À LA FRANÇAISE
Mardi, Susan Magnier aura son premier prospect étalon sur les obstacles de Compiègne. Le 3ans Wild Bill Hickok (Walk in the Park) sera en effet au départ du Prix d’Essai des Poulains. L’élevage des sauteurs est peut-être en train de vivre un tournant de son histoire… Le fait que Sue Magnier, fille de Vincent O’Brien et épouse de John Magnier – soit les deux fondateurs de Coolmore – fasse courir des 3ans sauteurs et entiers en France en vue d’en faire des étalons… c’est un changement culturel énorme pour l’obstacle. L’information, révélée le 18 février dans nos colonnes, a fait le tour des rédactions hippiques d’Europe. Si bien que Noel George et Amanda Zetterholm, les entraîneurs de ces prospects étalons d’obstacle, ont été au centre de toutes les attentions. Dans l’inconscient collectif, c’est l’étalon venu des classiques en plat qui est le plus apte à donner des sauteurs… et ce depuis que l’obstacle existe ! Quelques Français, Guillaume Macaire, Nicolas de Lageneste et Jacques Détré, ont eu l’idée de systématiser l’exploitation d’entiers sur les obstacles au début des années 2000, une pratique qui était jusqu’alors relativement rare. Cette pratique permettrait en outre de sauver les lignées mâles les plus performantes de la discipline en conservant des fils des étalons têtes de liste (Cadoudal, Garde Royale)… jusqu’alors systématiquement voués à la castration. Depuis l’arrivée de Saint des Saints (Cadoudal) et Kapgarde (Royale) sur le marché, après un temps d’observation, le phénomène a pris beaucoup d’ampleur. Au point que l’Irlande importe des Jeu St Éloi (Saint des Saints), Robin des Prés (Cadoudal) et autres Robin des Champs (Garde Royale). Mais de là à imaginer que les patrons du galop irlandais envoient des entiers à l’entraînement en France pour tenter de reproduire la même recette… Un vrai cap a donc été franchi ! Si les poulains confiés à Noel George et Amanda Zetterholm viennent à réussir dans les Groupes à Auteuil, puis sur le marché des saillies en Irlande, on pourrait imaginer que de grands haras irlandais tenteront de les imiter en envoyant des prospects étalons (en nombre) aux entraîneurs français. Décidément, la France semble en mesure de gagner la bataille culturelle en matière de sélection à l’obstacle. Après avoir poussé les Irlandais à préparer leurs sauteurs plus tôt, mais aussi à développer un programme pour femelles, soit deux piliers de l’obstacle français, le succès des FR incite nos amis et voisins à reproduire nos recettes de fabrication d’étalons. C’est beau !
Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
RETOUR VERS LE FUTUR
Karl Marx aurait dit : « L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie. » Cette citation n’a pas été authentifiée. Mais en matière de commerce et d’élevage de sauteurs, elle semble tout à fait à propos !
Une course chassant l’autre, nous avons tous tendance à avoir la mémoire un peu courte. Pour le dire autrement, l’histoire, ce n’est pas le point fort du monde des courses. Et parfois, cela nous pousse à en avoir une vision déformée. On a tous entendu quelqu’un nous dire au Karly Flight : « Au bon vieux temps, au moins, on ne vendait pas nos chevaux à l’étranger. » Dans les faits, il y a déjà eu une (petite) french mania outre-Manche. Au début des années 1940, les chevaux élevés en France ont commencé à apparaître en grand nombre sur les d’obstacles britanniques (l’Irlande était alors pauvre… et une colonie). Ces FR de la première heure avaient fait sensation en remportant quatre Gold Cup de Cheltenham en l’espace de deux décennies – Medoc (1942), Fortina (1947), Mont Tremblant (1952) et Mandarin (1962) – mais aussi quatre Champion Hurdle consécutifs avec Sir Ken (1952, 1953 et 1954) et Clair Soleil (1955). Sans oublier Manicou (Last Post), lauréat des King George VI Chase, sous les couleurs royales en 1950.
Le cas de Fortina (Formor), un élève du Baron-Dutacq, mérite le détour. Deuxième du Grand Steeple-Chase de Paris, il est alors exporté et atterrit sous la casaque du Baron Grimthorpe, c’est-à -dire Ralph Beckett (homonyme et grand-père de l’entraîneur de la gagnante de l’Arc 2024). Fortina est ensuite devenu un top étalon d’obstacle en Irlande pour la famille Magnier. Coolmore n’existait pas encore, l’Irlande était alors un pays pauvre… et depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. De temps à autre, quelques rares étalons ayant gagné en obstacle ont sailli en Angleterre et Irlande. Après leur disparition – trop tard donc – on s’est plusieurs fois rendu compte qu’ils étaient de bons reproducteurs… comme dans le cas de Roselier (Misti IV) en Irlande, de Midnight Legend (Night Shift) en Grande-Bretagne ou encore d’Alderbook (Ardross) des deux côtés de la mer l’Irlande. Ces quelques réussites, fruits de rares tentatives, n’ont pas réussi à faire école et elles ont bien vite été oubliées. Si bien que dans les années 2000, lorsque les produits d’étalons français ayant couru à Auteuil ont commencé à beaucoup gagner outre-Manche, une bonne partie des éleveurs anglo-irlandais ont cru y voir une bizarrerie voire une nouveauté. Les coupures de presse de l’époque en attestent !
Une machine commerciale
À partir des années 1980, Coolmore est progressivement devenu le leader en matière d’étalonnage pour le plat en Europe… tout en prenant aussi le contrôle du classement des pères de gagnants en obstacle avec Deep Run (sept fois champion sire de 1979 à 1993), Supreme Leader (deux fois champions sires au milieu des années 2000), Be My Native (cinq fois tête de liste de 1999 à 2004), Flemensfirth (deux fois champion sire), Milan (une fois tête de liste), Yeats (deux fois champion sire), Walk in the Park (leader l’an dernier au classement anglo-irlandais)… Avant, pendant et après la carrière de Fortina, ce sont les coproduits de la sélection classique en plat qui ont été la norme en Irlande en matière d’étalonnage d’obstacles. Il faut dire que Coolmore a mis sur pied une machine commerciale redoutable. Une même pool de yearlings conçus dans un objectif classique – c’est-à -dire les Guinées et le Derby – a trois valorisations possibles après leur carrière sportive : faire la monte sur le marché du plat (la crème de la crème), ou sur le marché de l’obstacle (des tops chevaux manquant un peu de précocité) ou encore partir sur le marché des chevaux à l’entraînement de niveau Groupe qui vont se vendent à prix d’or à l’international. À titre de comparaison, les chevaux vites et précoces, n’ont qu’une seule de ses trois portes de sorties (l’étalonnage en plat). En Irlande, les étalons de Coolmore saillissent une part majoritaire des juments d’obstacle, cela participe grandement à la valeur d’élevage résiduelle des jeunes chevaux de tenue de Ballydoyle passés par les classiques… Pour Coolmore, se lancer dans la production d’étalons « par et pour » l’obstacle, c’est donc un peu prendre le risque d’abîmer un modèle économique d’une grande puissance… même s’il est peu probable que l’étalon passé par Auteuil élimine du paysage de l’obstacle celui venu d’Epsom.
Le Derby, encore et toujours
Ce rouleau compresseur commercial a généré des revenus considérables. Et ce d’autant plus que beaucoup de concurrents s’étant concentrés sur la vitesse/précocité, Coolmore s’est au fil du temps un peu retrouvé seul au royaume de la tenue. Dans une interview récemment publiée par nos confrères du TDN, MV Magnier, le fils de John et Sue Magnier, résume la chose ainsi : « Mon père a toujours cru en la tradition et en particulier au Derby d’Epsom. Cela a toujours été la course à gagner. Sans étalons de type classique, comment pouvez-vous élever le prochain vainqueur de classique ? Les éleveurs ont très bien accueilli City of Troy (Justify) et Auguste Rodin (Deep Impact). Grâce au soutien de nos clients et à celui de nos propres poulinières, ils auront les meilleures chances de réussir. Le Derby d’Epsom est le test ultime pour le pur-sang, exigeant un mélange de vitesse, de tenue, d’équilibre, de conformation et de tempérament. Avoir deux gagnants de ce classique qui débutent au haras la même année est assez extraordinaire. Ils sont tous les deux lauréats de Gr1 à 2ans, issus d’étalons de premier plan et de juments de course exceptionnelles provenant de familles hors normes. » Concernant les sujets à l’entraînement, dont les tarifs ont atteint des records ces dernières années, MV Magnier poursuit : « Le marché mondial des chevaux de distance intermédiaire de haut niveau est plus fort que jamais. La demande pour le cheval classique venu de Ballydoyle est très forte car c’est là que se trouvent les grosses allocations internationales, que ce soit en Australie, aux États-Unis, à Hong Kong ou au Moyen-Orient. Sous la direction de Winfried Engelbrecht-Bresges, Hong Kong a vu son programme de courses évoluer pour moins se concentrer sur les courtes distances. Massive Sovereign, un fils de No Nay Never (Scat Daddy), a remporté de manière impressionnante le Derby de Hong Kong l’année dernière. C’était sa deuxième sortie seulement après avoir été vendu par Ballydoyle. Ron Winchell a lancé le Derby de Nashville, doté de 2,5 millions de dollars, à Kentucky Downs. C’est remarquable ce que lui et Mark Falcone ont fait là -bas. David Redvers y a fait allusion dans une interview l’année dernière, en disant que du point de vue des propriétaires et des entraîneurs, l’étalon commercial est en fait celui qui permet d’obtenir des chevaux de tenue qui ont une valeur de revente importante. De même, à Tattersalls Book 1, la forte demande concerne les chevaux ayant un potentiel de classique. Même des gars comme Paul McCartan, qui étaient spécialisés dans les 2ans et les chevaux précoces, font maintenant du pinhooking avec des poulains de Camelot (Montjeu). »
QUAND TESIO SE TROMPE
On le considère comme le plus grand éleveur de chevaux de plat de l’ère moderne. Et c’est vrai que Federico Tesio a accompli de grandes choses. Mais comme tout le monde, il pouvait parfois se tromper. Dans Breeding the Racehorse, Tesio explique : « L’aptitude au saut ne se transmet pas : J’ai décidé d’analyser les résultats des steeple-chases sur une période de 150 ans dans différents pays […] Les bons steeple-chasers n’ont quasiment jamais produit de bons steeple-chasers. La conclusion est que l’aptitude au saut ne se transmet pas. On dit que la fonction crée l’organe et les sauteurs développent un ensemble de muscles mais ce caractère acquis ne se transmet pas […] Cela s’applique également à la famille maternelle des bons gagnants en steeple-chase. Ces gagnants sont la plupart du temps issus de mères qui n’ont jamais sauté, qui sont des filles de juments n’ayant jamais sauté, et ce, jusqu’au début du 18ème siècle. » L’histoire va ensuite lui donner tort, mais il va falloir beaucoup de temps pour que cela devienne une évidence. Samaritain (Maravedis) fut deux fois tête de liste des étalons français pères de gagnants en obstacle. Ce lauréat du Prix Royal-Oak et quatrième du Prix du Jockey Club avait également gagné le Prix Finot. Cousin Pons (Fine Top) et Pot d’Or (Buisson Ardent) ont gagné le Grand Steeple-Chase de Paris avant de bien produire. Comme Carmont (Camarthen) ou Le Pontet (Success), eux aussi lauréats en obstacle, ils ont régulièrement produit des gagnants. Coq Gaulois (Royal Dream), lauréat de l’édition 1920 du Grand Steeple-Chase de Paris, a tracé avec Coq Bruyère (Maryland Hunt Cup 1941) ou encore en donnant la mère de Radio Paris (Roman). Cette dernière est à l’origine d’une des plus solides souches AQPS dont sont issus les non moins célèbres First Gold (par le sauteur Shafoun), Louping d’Ainay (par le sauteur Saint Preuil)… Verdi (Maurepas), lauréat de la Grande Course de haies d’Auteuil en 1951 et Cerealiste (Biribi), se sont imposés en plat et en obstacle. Ils ont profondément marqué l’élevage AQPS. Orvilliers (Tanerko) s’était imposé dans la Grande Course de Haies d’Auteuil et dans le Finot. Au haras, il a donné Chinco (Grand Steeple-Chase de Paris). La propre sÅ“ur de Chinco, Chinca, est l’aïeule d’une pléiade de bons chevaux (Bonito du Berlais, Clovis du Berlais…). L’AQPS Italic (Pegomas), gagnant à Auteuil, a peu mais remarquablement bien produit (The Fellow, Al Capone… et les autres). Plus près de nous, Cokoriko (Robin des Champs), Denham Red (Pampabird), Dom Alco (Dom Pasquini), Great Pretender (King’s Theatre), Nickname (Lost World), Balko (Pistolet Bleu), Cyborg (Arctic Tern)… ont prouvé que Kapgarde (Garde Royale) et Saint des Saints (Cadoudal) n’étaient pas des accidents.Â