DAMIEN ET MARIE, L’HÉRITAGE « ARTU » MAIN DANS LA MAIN
La casaque vert et orange de la famille Artu est reconnaissable par tous les passionnés dans les pelotons. Elle est chargée d’histoire, le patronyme « Artu » étant bien plus qu’un simple nom. Dans les années 80/90, Jean-Yves Artu a en effet été l’un des meilleurs jockeys d’Auteuil. Et, une fois qu’il a raccroché ses bottes, l’ex-jockey a assuré les rôles d’entraîneur, puis d’éleveur. Suite au décès de leur père, le 13 novembre 2021, ses enfants Damien et Marie ont pris les rênes de l’entreprise familiale avec le soutien indéfectible de leur mère Carole.
Par Inès Montigny
ines@jourdegalop.com
Damien à l’entraînement
Jour de Galop. – Avant le décès de votre papa, aviez-vous déjà envisagé de devenir entraîneur ?
Damien Artu. – Lorsque j’étais jeune, mes parents m’avaient orienté vers les études. Après la tragédie de la perte de mon autre sÅ“ur [décédée des suites d’une chute en course, au Lion-d’Angers, ndlr], ma mère souhaitait à tout prix m’éloigner du milieu des courses. J’ai finalement commencé à monter plus tardivement et me suis tourné vers l’amateurisme. En parallèle, j’ai étudié la comptabilité, puis me suis dirigé vers l’immobilier. Cependant, plus le temps passait, plus l’appel des courses se faisait ressentir. Après avoir remporté une Cravache d’Or en amateur, j’ai commencé à envisager sérieusement une carrière d’entraîneur plutôt que de jockey, notamment à cause de problèmes de poids. J’avais mis en place un schéma qui devait me mener à l’étranger avant de revenir en France pour m’installer et permettre à mon père de prendre sa retraite et de se consacrer à son élevage en Normandie. Malheureusement, son décès a tout précipité. En une soirée, j’ai eu l’impression de prendre dix ans et de devoir assumer des responsabilités afin d’essayer de faire tourner l’écurie.
« J’ai eu l’impression de prendre dix ans d’un coup »
Avez-vous reçu du soutien dans cette nouvelle aventure ?
Oui, et je tiens d’ailleurs à remercier plusieurs personnes. À commencer par France Galop qui m’a permis d’entraîner en attendant l’obtention de mon agrément. Mon équipe a également été exceptionnelle. Au quotidien, elle a su faire face à toutes les difficultés à mes côtés. Ma sœur et ma mère m’ont fait confiance en me laissant les rênes de l’écurie, alors qu’elles auraient tout aussi bien pu tout vendre. Je suis également particulièrement reconnaissant envers mes amis et ma compagne qui ne m’ont jamais laissé tomber. De nombreux professionnels m’ont également apporté une aide précieuse, tant sur le plan moral que technique. Les familles Collet, Soumillon, et Demercastel étaient déjà présentes après la perte de ma sœur et ont continué à me soutenir après le décès de mon père. Je voudrais aussi citer David Windrif qui nous a beaucoup aidés, notamment pour les sauteurs du matin et la logistique à Cagnes-sur-Mer. Grâce à lui, nous avons remporté notre premier succès avec Mon Doudou, et j’en suis très reconnaissant. Marcel Roland, Satoshi Kobayashi, et Carina Fey ont également été des alliés précieux, me permettant de travailler avec leurs chevaux.
Quel type d’entraîneur êtes-vous ?
Nous avons la chance d’être idéalement situés, ce qui nous donne accès à toutes les pistes du centre d’entraînement de Chantilly. Cela nous permet d’adapter l’entraînement à chaque cheval : certains travaillent au Lion, d’autres à Lamorlaye ou à Coye-la-Forêt. J’aime prendre le temps d’étudier chaque cheval individuellement et de lui construire un programme sur mesure. Nous mettons un point d’honneur à privilégier à la fois le bien-être et la performance. Un cheval qui se sent bien dans sa tête donnera le meilleur de lui-même physiquement. Ma sÅ“ur, quant à elle, a repris le haras familial. Cela nous permet de travailler main dans la main. Dès qu’un cheval a besoin d’un break, je l’envoie chez elle pour quelques semaines. Et les chevaux reviennent en pleine forme. C’est une solution à la fois efficace pour la récupération et économique pour nos clients.
Vos réseaux sociaux fonctionnent très bien, publiant un contenu qui ne manque pas d’intérêt. Est-ce important pour vous ?
Les réseaux sociaux sont avant tout un moyen de promouvoir le monde des courses, plutôt que notre seule écurie. Nous vivons des moments exceptionnels au quotidien avec les chevaux, et nous souhaitons partager cette passion avec un large public. Nous développons également la copropriété qui permet à chacun de devenir propriétaire d’un cheval de course à moindre coût en achetant des parts. Ma compagne gère principalement cette partie via notre compte Instagram. Elle a mis en place plusieurs concepts, notamment les vidéos « Académie » qui expliquent les spécificités de notre métier, ainsi qu’un suivi hebdomadaire pour nos clients, afin qu’ils puissent voir l’entraînement et les soins apportés à leurs chevaux. Nous organisons aussi régulièrement des journées portes ouvertes, et en quelques mois, nous avons aidé une quinzaine de novices à obtenir leur agrément de propriétaire. C’est une véritable fierté pour nous.
Avez-vous en tête une évolution en matière d’effectif ou des rêves à long terme ?
Nous avons presque doublé notre effectif en un an et devrions atteindre trente-cinq chevaux d’ici le mois avril. À terme, mon objectif est d’avoir quatre-vingts chevaux, ce qui serait la capacité maximale pour notre écurie. Un tel nombre nous permettrait de continuer à fonctionner efficacement tout en garantissant une gestion rigoureuse et individualisée pour chaque cheval. Bien sûr, comme tout entraîneur, je rêve de remporter de grandes courses. Mais mon rêve ultime serait de voir un jour les hippodromes grouiller de personnes ayant découvert les courses par le biais de notre écurie. Peu importe si ces personnes ont encore des chevaux chez nous ou chez d’autres entraîneurs, l’important est d’avoir contribué à redonner vie aux tribunes et à transmettre notre passion.
Marie à l’élevage
Quel a été votre parcours ?
Marie Artu. – J’ai suivi des études de comptabilité tout en étant cavalière amateur. Pendant près de quinze ans, j’ai monté en course pour le plaisir, tout en travaillant dans différents domaines. Avec le temps, je me suis spécialisée dans la comptabilité des professionnels des courses hippiques, aussi bien pour le trot que pour le galop. Par la suite, je me suis installée à Deauville avec mon compagnon et nos enfants, ce qui m’a permis d’épauler mon père au sein de son élevage pendant plusieurs années. C’est donc tout naturellement que, suite à son décès et en accord avec ma mère et mon frère, j’ai repris la gérance du haras familial.
Comment arrivez-vous à gérer le haras ?
Au départ, j’ai travaillé au côté de l’ancienne salariée du haras afin de prendre progressivement les rênes. J’ai eu la chance de bénéficier des conseils de nombreux professionnels et, dans ce métier, on apprend chaque jour, que ce soit en matière d’élevage ou d’agriculture. J’avais déjà acquis beaucoup de connaissances auprès de mon père, mais il m’a fallu m’adapter à la gestion des terres et de l’exploitation. Aujourd’hui, je gère huit poulinières et une vingtaine de chevaux quotidiennement, entre l’élevage et ceux au repos. Le haras s’étend sur 37 hectares, avec une vingtaine de boxes et des stabulations, ce qui me permet d’accueillir régulièrement des chevaux en convalescence ou en période de récupération. Pour le moment, la majorité des chevaux vient de chez mon frère qui a mis en place un système bien rodé : il m’envoie régulièrement ses chevaux au repos ou en convalescence, et tout se passe très bien.
Quelle est l’activité principale du haras ?
À l’origine, le haras était le rêve de mon père, aussi bien pour l’élevage que pour le repos de ses pensionnaires. Aujourd’hui, nous avons préservé cette activité, tout en orientant l’élevage familial vers le commerce. Nous vendons le plus de poulains possible, car il devient de plus en plus compliqué d’être éleveur-propriétaire. Nous avons la chance d’être accompagnés par les équipes d’Arqana, dont les conseils et l’expertise sont un vrai soutien au quotidien. Mon frère Damien a également lancé son propre élevage et m’a confié plusieurs de ses poulinières. En parallèle, j’accueille des chevaux au repos ou en convalescence, principalement ceux de mon frère qui apprécie leur offrir des périodes de récupération de deux à trois semaines après une course, lorsqu’il les sent un peu émoussés. J’éprouve un réel plaisir à leur redonner un moral d’acier avant leur retour à la compétition. Notre système fonctionne de mieux en mieux, et tous les derniers pensionnaires passés par le haras ont performé dès leur retour en piste. Les retours positifs des clients sont très gratifiants et m’encouragent à développer cette activité qui me passionne de plus en plus.
« Aujourd’hui, nous avons préservé cette activité, tout en orientant l’élevage familial vers le commerce »
Quel est l’avenir de l’élevage familial ?
L’élevage familial s’oriente désormais vers le commerce, tout en conservant la souche historique de notre père, notamment avec les descendantes de Prudence Royale. Cette année, nous avons déjà eu trois naissances et en attendons encore trois autres. Nous avons choisi de garder quelques pouliches à l’entraînement afin de pérenniser la souche Artu, mais nous vendons tous les mâles. L’objectif est de consolider et d’améliorer tout ce que notre père a construit, en perpétuant son travail et sa passion.