamment à l’âge de 3ans, après sa (proche) deuxième place dans le Prix Ridgway (L) en bon terrain devant Cirrus des Aigles (Even Top). Mais la famille Wildenstein avait fait le choix de le laisser chez Elie Lellouche et il a gagné quasiment 500.000 € (allocations plus primes). La grande époque des éleveurs propriétaires d’envergure est derrière nous. On peut le regretter, mais il semble assez peu probable que le galop européen retrouve un jour de nombreux élevages non commerciaux. Leur présence avait un impact très structurant sur notre univers, au-delà d’assurer une stabilité financière aux professionnels auxquels on confiait des chevaux. Ils stabilisaient en Europe, et en particulier en France, une population significative d’animaux « petits black types », qui sont très importants pour la sélection au sens large.
Où l’on reparle d’AlzaoÂ
Si autant de Listeds et de Grs3 sont actuellement menacés de rétrogradation sur le Vieux Continent, c’est notamment du fait des nombreuses exportations vers les États-Unis, l’Australie et l’Asie. Parmi les lauréats black types de dimanche dernier, à la fois Birthe (Study of Man) et Hooligan portent le sang d’Alzao (Lyphard), un cheval qui portait les couleurs de Jean-Luc Lagardère après avoir été acheté aux États-Unis par François Boutin. En France, Alzao avait très bien gagné par deux fois à 2ans. À 3ans, il s’était imposé dans le Prix Matchem (L) avant de sombrer et de ne refaire surface que bien plus tard, à 5ans, en s’imposant dans le Premio Ellington (Gr3) sur les 2.400m de Rome. Aujourd’hui, il se serait probablement envolé pour faire carrière hors d’Europe. On ne peut pas faire entrer au haras tous les gagnants de Gr3 du monde – Alzao avait pour lui un pedigree exceptionnel. Cet exemple volontairement caricatural illustre bien l’importance, en matière de sélection, de ces chevaux un ton en dessous des meilleurs. L’influence de cette catégorie est vraiment déterminante chez les femelles. Du point de vue de l’élevage, il est certainement moins délétère pour l’Europe de vendre une gagnante classique au Japon que 10 pouliches de Gr3. En effet, statistiquement, ces 10 black types ont plus de chances d’avoir un impact significatif qu’une seule classique… aussi bonne soit-elle !
D’Alzao à Deep ImpactÂ
Le Premio Ellington – ensuite rebaptisé Premio Carlo d’Alessio – vient d’être rétrogradé Listed par le pattern committee. Si Alzao n’avait été “que” lauréat de Listed, il n’est pas certain, malgré son superbe pedigree, qu’il aurait pu débuter comme étalon à Rathbarry Stud. Il a donné une centaine de black types, dont une bonne quinzaine de gagnants de Gr1. Alzao a été plus tard récupéré par Coolmore. Et c’est aussi le père de mères de neuf gagnants de Gr1, dont Deep Impact (Sunday Silence). Comme chacun peut le constater, les quelques fils du champion japonais au haras en Europe tracent leur route avec succès. En France, Martinborough connaît une très belle réussite en obstacle, avec déjà un gagnant de Gr1 à Cheltenham et un taux de gagnants par partants des plus enviables. En plat, Study of Man, le père de Birthe notamment, fait un très bon printemps avec ses premiers 3ans. Il est déjà le père de quatre black types – 10,5 % de ses partants – et plusieurs bons gagnants de maiden outre-Manche lui apportent du crédit. En plus d’avoir gagné le Prix du Jockey Club (Gr1), et d’être issu d’une grande famille, la grande force de Study of Man c’est d’être outcross avec beaucoup de juments. Car la diversité génétique, c’est l’un des grands challenges de l’avenir de l’élevage européen.
L’Europe continentale, un creuset de diversité
L’Irlande et l’Angleterre, avec l’impressionnante puissance financière de leurs acteurs, et la force du nombre également, représentent le cÅ“ur de la sélection du cheval de plat en Europe. Mais, outre-Manche, la pression commerciale a réorienté la dynamique de sélection du pur-sang anglais. Il est hyper difficile de lancer un étalon de tenue s’il n’est pas un ovni comme Sea the Stars (Cape Cross). Et la diversité, du point de vue généalogique, comme du profil de carrière en course, semble se réduire à grande vitesse chez nos voisins. Dans le top 20 européen des pères de gagnants en plat, on remarque que Siyouni (Pivotal) et Wootton Bassett (Iffraaj) font partie des rares vecteurs de diversité génétique. J’ai la faiblesse de penser que ce n’est pas un hasard s’ils ont tous les deux lancé leur carrière en France. Dans notre pays, structurellement, on laisse plus de temps aux jeunes étalons de faire leurs preuves alors que tout va très vite (trop vite ?) chez nos voisins anglo-irlandais. De même, nous (continentaux) avons tendance à être plus « souples » sur le profil des étalons qui débutent. Et cela permet à une plus grande diversité de pedigrees d’exister. Monsun, Adlerflug (In the Wings) ou encore Soldier Hollow (In the Wings) n’auraient jamais réussi à émerger sans le contexte allemand. La France a permis à des fils d’étalons peu en vogue (le mot est faible) de s’affirmer, à l’image de Le Havre (Noverre) et de Linamix (Mendez). Et ils ont apporté une réelle diversité génétique à l’échelle européenne. C’est aussi en France qu’a survécu jusqu’à aujourd’hui la lignée de Grey Sovereign (Kendor, Kaldoun, Kendargent, Highest Honor…).
L’autre diversitéÂ
Tout comme la France, l’Europe périphérique – en particulier l’Allemagne et l’Italie – a joué un rôle très important dans la sélection européenne, en permettant à d’autres courants de sang d’exister, mais aussi en matière de profils de pistes, de distances, de carrières et d’aptitudes. Si l’élevage était simplement une question comptable, nous, Européens, ne serions plus compétitifs à l’échelle internationale car, dans les courses, la puissance financière s’est pour grande partie déplacée hors d’Europe. Comme beaucoup, je reste persuadé que la sélection du pur-sang anglais est grandement bénéficiaire de la diversité que l’ensemble du programme offre. Lors du centenaire de la TBA – l’équivalent anglais de la fédération des éleveurs – le journaliste Chris McGrath avait prononcé ces mots pleins de bon sens : « La diversité est notre grand atout. De tout temps, nous avons reproché aux Américains la monotonie de leur programme, avec des courses sur de petits ovales, avec peu de diversité en matière de surface et de distances. Gardons-nous bien de juger les Américains. Et posons-nous la question de ce que nous faisons pour sauver notre propre diversité. »
Le pattern committee a certainement de très bonnes raisons d’enlever le label black type à une longue liste des courses en Europe continentale. Ces dégradations sont trop rapides car chacun sait que le nombre de chevaux black types à l’entraînement en Europe et le niveau des allocations ne permettent pas d’inverser la tendance en seulement quelques années. Il faut du temps, beaucoup de temps.
La France a certainement la capacité de surmonter cela. Mais espérons que cela ne soit pas le coup de grâce pour nos amis, nos voisins italiens et allemands. Car nous bénéficions tous de leur présence, sur le plan économique et génétique. Et les perdre, c’est encore réduire la taille de notre chapelle.