LAURENT BRUNETEAU, 50 ANS DE COURSE, 4.000 ÉMISSIONS
Vendredi, Laurent Bruneteau a pris le micro pour la 4.000e fois. Le temps d’une interview, il a accepté d’enlever son masque d’animateur. Et on peut voir que derrière sa bienveillance bien connue se cache pas mal de lucidité…
Adrien Cugnasse
Laurent Bruneteau est quasiment né sur un hippodrome. Son pedigree le prédestinait au galop ! : « Cela fait cinquante années que je vais aux courses. Je me souviens y être allé à 6ans en famille à Cagnes-sur-Mer. Très vite j’ai commencé à lire la presse hippique. Je faisais le papier et ma mère jouait 10 francs pour moi. » Si vous avez des vieux Courses & Élevage dans votre bibliothèque, vous êtes forcément tombés sur la signature Bruneteau. Et ce n’est pas un hasard : « Mon grand-père a été rédacteur en chef de Sport Complet. Lorsque ce journal a fusionné avec Paris Turf, il a fait partie des créateurs de Courses & Élevage. C’était un journaliste avec une bonne plume. Je l’ai connu jusqu’à l’âge de 11 ou 12 ans. Il écrivait sous son nom Pierre Bruneteau ou sous les pseudonymes Perplexe et Sir Peter. Mon père, lui, était entraîneur [Alain Bruneteau a gagné le Grand Prix de Deauville 1978 avec Santalino, ndlr]. J’avais mal au ventre quand il avait des partants. C’est dire si j’étais impliqué dans l’écurie ! »
L’enfance de l’art
« J’ai commencé par six ou sept années dans la presse écrite, comme pigiste, mais aussi dans le magazine que j’avais créé, Les Cahiers du Turfiste. Une aventure amusante avec Hervé Engel. Sans oublier, en parallèle, le service audiotel de France 2 ou des remplacements chez France Info. Par la suite, à la télévision, j’ai travaillé pour La Minute Hippique qui suivait le journal de 20 h. Lancer un journal comme Les Cahiers du Turfiste, ce ne serait pas possible aujourd’hui en papier car la presse va beaucoup moins bien. Mais pour autant, l’époque offrait d’autres difficultés comme les relations avec les points de vente et les NMPP [la société chargée de la distribution, ndlr]. La division 1 du métier, c’étaient les publications de Jean-Claude Seroul et Hachette. Nous faisions partie des nombreux titres de la division 2. Le travail au sein d’un périodique m’a beaucoup appris. Je pense que l’écrit est une étape importante même lorsque l’on s’exprime à l’oral. Dès les années 1990, j’ai pris l’option de postuler à la télévision où une nouvelle chaîne allait voir le jour. J’ai passé mon casting avec Jefferson qui venait de Canal Courses, la chaîne diffusée dans les points de vente. Ma première émission – sur France Courses – remonte au 15 octobre 1996 à Fontainebleau. C’était sommaire, car j’étais seul au milieu du rond. Pour combler les 30 minutes entre chaque course avec des invités, je faisais signe aux gens pour qu’ils viennent me voir ! »
Le direct c’est la vie
« Ce que j’ai aimé, c’est de vivre toutes les époques de la chaîne, de France Course à Equidia. J’ai connu cette phase intéressante avec des jeux, des quiz, des émissions ambitieuses… Puis la phase d’accélération avec la multiplication des réunions. Il y a des bons et des mauvais souvenirs. Mais avec le temps on finit par être capable de rire de tout. Comme lorsque l’on se prend des douches en extérieur lorsqu’une bâche d’eau a cédé. Ou lorsque des invités prennent le micro pour régler des comptes avec l’Institution ou des confrères en direct. C’est assez musclé mais ça peut être intéressant ! Le direct c’est la vie et il s’y passe plein de choses. Je me souviens aussi de grands moments d’émotion ou de joie. J’ai eu la chance d’interviewer une grande diversité de personnages, comme feu Son Altesse l’Aga Khan. Des instants assez privilégiés. »
Les chiffres et le jeu
« J’aime les chiffres. Ils ont beaucoup à nous apprendre si on prend le temps de les regarder. J’ai su compter avant de savoir lire et j’ai un rapport passionnel au calcul mental, aux statistiques… Dès ma première émission, j’ai commencé à tenir les comptes et aujourd’hui nous en sommes à 4.000 émissions… Enfant, j’avais un jeu de société – Cravache d’or – où je notais toutes les arrivées pour faire des statistiques… Tout en commentant les épreuves devant mes jeunes amis ! Voilà pour mon rapport aux courses et aux chiffres… J’aime bien jouer, mais pas constamment. C’est par période donc. Jouer c’est accepter la possibilité de perdre et je ne suis donc jamais rentré dans un état d’esprit négatif. On peut par exemple subir une mauvaise monte mais il faut l’accepter. C’est consubstantiel au jeu. »
Déclinisme et négativité
Quiconque a un peu traîné ses guêtres dans les salles de presse des hippodromes mesure à quel point la profession est pessimiste. Le fait d’être dans un état d’esprit positif n’est pas perçu positivement. Ou du moins, c’est interprété comme un manque de lucidité. Laurent Bruneteau analyse : « Le déclinisme, la négativité, ce n’est pas mon état d’esprit. Je suis positif par nature. On ne se refait pas. Mais de manière pragmatique, si je mets ma personnalité de côté, je pense qu’on a tout intérêt à être positif. Ce n’est pas en répétant « ça va mal, ça va mal, ça va mal ! » que les choses finissent par aller mieux. Même si on a une nature pessimiste, on a tout intérêt à lutter contre cela… À condition de vraiment avoir l’envie d’intéresser les gens à notre milieu. Si on leur dit : « les hippodromes ce n’est pas bien, tout va mal, il n’y a pas de partants… » on alimente une spirale négative. On ne peut pas occulter les problèmes, mais cela ne doit pas être le message qu’on envoie à l’extérieur. Cette négativité, c’est peut-être plus français que strictement hippique ! »
Élargir la base
« Ce que j’aime aussi dans les courses, c’est la mixité sociale et leur côté intergénérationnel. Sur les hippodromes, on parle pendant des années avec des gens sans leur demander nécessairement quel est leur boulot et d’où ils viennent. Notre problème c’est la pyramide des âges des parieurs. Les jeunes joueurs sont plus présents sur les autres types de paris. Dans un monde idéal, il faudrait trouver un ou deux jeux pour les conquérir. Un jeu avec une dimension européenne qui représenterait donc un volume de paris important, quitte à commencer par un nombre de pays réduit. Un jeu new-look avec une espérance de gain importante. Ce format fonctionne ailleurs… Donc pourquoi pas pour les courses ! Nous avons aussi un problème de nomenclature. Le terme Quinté sonne vieillot et n’attire pas forcément les 20/30 ans. Le Quinté représente désormais 19 % de part de marché alors qu’il était à 35 % dans les années 1990. Par ailleurs, même s’il y a M6 et L’Équipe, la course du Quinté est principalement diffusée à l’intérieur de la bulle hippique, sur Equidia et sur les réseaux sociaux des médias spécialisés. Par essence, si vous suivez la presse hippique sur les réseaux sociaux c’est que vous faites déjà partie de cet univers. Pourquoi ne pas lancer des partenariats avec de gros influenceurs ou youtubeurs ? La conquête du public jeune par les paris sportifs ne s’est pas faite autrement, car cette génération ne regarde pas la télévision et elle lit peu les journaux. Notre audience totale actuelle est infiniment inférieure à la leur. Mais je ne suis pas fataliste car les courses françaises ont des points forts pour parvenir à se relancer et faire rentrer l’hippodrome dans le schéma de loisir régulier des Français. »
En Grande-Bretagne, les sociétés de course ont massivement investi le terrain des réseaux sociaux. Le projet Raceday TV – sur Instagram et TikTok – est un grand succès. La chaîne Racing TV, plutôt que mélanger tous les messages, a fait le choix de développer un contenu spécifique pour les jeunes sur une nouvelle marque avec des comptes dédiés et différents sur les réseaux sociaux. Et ça marche, avec par exemple 50 millions de vues sur les réseaux sociaux. Ce public trouve, sur Raceday TV, un contenu totalement différent de celui proposé par ailleurs dans les médias aux parieurs ou aux socioprofessionnels. Laurent Bruneteau est le cofondateur de Jockiz et il explique : « Jockiz est une proposition intéressante vis-à-vis du grand public. Par rapport aux chevaux, il est plus facile de suivre les jockeys car leur carrière est plus longue. Certains joueurs ont découvert les courses par l’intermédiaire de Jockiz. »