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vendredi 4 avril 2025
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COMMENT LE STRESS À L’ÉLEVAGE CONDITIONNE L’ENSEMBLE DE LA VIE D’UN CHEVAL

COMMENT LE STRESS À L’ÉLEVAGE CONDITIONNE L’ENSEMBLE DE LA VIE D’UN CHEVAL

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Il est établi de longue date par des études scientifiques qu’un travail précoce mais raisonné favorise la longévité et la réussite des chevaux de course. En d’autres termes, on sait qu’il faut mettre les chevaux tôt au travail si l’on veut qu’ils aient un bon développement ostéoarticulaire. Si vous exposez ce genre de fait scientifique à un opposant aux courses, il vous répondra : « Les chevaux ne sont pas faits que de chair et d’os, ils ont aussi des émotions et le travail précoce abîme psychologiquement les 2ans. » 

Deux chercheurs – dont Gemma Pearson – ont publié une étude passionnante à ce sujet dans l’Equine Veterinary Journal (« Start’em young, treat’em right : How horses’ early life experiences can set them up for success in life »). En tant que proie, les chevaux naissent avec une grande indépendance en comparaison avec les nouveaux-nés humains, mais aussi avec un certain nombre de réactions de peur préprogrammée. Et, très jeunes, ils sont prêts à commencer à modifier et à affiner ces réactions de peur dans un effort d’autoconservation. Ce qui suggère que leur cerveau est probablement prêt à s’engager dans l’entraînement avant que leur corps ne le soit. D’où la réussite de ceux qui travaillent leurs chevaux très tôt dans leur vie, mais de manière très progressive et respectueuse afin de leur laisser le temps de venir à maturité physiquement. Et tout cela est lié à leur capacité à gérer le stress. Le docteur Gemma Pearson (Université d’Édimbourg) est une spécialiste du comportement équin : « Mes recherches portent sur le stress. J’ai aussi une activité de comportementalisme, c’est-à-dire que je vais dans des haras pour les sujets ayant des problèmes de comportements stéréotypés équins [le tic à l’appui, le tic à l’air, le tic de l’ours, ndlr]. Enfin, je travaille aussi avec des chevaux de 4 ou 5ans qui ont subi des situations de grand stress dans leur jeunesse. »

À quel âge les chevaux sont-ils mentalement prêts à courir ?

« En mai 2024, Fred Barrelet a organisé une conférence à Newmarket sur la maturité psychologique avec des représentants de la filière allemande, un pays où le gouvernement remet en cause la possibilité de monter les chevaux avant leur 30e mois… Les courses allemandes ont une dispense en attendant qu’une étude scientifique statue sur ce cas. Cette conférence a aussi été organisée en présence de John Gosden ou Mark Todd et j’ai fait partie du panel en tant que vétérinaire spécialiste du comportement équin. La question qui m’a été posée est la suivante : « À quel âge les chevaux sont-ils mentalement prêts à courir ? » À mon sens, cette question n’est pas la bonne. Car tout dépend de l’individu et de son parcours avant d’arriver au stade de la course. Lors de la conférence, j’ai donc donné l’exemple de deux pouliches que j’ai connues et qui sont nées le même jour. La première, très bien née, a été sevrée très tôt et donc fortement exposée au stress, avec de multiples changements de lieux. L’autre, avec un papier moins prestigieux, fut sevrée plus tard, avec beaucoup de précautions et elle est restée chez le même entraîneur durant sa carrière. La première a gagné en débutant mais n’a jamais réussi à répéter, montrant des signes de difficultés récurrents, notamment aux boîtes. Elle est donc partie au haras, où sa production a aussi hérité de ses problèmes de comportement. La seconde n’a jamais posé problème, se montrant calme en toutes circonstances. Elle manquait de qualité en course, ce qui n’était pas une surprise vu son pedigree, mais elle n’a jamais posé aucun problème car durant la première partie de sa vie, elle a acquis une forme de résilience face au stress. »

Beaucoup de choses se jouent au sevrage

« Le sevrage est un élément crucial dans la vie d’un animal. Que ce soit un cheval, un mouton ou une vache. Car le niveau de stress qu’il engendre est élevé. Et les conséquences sont là pour le reste de la vie. À l’état naturel, les foals arrêtent de téter à neuf mois environ. Mais ils restent à proximité de leur mère et du groupe familial jusqu’à approximativement 18 mois… Chez les chevaux domestiques, le sevrage a lieu vers six mois. C’est trop tôt et c’est motivé par des raisons extérieures ou pratiques. On arrête brusquement la tétée, tout en les coupant des adultes qui composaient jusqu’alors leur groupe social. Dans l’idéal, il faudrait que des chevaux adultes – que le foal connaît déjà – restent avec lui. Cela renforce son sentiment de sécurité dans l’herbage, plutôt que de le laisser uniquement avec des poulains de son âge. Une étude a suivi le développement des comportements stéréotypés équins [le tic à l’appui, le tic à l’air, le tic de l’ours, ndlr] à l’âge adulte en fonction du sevrage. Ceux sevrés de manière naturelle n’en développent pratiquement pas. Les autres en présentent bien plus à l’âge adulte. Nous devons donc trouver des compromis entre les besoins des jeunes chevaux et le fonctionnement de la filière sur le plan économique. Chaque haras peut essayer d’améliorer ces pratiques, petit à petit, pour réduire le stress dans la vie des chevaux sans forcément tout révolutionner. »

La transmission du stress

« Une poulinière très compliquée pour les personnes qui l’entourent, très agressive, mérite d’être regardée par un comportementaliste. Cela peut passer par le fait de réduire son stress, y compris en utilisant la médication, car on sait que cela va influer sur le développement psychologique de ses produits qui vont avoir une chance d’acquérir la capacité à supporter le stress. Au-delà de l’imitation du comportement, lorsqu’une jument est très stressée, cela affecte le développement cérébral des poulains par des phénomènes épigénétiques. » L’épigénétique correspond aux modifications chimiques qui régulent l’expression des gènes sans changement de séquence sur l’ADN. En d’autres termes, des facteurs extérieurs – comme le stress – vont en quelque sorte allumer ou éteindre certains gènes grâce à des marques biochimiques qui jouent le rôle d’interrupteurs et qui se transmettent le temps de quelques générations. 

Le vivant a ainsi trouvé un mécanisme pour s’adapter plus vite (et momentanément) aux changements de l’environnement que la sélection naturelle qui, elle, s’opère sur le temps long. Prenons un exemple avec l’espèce humaine. En 1944, un blocus allemand, pour punir la réticence des Néerlandais à soutenir l’effort de guerre nazi, coupa les livraisons de nourriture et de carburant depuis les zones agricoles. Une famine terrible a alors frappé la population des Pays-Bas. Logiquement, les bébés sont nés plus petits. Mais de manière contre intuitive, dans l’après-guerre, lorsque le niveau d’alimentation était revenu à sa normalité, les nouveau-nés n’avaient toujours pas retrouvé leur poids de naissance habituel. Il a fallu trois générations pour que la situation redevienne normale. La principale explication vient de l’épigénétique : le stress alimentaire a influé sur l’expression génétique et cela s’est transmis pendant quelques décennies, avant que les marques biochimiques greffées à l’ADN ne disparaissent dans la nature.

Adapter ses choix de croisement

Dans l’article scientifique cosigné par Gemma Pearson, les deux auteurs émettent des recommandations en matière d’élevage et notamment : « Le choix, au niveau des croisements, de jument et d’étalons susceptibles de donner une progéniture confiante. » La scientifique détaille : « Les éleveurs, en observant leurs foals et ceux des autres aux ventes, arrivent à identifier les traits de caractère que chaque étalon transmet. » Le fait de produire des animaux confiants et capables de gérer le stress peut avoir de grandes conséquences sur leur future vie de cheval de course. Cela pourrait même faire partie des facteurs qui permettent d’expliquer pourquoi certains haras surperforment par rapport à leur niveau de pedigree, tout comme le font, par exemple, ceux qui sont connus pour produire des chevaux physiquement très sains : « La manière dont les chevaux sont capables d’appréhender le stress sera assurément l’un des facteurs contribuant à leur réussite à l’âge adulte. Et même un facteur important. »

Trouver le bon niveau de stress

La loi de Yerkes et Dodson est une relation empirique entre le niveau d’éveil – ou d’excitation – et la performance cognitive. Le niveau de performance varie avec le niveau d’éveil et il serait optimal à un niveau d’éveil moyen : quand le niveau d’éveil est trop haut ou trop bas, la performance est affectée. Gemma Pearson poursuit : « Les haras qui font bien les choses façonnent les foals pour qu’ils soient résilients face au stress. Ce qui leur donne la capacité, une fois adulte, à atteindre la plénitude de leur potentiel sportif. À l’inverse, les foals qui ont été soumis à un stress trop élevé subissent une altération dans leur développement cérébral. Et ils auront du mal à gérer les situations stressantes, comme la compétition. Comme chacun le sait, pour qu’un cheval court bien, il faut qu’il soit suffisamment détendu. Cette capacité fait partie des nombreux facteurs, au-delà du pedigree qui vont influer sur le niveau de performance, tout comme l’alimentation ou l’exercice physique en tant que foal qui permet de développer correctement le squelette et les articulations. »

Dès le stade de foal, les chevaux sont capables d’apprendre

Dans les sports équestres, il existe cette tendance qui pousse à retarder de plus en plus le débourrage des chevaux, certains jugeant que le faire à 3ans est même trop précoce. De la même manière, on trouve aujourd’hui des épreuves de jeunes chevaux… réservées aux 8ans ! Mais cet excès de patience fait-il sens sur le plan du développement physique et psychologique des athlètes ? : « L’activité physique précoce est importante pour le développement physique des chevaux, y compris au niveau musculaire et tendineux. Du point de vue mental, nous devrions viser à les exposer à de petits stress afin qu’ils apprennent à résoudre le problème. Ils gagnent alors en confiance et en résilience face au stress. Il faut donc les exposer à des difficultés qui sont des challenges pour les jeunes chevaux, mais qui restent suffisamment faciles pour eux. Une des erreurs serait de leur demander trop et trop tôt. En sachant qu’il faut voir chaque cheval comme un individu. Je pense que les bons entraîneurs sont ceux qui ont la capacité à identifier les jeunes chevaux avec une capacité précoce à l’apprentissage rapide et ceux pour qui c’est moins le cas. Nous savons que les chevaux ont une très bonne capacité à apprendre depuis qu’ils sont foals. En matière d’apprentissage, il ne faut bien sûr pas les exposer à trop de stress. Mais les abandonner à leur oisiveté jusqu’à l’âge de 4ans puis soudainement les envoyer au travail ne leur sera pas bénéfique. »

La précocité

« On revient toujours à la même chose, c’est-à-dire à identifier où en est chaque poulain, et ce à chaque étape de sa vie. Ainsi, je vois certains chevaux faire trois jours de camion entre l’Angleterre ou la Suède et l’Espagne pour prendre part à des concours de CSO. Et à 5ans, je pense que ce n’est pas idéal. À mon sens, courir à 2ans n’est pas un problème en tant que tel, c’est une question d’individu. Pour aller en compétition à cet âge, il faut cumuler maturité physique et mentale. La précocité est aussi liée, pour partie, à la date de naissance. Mais elle résulte aussi des bonnes pratiques avant l’arrivée à l’entraînement. Cela commence par un sevrage pas trop précoce, mais aussi une exposition modérée au stress. Ces conditions réunies, on doit pouvoir très progressivement commencer à les monter avec une selle à la fin de leur année de yearling, avant de les faire gagner en condition en début d’année de 2ans. Mon inquiétude porte plutôt sur ceux qui vont aller aux courses trop vite après leur mise au travail. Ou sur ceux qui changent en permanence d’environnement. Trop de mouvement, trop de changement d’écurie, représente un réel stress. » Parmi les bonnes pratiques chez les jeunes chevaux, Gemma Pearson identifie les temps de repos : « Il est important de leur donner des jours de respiration, idéalement plusieurs jours par semaine au pré avec d’autres chevaux, avant d’enchaîner les journées de travail. »

Faire au mieux avec ses moyens

« Le fait que par le passé un lad s’occupe de deux à trois chevaux par matinée avait des conséquences très positives, car chaque personne avait beaucoup de temps à consacrer à chaque cheval, ce qui avait pour effet de réduire le stress, en créant une relation. Si vous montez huit lots par matinée, ce n’est pas la même histoire. Le bien-être animal, c’est essayer de se mettre à sa place. Quand un cheval sort de la norme, on a vite fait de dire qu’il est stupide ou difficile. On accuse trop souvent l’animal, au lieu de chercher une solution. La plupart des propriétaires ne sont pas dupes : on ne gagne pas d’argent avec les chevaux. Ils sont là par amour de l’animal et veulent que leurs chevaux soient heureux. Et c’est la même chose pour le grand public. Le monde des courses fait le plus souvent pour le mieux… en fonction de ses moyens et de son niveau de connaissance. Et je pense qu’il est de notre devoir de diffuser ladite connaissance pour le bénéfice des chevaux. Je bénéficie actuellement d’un financement du Hong Kong Jockey Club pour étudier les bonnes pratiques en matière de bien-être pour les chevaux de course de tous les âges. Notre but est de mesurer le bien-être aussi dans sa dimension positive et pas uniquement en cherchant son expression par des signes négatifs. Nous avons déjà fait cela avec des animaux de ferme. »

Diffuser la connaissance

« Je pense que nous disposons d’études de grande qualité sur les animaux de ferme, mais aussi sur les laboratoires et même chez les êtres humains. Pour les pur-sang anglais, c’est plus compliqué. Il faudrait des fonds colossaux pour mener des expérimentations dans un haras où la moitié des chevaux seraient soumis au stress et l’autre non. Personne ne sera volontaire pour que ses animaux suivent ce protocole. Tout le monde voudrait un grand programme de recherche. Mais peut-être pourrions-nous commencer par utiliser les connaissances déjà établies, en les appliquant aux galopeurs. D’un point de vue psychologique, ils ne sont pas très différents des autres races de chevaux. Il y a des variations raisonnables sur ce point, exactement comme chez les bovins et les ovins, ou même les rongeurs. La particularité du pur-sang anglais, c’est sa sensibilité et donc sa réactivité au stress. Mais un cheval reste un cheval au niveau de ses besoins et de ses mécanismes psychologiques. » À ce stade, la discussion reste souvent confinée aux débats entre experts dans les sociétés savantes : « Désormais, il faut certainement passer à une étape de diffusion de ces informations courtes, en proposant des formations pour les professionnels du monde du cheval. J’ai été invité par la TBA [l’équivalent anglais de la Fédération des éleveurs, ndlr] à donner une conférence à Newmarket. Des éleveurs présents ont manifesté beaucoup d’intérêt et le désir d’approfondir leurs connaissances. Nous pourrions certainement commencer par intervenir plus souvent publiquement, comme dans des conférences par exemple, sur des sujets tels que le comportement des équidés ou encore celui des jeunes chevaux. »

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