Felix the First
Par Christopher Galmiche
cg@jourdegalop.com
Il s’en est passé du temps pour Felix de Giles depuis sa première expérience française survenue au cours de l’été 2014, chez Yannick Fouin. Après avoir notamment collaboré pour Nicky Henderson, Tom George, Charlie Longsdon et Martin Keighley, et accumulé 250 succès en Angleterre, le jockey a pris le parti de découvrir l’obstacle “à la française”. En 2015, il s’est installé dans l’Hexagone, à Vaumas, pour collaborer avec Emmanuel Clayeux qui l’a véritablement lancé. Petit à petit, Felix de Giles s’est construit un joli palmarès. Devenu quelques saisons plus tard jockey free-lance, il a réalisé une excellente année 2023, remportant un premier Gr1 avec Juntos Ganamos (Martaline) dans le Prix Ferdinand Dufaure et surtout, une première Cravache d’or avec 92 victoires. Sans quelques arrêts durant l’année, liés à des chutes, Felix de Giles aurait d’ailleurs certainement dépassé la barre des 100 succès. Mais qu’importe, comme il nous l’a appris au cours de l’interview qui suit, son but est – et restera – de monter de bons chevaux pour de bons professionnels, en se projetant sur le long terme avec chaque cheval. Le reste ? C’est du bonus !
Jour de Galop. – Que représente pour vous l’obtention de cette première Cravache d’or, en étant resté fidèle à votre objectif numéro 1, celui de monter de bons chevaux pour de bons professionnels ?
Felix de Giles. – La Cravache d’or n’a jamais été réellement un objectif mais, à la fin du printemps, lorsque nous avons vu que nous étions compétitifs pour l’obtenir, nous nous sommes déplacés un peu plus afin de gagner des courses. Je suis content d’avoir eu une Cravache d’or, mais ce n’est pas une fin en soi. Je pense que le fait de trop courir après les victoires peut changer le mental d’un jockey. Je veux toujours monter pour mon cheval, en respectant les ordres car il a une carrière à faire. Il faut regarder la carrière des chevaux sur le long terme. Un entraîneur établit un programme pour l’année, tout n’est pas basé sur une course, et il ne faut pas que le cheval ait une course trop dure ou une mauvaise leçon. Il faut que l’objectif du jockey soit le même que celui de l’entraîneur et du cheval.
Personnellement, je pense que le classement des jockeys, si l’on veut voir ce qu’il en est réellement, devrait davantage se faire par rapport aux gains qu’aux victoires. D’autant que, parfois, pour des victoires, nous allons en province et nous prenons alors des montes aux jockeys locaux, voire aux jeunes jockeys qui auraient eu leurs chances… Si trois jockeys “parisiens” descendent sur un petit hippodrome, les entraîneurs et propriétaires ne vont sûrement pas dire non. Mon but est toujours de monter de bons chevaux et de travailler avec de bons professionnels. Le reste n’est que du bonus !
À quel moment dans l’année vous êtes-vous dit que la Cravache d’or allait pouvoir devenir un objectif sérieux ?
J’ai quasiment toujours été en tête du classement et avec de l’avance. Logiquement, on pense alors qu’il n’y a aucune raison que l’on n’y arrive pas. Mais, paradoxalement, même si c’est la meilleure année que je réalise, c’est aussi l’année où j’ai eu le plus de “casse”… 2023 a été physiquement très difficile pour moi. J’ai été en arrêt pendant un long moment et j’ai également dû faire une croix sur beaucoup de gagnants.
Lorsque vous avez eu votre blessure en octobre, blessure qui vous a immobilisé trois semaines et demie, avez-vous eu des craintes de ne pas réussir à décrocher la Cravache d’or ?
J’ai été arrêté trois semaines et demie puis je suis revenu. J’ai alors fini deuxième puis je suis retombé. Il faut décider le bon moment pour revenir. Mais j’ai très souvent monté avec de petits soucis même si cela s’était très bien passé, comme lors de ma victoire dans le Prix Ferdinand Dufaure (Gr1) avec Juntos Ganamos (Martaline). La question est plutôt mentale. Est-ce que je suis prêt à revenir et à avoir confiance en moi ? Telle est la véritable question. Est-ce que je peux reprendre et donner une bonne monte à un cheval ? Si la réponse est non, c’est alors plus juste pour le propriétaire comme pour l’entraîneur et le cheval de ne pas reprendre la compétition. Il faut être responsable, penser à l’équipe plutôt qu’à soi. Mais mon avance m’a permis de tenir. La question était plutôt de ne pas être – trop – souvent sur la touche…
Vous parliez de mental, qui est très important pour un sportif et encore plus pour un jockey d’obstacle. Avez-vous une recette pour le travailler ?
Pas vraiment. Maintenant, j’ai de l’expérience et je n’ai plus le même mental que lorsque j’avais 18 ans. Le chemin a été long. J’ai vu beaucoup de choses, connaissant des passages très faciles, mais aussi d’autres très difficiles mentalement. Comme jockey, il faut seulement gérer le mental. Il y a la question du poids évidemment, des blessures, mais le mental d’un jockey, c’est cela qui compte le plus. Pour moi, c’est la seule chose que l’on doive vraiment entretenir. Il faut rester positif, avoir confiance en soi. Mais il ne faut pas pousser cette confiance au point de se dire que l’on n’a plus besoin d’apprendre. Avant chaque course, j’ai confiance en mes capacités. Mais, après chaque course, j’essaye de voir ce que j’aurais pu faire différemment afin de donner une meilleure course à mon cheval. C’est très important d’apprendre tous les jours.
Quel est votre plus beau souvenir en 2023 ? Votre premier succès de Gr1 en selle sur Juntos Ganamos ?
C’est certainement un grand objectif que j’ai atteint. J’ai obtenu de nombreuses places dans des Grs1 en France comme en Angleterre. Je me suis dit que ce n’était pas possible d’arriver à ce moment de ma carrière sans connaître de succès de Gr1. En fait, avec la victoire de Juntos Ganamos, j’étais plus soulagé que content. D’autant que le cheval était le favori, ce qui implique encore plus de pression. Globalement, c’était une année excellente. J’ai enregistré beaucoup de gagnants pour des personnes avec lesquelles j’adore travailler. Le lien avec Gabriel Leenders est important pour moi. C’est lui qui m’a un peu porté, avec une connexion qui a bien fonctionné.
Comment a commencé votre association avec Gabriel Leenders ?
Ce n’est pas récent. Je le connais depuis de longues années car nous nous étions rencontrés chez Nicky Henderson il y a très longtemps. J’ai d’ailleurs toujours un peu monté pour lui. Mais il avait son équipe et, de mon côté, j’avais d’autres entraîneurs avec lesquels je collaborais. Nous n’avions jamais trouvé le bon moment pour travailler ensemble. C’est un excellent homme de cheval, quelqu’un qui comprend ses chevaux. Il est très sérieux, s’adapte beaucoup et a changé de nombreuses petites choses pour toujours s’améliorer. J’adore ça chez lui ! En 2023, nous avons trouvé le bon timing pour travailler ensemble. C’est un entraîneur qui possède un très bel avenir.
En 2023, vous avez également gagné pour les deux professionnels, Emmanuel Clayeux et Yannick Fouin, avec lesquels votre histoire française a débuté…
Quand je suis arrivé d’Angleterre, j’avais environ 250 gagnants. J’étais connu là -bas mais, en France, cela ne comptait pas. J’ai recommencé de zéro. Emmanuel Clayeux est le premier qui m’a poussé à 110 %. Il est le premier à m’avoir fait monter de bons chevaux sur de bons hippodromes. Je n’oublierai jamais cela… C’est aussi quelqu’un avec qui j’adore travailler. C’est un grand formateur de chevaux de cross, discipline que j’apprécie particulièrement. J’ai pris beaucoup de plaisir à gagner le Prix Sytaj (Gr3) avec Inga Kam (Kamsin), d’autant plus que c’est une fille de Vinga (Voix du Nord), jument dont j’étais très proche. C’était vraiment sympa ! J’ai aussi savouré mes succès pour Yannick Fouin, neuf ans après mon arrivée en France. Lorsque j’ai débarqué à Maisons-Laffitte, je ne parlais pas un mot de français. J’avais monté un peu pour Yannick avant que je parte chez Emmanuel Clayeux. J’avais eu l’occasion de voir un style et une méthode d’entraînement que je n’avais jamais vus en Angleterre. J’ai vraiment adoré ! J’ai aussi gagné pour Éric Leray qui a dû me faire monter l’un de mes premiers gagnants en France. J’ai fait quelques gagnants pour lui en 2023 et j’en étais très heureux.
Vous avez parlé du cross. Ce n’est pas une discipline dans laquelle tous les jockeys d’obstacle et les Cravaches d’or ont monté. Est-elle importante à vos yeux ?
J’ai découvert le cross en France. C’est le pinacle du jockey d’obstacle ! Lorsque l’on se met en selle sur un cheval de cross qui connaît le parcours, c’est exceptionnel ! Il y a un vrai lien entre le jockey et le cheval. Les chevaux de cross sont souvent intelligents et bien équilibrés. On ne peut pas faire mieux au niveau sensation ! J’adore le cross d’autant que cela attire beaucoup de monde sur les hippodromes, ce qui est capital. Et je trouve que les chevaux de cross sont très attachants. Il faut beaucoup de temps pour les former. Il faut vraiment garder en tête que le cross reste une discipline très importante. Je veux la voir progresser plutôt que reculer !
D’ailleurs, les bonnes juments de cross deviennent régulièrement de bonnes poulinières…
Oui, c’est exact. Souvent, elles sont intelligentes, toniques, équilibrées, et ce sont des qualités qu’elles peuvent transmettre.
Votre réussite en 2023, c’est aussi le fruit de votre association avec votre agent, Benoit Gicquel…
Pour un jockey free-lance, il est très important d’être géré par un bon agent. Avec Benoit, nous avons le même esprit et il a été sur le devant de la scène avant moi. Il peut me conseiller et c’est quelqu’un qui comprend vraiment bien les chevaux. Je le laisse décider et gérer mes montes à 100 %. Nous essayons de rester professionnels avec une vision à long terme. Autour de moi, j’ai une superbe équipe qui me permet de travailler comme je le fais.
On imagine que vous ne regrettez pas d’être parti d’Angleterre. Entre vous et Nico de Boinville, Nicky Henderson a vu passer de drôles de jockeys chez lui ces dernières années…
C’est vrai (rires) ! Il y a beaucoup de bons jockeys qui ont débuté là -bas. On acquiert vraiment d’excellentes bases chez Nicky Henderson. Ce n’est pas simple mais c’est très bien pour les jeunes jockeys d’avoir ce cadre. C’est très formateur, d’autant que l’on a de bons professionnels autour de soi, comme les premiers garçons, l’équipe autour… En France, beaucoup d’entraîneurs forment très bien également leurs jeunes jockeys. Mais une bonne partie de ce que j’ai appris vient de mon père [Ed de Giles, ndlr]. Il est mon formateur numéro 1 ! Il m’a toujours poussé et a tout fait pour moi. C’était un petit entraîneur mais, dans ma jeunesse, il y avait un paquet de poneys à la maison. Il en a acheté cinq ou six pour mon frère et moi et nous les débourrions, avant de les vendre lorsqu’ils étaient d’un bon niveau. C’était un moyen parfait pour apprendre à bien monter. C’était énormément de travail pour mon père. Tout a donc commencé avec lui ! Évidemment, il est fier de ma réussite. Je n’étais pas le gamin le plus facile, donc il avait beaucoup de travail avec mon frère et moi (rires) ! Nous avions beaucoup d’énergie… J’ai admiré et j’admire toujours mon père !
Pour 2024, vous êtes vous fixé des objectifs précis ?
Plus ou moins les mêmes que les années précédentes : je souhaite monter de “bons” chevaux pour de “bons” professionnels. Et entretenir d’excellentes relations avec ces entraîneurs. Le jour où je n’aurai plus ces objectifs, je changerai de métier !
L’année débute avec Pau pour vous. Avez-vous déjà vos montes pour les belles épreuves paloises ?
Dans le Grand Cross, je vais monter Saint Godefroy (Doctor Dino). J’ai hâte de le retrouver dans la prochaine préparatoire. Il avait été impressionnant la dernière fois. Lorsque l’on voit Hip Hop Conti (Lauro) gagner comme il l’a fait, je pense que nous devrions assister à un beau match avec Saint Godefroy dans le Grand Cross. J’ai hâte d’y être ! C’est cela qui fait le buzz dans les courses. Il devrait y avoir beaucoup de bons chevaux engagés dans le Grand Prix (Gr3) et la Grande Course de Haies (L). À cette heure, il y a encore beaucoup de choses qui peuvent changer…