Virus, le grand combat
« Les entraîneurs qui déclarent un virus doivent devenir un modèle pour leurs pairs. Et nous devrions être prêts à accompagner tous ceux qui jouent le jeu, dans l’intérêt de toute la filière. »
Depuis le début de l’année, comme chaque année ou presque, on entend dire que telle ou telle écurie tousse. Mais interdiction d’en parler ! Aucun entraîneur ne veut prendre le risque de perdre un client. Mais quel est le plus grand risque ? Ne serait-ce pas plutôt de gâcher une année complète parce que l’on a voulu cacher une maladie et que l’on a renoncé à se faire accompagner ? C’est tout l’enjeu de transparence et de solidarité qu’évoque pour JDG le Dr Guillaume Fortier, vétérinaire conseil de la Fédération des éleveurs au galop depuis huit ans et grand spécialiste de ces questions.
Jour de Galop. – Constatez-vous actuellement plus de problèmes de santé liés aux maladies respiratoires dans le pur-sang ?
Dr Guillaume Fortier. – Les chevaux qui toussent sont le cadre global de ce qui se passe dans le pur-sang comme dans le trotteur. Nous avons à notre disposition, en France, l’arsenal diagnostic absolument complet pour savoir de quoi souffre un cheval. Pour tout ce qui concerne les maladies virales, il est relativement facile pour un laboratoire de déterminer ce qu’il se passe. Mais, dans le galop comme dans le trot, il y a toujours une forme de “on n’en parle pas trop”. C’est dommage puisque annoncer une situation rapidement et objectivement profiterait à tout le monde. Il n’y a pas de maladie respiratoire honteuse ! Le cheval de course est un animal athlète dont les voies respiratoires sont les premières exposées, comme le muscle. Il a le droit de boiter comme de tousser, ou d’être en petite forme. C’est complètement logique. Il est donc toujours dommage que tout ne soit pas plus rapide en termes d’actions et de déclarations. Cela aiderait l’écurie d’à côté… et toute la filière.
Par Anne-Louise Echevin
ale@jourdegalop.com
Nous avons l’impression que le monde de l’élevage est plus prompt à déclarer un foyer infectieux que le monde de l’entraînement. Cela dit, un entraîneur avec des chevaux malades peut aussi perdre des clients et donc compromettre non pas une, mais deux ou trois saisons. Comment faire évoluer les choses ?
Nous en parlons souvent avec le président Malivet ou avec la commission sanitaire, présidée par Tangi Saliou. Il faudrait que les entraîneurs qui déclarent une maladie virale soient jugés comme exemplaires, être des modèles pour leurs pairs. Cela peut sembler un vœu pieux, mais il faudrait rendre la déclaration obligatoire… ou au moins inciter fortement à le faire. Je pense que le Code des courses pourrait y inciter lorsque ce sont des maladies virales réglementées par exemple – mais c’est un travail collectif à faire avec tous les acteurs.
On aiderait les entraîneurs, on les appuierait, on mettrait en place tout un dispositif, on déterminerait et on annoncerait quel est le virus concerné et on proposerait un accompagnement sanitaire complet avec les vétérinaires traitants. C’est un vrai enjeu pour la filière.
Y a-t-il des exemples venant d’autres filières ?
Sur ce sujet, paradoxalement, le monde du cheval est parfois un peu en retrait. Prenez les bovins : dès qu’il y a un problème à l’élevage, un dispositif départemental prend en charge tous les contrôles car personne n’a envie que l’élevage voisin soit lui aussi touché. Il existe des labels sanitaires dans les élevages bovins désormais, qui ont un coût pour les professionnels mais qui portent leurs fruits. Demain ou après-demain, nous devrions avoir au galop un système où les entraîneurs ne sont plus livrés à eux-mêmes, avec des chevaux fiévreux non déclarés. Cela serait salutaire, au vu des enjeux économiques et des risques financiers pris par les entraîneurs, qui peuvent s’endetter énormément sans assurance de résultat. Il faut les accompagner et les soutenir.
Comment se situe la France hippique sur le plan sanitaire ?
Nous avons tout ou presque. Nous avons aussi le RESPE, internationalement reconnu [le Dr Guillaume Fortier sera d’ailleurs présent à l’ITBF au mois de mai au Japon, où il fera une présentation pour la FEG avec des données notamment du RESPE, ndlr], un réseau national de vétérinaires sanitaires absolument énorme. Et nous avons ensuite – et surtout ! – une société mère qui opère selon un modèle unique. À ma connaissance, c’est la seule société de courses au galop dans le monde qui s’occupe du sanitaire à la fois en course, à l’entraînement et à l’élevage. C’est typiquement français !
Nous avons eu un hiver doux – avec une période de froid intense qui n’a cependant pas duré – et surtout particulièrement humide. Les conditions météorologiques du début d’année 2024 sont-elles particulièrement propices au développement des virus ?
Les virus adorent les températures douces et l’humidité. Prenons un exemple : vous avez un barn dans lequel il fait froid et sec, un virus de type herpès va rester très peu de temps. Même un rhinovirus va vite être détruit. Mais dès qu’il fait 10 ou 12 degrés, au lieu de -1 ou -2, et que vous avez 70 % d’humidité, ces virus vont rester dans l’environnement deux à trois fois plus longtemps. Vous multipliez ainsi le risque de contagion à chaque fois. Donc oui, il est certain que la saison que nous avons connue n’arrange pas les chevaux… mais arrange bien les virus ! La météo influence beaucoup les chevaux, des animaux faits pour vivre à l’extérieur. C’est nous qui les avons mis au box. Dès qu’on met deux chevaux ensemble, on prend beaucoup plus de risques. Un cheval qui tousse dans un barn, c’est 30, 40 ou 50 milliards de particules virales par toux. Vous passez à cinq mètres avec un autre cheval, vous êtes certain qu’il attrape la grippe. Et ce sont des centaines de milliards de particules que vous allez retrouver dans le box, et qui vont passer d’un box à un autre. C’est très vite explosif. Si un cheval vous met un peu de mouchage dans les cheveux, vous transmettez. Vous allez forcément en avoir : le cheval est curieux et c’est très sympathique, mais vous ne pouvez pas toujours vous changer entre chaque cheval. Il existe aussi plusieurs topographies de centres d’entraînement. Je crois que les plus particulières se trouvent dans les centres mixtes, où les trotteurs croisent les pur-sang. Ce ne sont pas les mêmes disciplines, pas le même âge de chevaux… d’autres pays de provenance aussi. Le rassemblement créé toujours le risque.
Parmi les virus qui circulent actuellement, lesquels sont clairement identifiés ?
Il y a une réalité qui ne bouge pas depuis des années. De la fin mars jusqu’à la fin avril, voire la mi-mai, un socle de maladies virales ou bactériennes vont circuler et cela quoi que l’on fasse. Nous parlons ici toujours des mêmes virus. Dans la mesure où nous sommes dans la période post-hivernale et au début du printemps, c’est chez le cheval comme chez les humains : angines, rhinites, rhinopneumonies. Cela dit, je trouve que depuis une dizaine d’années environ, nous observons quelque chose de nouveau : un questionnement autour de l’hypersensibilité respiratoire du cheval – aux pollens, aux poussières… Quand un cheval est en hypersensibilité pulmonaire, il est incapable de courir. Courir avec le nez qui coule ou qui est pris, non seulement ce n’est pas possible mais, en plus, cela n’est pas bon. On ne fait qu’amplifier l’inflammation des voies respiratoires supérieures.
Et outre ces virus habituels et connus ?
Il y a quelques virus plus embêtants, encore de type herpès, que l’on ne maîtrise pas bien et pour lesquels il n’existe pas de vaccin. Le EHV2 et le EHV5 (proches cousins de la rhinopneumonie ou de la mononucléose chez l’homme) circulent en permanence, surtout en début de printemps. Il y en avait beaucoup il y a trois ou quatre ans sur les centres d’entraînement. On en entend moins parler aujourd’hui. Le problème avec cette famille est que l’on rentre des chevaux malades, mais le virus n’est pas activé, il faut qu’il y ait des cofacteurs de déclenchement : fatigue, stress… Ce sont des gamma herpès, qui appartiennent plus à la famille de la mononucléose, qui est l’un des virus parmi les plus embêtants chez l’athlète humain – alors que c’est une maladie touchant plutôt les adolescents. Et le cheval a exactement la même chose. Ce sont des virus que les athlètes humains redéclenchent, entre l’hyper-performance et l’hyper-fragilité. Ce type de virus touche particulièrement les jeunes chevaux. Enfin, nous avons toujours de la gourme.
Constatez-vous que plus de maladies touchent les chevaux actuellement qu’il y a quelques années ?
Une chose s’est beaucoup améliorée : la France a été un leader pour rendre obligatoire la vaccination contre la grippe et la rhinopneumonie à l’entraînement et cela a changé beaucoup de choses. J’en ai parlé avec mes collègues européens, qu’ils soient allemands, anglais, danois, espagnols ou italiens et le France fait figure d’exemple sur le sujet. Il faut vraiment souligner cet effort important effectué par France Galop et Le Trotteur Français : avoir boosté la vaccination sur ces deux maladies a eu un vrai effet sur leur circulation depuis deux ou trois ans. La grippe est bien maîtrisée désormais en France et les chevaux bien vaccinés globalement.
Quels sont les avantages de cette vaccination sur d’autres formes de maladies ?
Grâce à la vaccination systématique, obligatoire et contrôlée, les formes de rhinopneumonie les plus sévères sont moins présentes… même s’il faut toucher du bois car nous ne sommes à l’abri de rien. La grippe circule toujours en France, nous avons des foyers ici et là . Concernant la rhinopneumonie, elle circule davantage à l’élevage car c’est comme une varicelle ou un zona [une réactivation de la varicelle chez ceux l’ayant déjà contractée, ndlr]. On vaccine une jument – et c’est très important de le faire – mais on n’empêchera jamais une jument d’avorter de temps en temps, malheureusement. Pour des raisons que l’on maîtrise très peu, cela peut ressortir et même si la vaccination freine, elle n’empêche pas tout.
Fin mars, en France, nous notons moins de grippe, de HVE1 et 4 mais beaucoup de maladies respiratoires du type EHV4. C’est un virus respiratoire qui ne se réactive pas toujours mais ce sont de petites rhinos, trachéites, bronco-trachéites, trachéo-bronchites. En général, cela ne se maîtrise pas trop mal. C’est inévitable. Il y a ensuite un ensemble de virus que l’on maîtrise moins, parce qu’on ne vaccine pas pour s’en prémunir. Je parle des rhinovirus de type A et B – qui donnent typiquement la rhinite virale chez l’homme. Dans ce cas, on a un gros rhume qui dure huit jours – qu’on le soigne ou non. Et, pendant ce temps-là , si on est à la maison ou au bureau, on peut aller travailler avec un masque et il n’y a pas de problème mais je vous déconseille fortement le footing ! Chez l’humain comme chez le cheval, cela fait très mal aux sinus. Dès que les voies respiratoires sont irritées, il devient très difficile de respirer. Cela arrive dans la trachée, avec des volumes d’air gigantesques chez un cheval.
Quel conseil donneriez-vous à un entraîneur de chevaux de course pour éviter les maladies virales ou limiter leur propagation ?
La théorie est simple : prévention, détection, isolement et biosécurité et vaccination. La pratique l’est moins.