PATRICK LEMARIÉ, ÉLEVEUR DE WOODSHAUNA… MAIS PAS QUE !
Dimanche dernier, à Chantilly, Woodshauna (Wooded) a gagné le Prix Montenica (L) dans le style d’un cheval de Groupe. Un grand moment pour son éleveur Patrick Lemarié, que l’on connaît surtout en obstacle. L’homme du haras de Magouët est une personnalité bien connue de l’Ouest hippique. Sa passion est communicative, lui qui est présent sur tous les fronts au galop !
par Inès Montigny
ines@jourdegalop.com
Jour de Galop. – Comment avez-vous vécu la victoire de Woodshauna ?
Patrick Lemarié. – Anecdote amusante, j’étais au restaurant avec un ami qui n’est autre que le premier entraîneur chez qui j’ai eu un cheval. Je regardais la course sur mon smartphone que je cachais discrètement entre les assiettes. Avant que ce poulain ne commence à courir, j’avais vu Francis-Henri Graffard à Deauville et il m’avait dit que Woodshauna allait nous apporter bien du plaisir. Et il ne s’est pas trompé. Woodshauna est le premier produit de sa mère, Tosen Shauna (Alhebayeb), et donc son premier produit black type. Depuis, nous avons vendu un Hello Youmzain (Kodiac) qui est parti en Irlande et qui, théoriquement, devrait revenir pour la breeze up. Au haras, j’ai également un foal par The Grey Gatsby (Mastercraftsman) et la jument est actuellement pleine de Galiway (Galileo). J’avoue qu’avant la course de Woodshauna, j’avais un plan en tête pour la poulinière : la faire saillir par Big Rock (Rock of Gibraltar). Avec Wooded (Wootton Bassett), cela a bien fonctionné, donc je ne m’interdis pas d’y retourner l’année prochaine.
Comment avez-vous débuté au galop ?
Durant plusieurs années, j’ai eu deux métiers. J’ai été président directeur général de Temple Automobiles, une entreprise de négoce de voitures, ce qui m’a valu la chance d’être en quelque sorte le fournisseur officiel d’Arqana, Osarus et France Sire. Cela fait quatre ans que j’ai vendu cette société et que je me consacre entièrement à mon élevage. Avec mon épouse, nous avons ouvert le haras de Magouët, au nord-est de Nantes, à Campbon. Cela fait 47 ans que j’ai des chevaux. Je suis propriétaire et éleveur. J’ai des chevaux de plat et d’obstacle mais j’ai une préférence pour les sauteurs. En tant que propriétaire, j’ai principalement des chevaux d’obstacle, car je vends quasiment tous les chevaux de plat. En moyenne, chaque année, je conserve cinq ou six sauteurs sous ma casaque, jaune à chevrons noirs. Ma plus belle victoire reste celle de Gothatir (Muhtathir) dans le Grand Steeple-Chase de Clairefontaine-Deauville (L), le jour du festival du film américain. Je travaille depuis 30 ans avec Arnaud Chaillé-Chaillé, chez qui j’ai quatre chevaux actuellement. J’ai aussi obtenu d’autres beaux succès avec Got Fly (Early March) par exemple, qui a gagné le Prix Georges Trabaud (L) et pris une deuxième place dans le Hong Kong Derby (Gr1). Ou encore Keyflower (Kheleyf), qui a remporté le Prix Occitanie (L) avant d’être exportée au Canada, et Got Sun (Trempolino), lauréat du Grand Steeple Alain du Breil – Prix Kauto Star (L).
Commet votre élevage fonctionne-t-il ?
Le haras est géré en famille. Nous sommes partis de zéro avec mon épouse et elle m’assiste pour à peu près tout. Pour les naissances, par exemple. J’ai deux filles qui font également partie de l’entreprise. C’est un vrai métier de passion. Nous avons appris à travailler ensemble au fil des années et notre effectif s’est agrandi avec le temps. Du côté des croisements, c’est moi qui les réalise en totalité mais je n’ai pas pour autant de petit secret. J’étudie les pedigrees et, au fil des années, je sais ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les juments peuvent aller à l’étranger ou rester en France. Cela dépend des propositions mais je ne me ferme la porte à aucune. J’ai également des parts dans certains étalons comme Castle du Berlais (Saint des Saints)…
Peut-on dire de vous que vous avez plusieurs casquettes ?
Je me charge même d’emmener toutes les juments à la saillie ! J’ai le temps maintenant… Pour les ventes, je passe les chevaux via le haras de Grandcamp de la famille Lhermite. Ce sont des amis. Et si les produits ne sont pas vendus au prix voulu, je les conserve et les exploite. Pour moi, c’est le Graal de voir un cheval que j’ai élevé courir sous mes couleurs et remporter de belles courses. Lorsque l’on est uniquement propriétaire, on achète un cheval, on le met chez un entraîneur, on paie les factures tous les mois et on le voit courir. Alors que quand on l’a vu naître, c’est autre chose, c’est comme avoir un enfant. Une maman sera toujours fière de son bébé, malgré ce que la vie peut lui réserver…
Vous aimez provoquer la chance…
Oui, j’ai aussi beaucoup appris sur le métier grâce à mes relations. Lorsque j’avais mon entreprise et que j’allais aux ventes à Deauville, je vendais plus de voitures que de chevaux, ce qui est assez fou. Ceci dit, cela m’a permis de rencontrer de nombreuses personnes. Comme j’ai l’habitude de dire : « Qui sort, s’en sort ». Ensuite, je pense aussi qu’il y a des gens qui élèvent depuis des années et qui n’ont jamais réussi à sortir un cheval black type, alors que d’autres sont chanceux dès leur première jument. Il y a la chance mais il faut aussi savoir la provoquer. Même si, il est vrai, je trouve que le métier d’éleveur est le plus ingrat. D’une part, ce n’est pas toujours « payant » quand on voit les prix des saillies. Mais quand on a la chance que cela fonctionne, comme avec Woodshauna dimanche, cela ne peut que faire plaisir.
« Qui sort, s’en sort »
Le climat économique vous impacte-t-il ?
Il est vrai que le marché des ventes devient un peu plus compliqué. Déjà , le plat et l’obstacle sont deux marchés complètement différents. Ce n’est pas la même clientèle, ce n’est pas la même valeur pour les chevaux. À une époque, l’obstacle avait pris pas mal de valeur mais maintenant la tendance est à la baisse. Je pense qu’il faut s’adapter. Mais pour moi, sachant que j’exploite beaucoup plus les chevaux d’obstacle, on va dire que cela ne me dérange pas trop. Si les chevaux ne sont pas vendus comme je le souhaite, je les garde. Pour les ventes, il m’arrive de travailler avec des courtiers, par affinité. Si un courtier m’achète un poulain un bon prix, j’effectue la transaction par son intermédiaire lorsque je suis intéressé par une jument. C’est ce qui s’est passé avec la mère de Woodshauna à Deauville. J’avais établi une sélection et Tosa Shauna me plaisait. Je suis donc passé par un courtier. Ce sont des gens qui font partie de la filière et c’est important de les faire également travailler.
Vous êtes aussi quelqu’un d’investi dans la vie associative…
En effet. Je siège au Bureau de l’Apgo (Association des propriétaires des chevaux de courses au galop dans l’Ouest) mais également au Syndicat national. Nous n’avons toutefois pas de rôle particulier, le but étant d’organiser des événements locaux en « animant » les éleveurs ou les propriétaires. Par exemple, le 12 avril, nous organisons l’Assemblée générale et nous allons récompenser les propriétaires des chevaux de l’Ouest qui ont performé dans de bonnes courses. Nous récompenserons également les entraîneurs adhérents. Ces associations sont importantes, mais nous sommes surtout un groupe d’amis qui anime la filière. Une fois par an, nous partons à l’étranger pour découvrir d’autres événements. Nous nous sommes rendus à Cheltenham, Ascot, ou encore Dubaï. Cela nous permet de toujours « parler » cheval. Je suis en train de créer un bureau GDS (Groupement de défense sanitaire) pour la Loire-Atlantique. On m’a aussi proposé de rejoindre l’hippodrome de Nantes, mais je ne peux malheureusement pas être partout.
Et pour cette année ?
En tant que propriétaire – en obstacle par conséquent – j’ai quatre chevaux chez Arnaud Chaillé-Chaillé et une femelle chez Noam Chevalier. En plat, j’ai une pouliche chez Norbert Leenders, qui vient de terminer trois fois deuxième à Pornichet. En général, je n’ai pas de chevaux en totalité et je m’associe avec les entraîneurs. Je reproduis en quelque sorte mon leitmotiv d’homme d’affaires. Et, en tant qu’éleveur, pour cette année, j’ai déjà eu quatre naissances par Castle du Berlais, Goliath du Berlais (Saint des Saints), Nirvana du Berlais (Martaline) et Wooded. Il me reste 13 poulains à faire naître, dont quatre à terme : deux par Galiway (Galileo), un par Nirvana du Berlais et un autre par Anodin (Anabaa). Mais surtout, j’espère que Woodshauna va encore grimper quelques échelons. Je l’en crois capable… et je ne pense pas être le seul ! Croisons les doigts.