UNE VOCATION AU SERVICE DE L’ÉLEVAGE
Les chevaux n’ont pas attendu l’être humain pour se reproduire. Mais le contexte actuel, avec des chevaux de valeur et des problématiques sanitaires, exige de l’expérience et des connaissances approfondies ! Étalonnier, c’est une véritable vocation qui est essentielle pour l’élevage des galopeurs.
Dans ma lointaine jeunesse, j’ai rencontré le célèbre monsieur Daures, un ancien étalonnier des Haras nationaux dont tous les vieux éleveurs m’avaient parlé. Au Pin, il avait monté le chef de race Furioso (Son in Law). Et lors de son arrivée dans le Limousin, il avait en quelque sorte sauvé la carrière de l’étalon national du haras de Pompadour Tiaia (Nic). Ce pur-sang anglais faisait peur à ses collègues précédemment en charge et avant l’arrivée de Daures en Corrèze, il avait souvent été remplacé (plus ou en moins en cachette) par d’autres sires bien moins performants de la station de monte. Si bien que les premières générations de Tiaia n’ont pas été brillantes en course. Lorsque le nouvel étalonnier est arrivé en Limousin, il a su trouver la solution et Tiaia est vraiment devenu le père de ses produits… Bizarrement, il a alors commencé à sortir beaucoup plus régulièrement des gagnants sur les obstacles parisiens ! Cette histoire, qui fait partie du folklore de l’élevage du Sud-Ouest, illustre bien l’importance qu’un bon étalonnier, avec doigté et expérience, a sur la carrière d’un sire.
L’étalon doit apprendre son métier
Tangi Saliou a fait saillir tous types d’étalons en France et à l’étranger avant de s’établir au haras de la Haie Neuve. En 2025, il fait saillir Montmartre (Montjeu), Motamarris (Le Havre), Anodin (Anabaa), Ebro River (Galileo Gold), Rubis Vendôme (Galiway), Lucky Team (Namid) et Yafta (Dark Angel). Le Breton nous a confié : « La sécurité est essentielle. L’étalon, par exemple, ne doit pas venir derrière la jument. Il doit l’approcher de côté pour éviter un maximum de coups. Et après la saillie, il doit reculer en ligne droite. C’est un apprentissage. La personne qui tient la jument doit tirer la tête vers la gauche pour écarter le postérieur dans la direction opposée à celle où se trouve l’étalon. D’une manière générale, une fois que le jeune étalon connaît bien son métier, qu’il est bien mis en route, les choses deviennent faciles. Faire saillir un vieux sire âgé de 20ans, ce n’est pas compliqué… Par ailleurs, plus on a des chevaux avec du sang, plus ils sont sensibles… et sauf exception, il est donc bien plus facile de faire saillir un étalon de trait qu’un pur-sang anglais. » Au haras de Beaumont, Grégory Parchantour a fait débuter un nouvel étalon tous les ans ces trois dernières années, avec Ace Impact (Cracksman), Puchkine (Starspangledbanner) et Sealiway (Galiway) : « On commence avec une jument expérimentée, bien stable, qui a la taille adéquate aussi. C’est à la personne qui est la tête du jeune sire de lui faire comprendre ce qu’on attend de lui. On doit le guider et lui indiquer ce que l’on veut en termes de comportement. Certains jeunes étalons veulent se précipiter pour saillir. Il faut canaliser. Mais pas trop, car sinon la situation devient incompréhensible pour le cheval. C’est très subtil. Il faut trouver le bon équilibre. D’autres jeunes étalons font les choses très bien d’entrée. Avec eux, tout est facile. Dans tous les cas, on doit travailler dans le calme, sans mauvais geste. » De manière contre-intuitive, la monte naturelle n’est pas chose facile à apprendre pour un étalon. Grimper un mannequin pour être prélevé est en effet plus simple. Tangi Saliou, qui est passé par les étalons de sport avant d’arriver dans les courses, explique : « Le mannequin, c’est beaucoup plus de sécurité et le cheval apprend cela globalement assez vite. Par contre, il n’amortit pas les mouvements de l’étalon, contrairement à une jument. »
Entre autorité et respect
Lorsqu’il est à l’entraînement, le jeune mâle n’a pas le droit de grimper sur ses congénères et tout est fait pour qu’il ne soit pas sous l’influence de son sexe. Lorsque débute sa nouvelle vie, tout change car on lui demande soudainement d’exprimer pleinement sa libido. Tangi Saliou explique : « Pendant toute la première partie de la vie d’un entier, on lui répète qu’il est interdit de renifler les fesses des autres. Alors que sa nature lui indique le contraire. Le jour où il arrive pour la première fois dans la salle de monte, on lui dit qu’il est désormais interdit de ne pas renifler les fesses de la jument ! Le pauvre cheval a donc besoin d’un certain temps d’adaptation. L’étalonnier doit faire preuve de patience, dans un endroit calme, avec une jument prête à saillir et gentille. Cela peut prendre du temps. » La libido d’un cheval a aussi ses ressorts psychologiques. Les animaux ont leur rituel. Tangi Saliou analyse : « D’une manière générale, les étalons aiment que l’on suive une routine, avec des horaires assez fixes. À l’étalonnier de trouver le mode d’emploi pour chaque individu. Il y a des chevaux qu’il faut mettre en condition et motiver. D’autres ont besoin d’être un petit peu frustrés. Vous avez des étalons qui sont des guerriers, rien ne les arrête. D’autres sont plus précieux et n’aiment pas lorsque la jument bouge. Quoi qu’il en soit, il faut toujours être gentil. On vit grâce à eux, il faut les respecter. Si vous passez votre temps à punir le cheval parce qu’il est exubérant, cela va devenir problématique. Si on lui tape sur les doigts systématiquement avant d’aller à la saillie, le risque est grand de la voir perdre sa motivation pour l’activité. Autant que l’on peut, il faut essayer de mettre son étalon dans le confort. Souvent, les chevaux difficiles, ou qui ont besoin de beaucoup de temps pour saillir, ont en fait mal quelque part. » D’où le fait que certains sires sont parfois infiltrés. Gregory Parchantour poursuit : « Les animaux vous rendent ce que vous leur donnez. Le comportement des gens influe sur celui des chevaux. Si vous traitez un étalon « à la dure », si vous êtes méchant avec lui, cela ne va pas du tout aider à l’activité de reproduction. »
Les installations, ça joue
On a tous l’image d’Épinal d’un homme aux rênes d’un cheval ultra-chaud dans une cour de ferme essayant de faire saillir une jument, alors que les autres étalons, forcément bruyants, sont aux premières loges dans leur boxe. Ce n’est pas du tout la situation souhaitée, comme l’explique Tangi Saliou : « Idéalement, l’étalon a aussi besoin de calme. Il doit trouver sa place dans le haras, un jeune sire pouvant par exemple être impressionné par un vieil étalon à proximité. » Ainsi, l’écurie à l’ancienne, comme chez les Haras nationaux, où les étalons étaient tous les uns à côté des autres n’était pas forcément idéale. Mais en matière de bien-être, certains ont poussé la logique jusqu’au bout. Comme le Gestüt Etzean, où les étalons sont répartis aux quatre coins du haras, avec une jument de compagnie qui vit avec eux en permanence au paddock. Gregory Parchantour précise : « Quand on a la chance de travailler dans des installations bien conçues, comme au haras de Beaumont, c’est un vrai plus. La cour des étalons est fermée, sans vue sur la salle de monte. Cela influe sur le calme. Les étalons ne suivent pas le même chemin pour aller au paddock ou pour saillir. Cela joue beaucoup et ils se préparent lorsqu’ils ont compris être en direction de la salle de monte. »
La forme et le mental, cela s’entretient
Aux États-Unis et au Japon, certains étalons sont montés tout au long de leur carrière d’étalons. En Europe, les haras privilégient souvent la longe, la marche en main et/ou le paddock. Tangi Saliou explique : « Au final, si on compare à l’ensemble du genre équin, la monte telle qu’on la pratique, avec quatre sauts par jour, c’est du grand sport. On demande beaucoup à nos étalons pur-sang anglais qui doivent être donc traités comme des athlètes. » Gregory Parchantour confie : « Les quatre mois précédant la saison de monte au haras de Beaumont, les étalons vont au marcheur régulièrement et certains sont longés s’ils en ont besoin. Durant la saison, l’entretien diminue car les chevaux sont sollicités quotidiennement par la monte. Mais ils vont au paddock tous les jours et par tous les temps au moins deux heures. C’est très important pour le mental. Entre l’étalonnier et ses chevaux, la proximité est réelle. Je m’occupe d’eux tous les jours. Mais j’essaye de faire les choses avec simplicité et discipline. Il faut être capable de les reprendre parfois, mais 90 % du temps, on leur manifeste de l’affection. Le temps qu’on passe avec eux nous permet de les éduquer et par exemple, je n’ai besoin pas de les attacher pour les préparer au box. Ils sont habitués à ne pas bouger. La confiance est mutuelle, mais cela n’empêche pas la vigilance bien sûr. Un jour ou l’autre, même un étalon gentil peut être mal luné. Et il faut savoir le remettre à sa place. Les accidents, cela existe. Il faut rester concentré en leur présence. » Les saisons de monte sont longues pour les étalons mais il faut parvenir à entretenir leur motivation jusqu’à l’été : « Il faut être très attentif et essayer de remarquer le moindre changement de comportement afin de s’adapter. L’idée est d’avoir un étalon qui conserve un certain niveau d’excitation et de libido. L’étalonnier doit bien gérer la fatigue de son cheval. Celui qui doit monter plusieurs fois sur chaque jument va forcément se fatiguer plus vite. »
Les questions sanitaires
L’étalonnier, outre la saillie elle-même, veille à l’aspect sanitaire. Et cela passe par le fait d’avoir une jument propre, comme l’explique Tangi Saliou : « On lave la poulinière du « plus propre au plus sale », c’est-à -dire en commençant par la vulve et en finissant par l’anus. Il faut répéter l’opération trois fois avec une solution antiseptique. Si on va dans le sens inverse, on introduit des coliformes, comme Escherichia coli, dans la vulve. Dans un deuxième temps, on sèche aussi « plus propre au plus sale ». L’Inra et l’Ifce ont travaillé sur ce sujet et publié des protocoles qui permettent de connaître la manière la plus propre de travailler. » Bien sûr, dans la nature, personne ne vient prendre de telles précautions. Mais les enjeux financiers, le risque sanitaire et la quantité de poulinières ne sont pas les mêmes pour un étalon pur-sang anglais et pour un cheval de trait qui galope en liberté avec 20 juments dans un alpage… Gregory Parchantour détaille : « La salle de monte est désinfectée tous les jours. À l’entrée, une fiole de désinfectant est à la disposition des éleveurs. C’est important si on touche les chevaux après la saillie par exemple. On peut flatter l’étalon ou la jument, mais il faut se désinfecter. Pour la même raison, je ne touche pas le foal si la mère est suitée. C’est la responsabilité de la personne qui est venue avec la jument. Il faut bien garder le contrôle pour ne pas avoir de souci. »
Comment devient-on étalonnier ?
Le développement de l’insémination artificielle chez la plupart des races équines a fait un peu disparaître la culture de la monte en main dans nos campagnes. Par le passé, beaucoup de gens avaient commencé en faisant saillir des poneys, des chevaux de trait ou de selle avant de se voir confier un étalon pur-sang. Les occasions d’apprendre sont moins nombreuses aujourd’hui. Et il est vraiment difficile de trouver un étalonnier avec de l’expérience lorsqu’on lance un haras. Car, pour l’homme comme pour le cheval, c’est un véritable apprentissage. Pas issu du sérail, Gregory Parchantour est passé par l’équitation classique, puis le trot, avant de trouver sa vocation, c’est-à -dire l’élevage des pur-sang anglais : « J’ai découvert cela en arrivant au haras de Grandcamp où j’ai travaillé pendant six années. C’était très formateur car il y avait beaucoup d’étalons, avec des profils très différents, des très gentils et des plus tendus. Ils ont tous des profils différents. Rapidement, j’ai commencé à les sortir et à m’en occuper. Faire saillir était l’étape suivante. Le premier fut Linda’s Lad (Sadler’s Wells), un cheval gentil et qui avait déjà une routine de monte bien établie. Il connaissait bien son métier d’étalon. C’est idéal pour démarrer et apprendre. » Gregory Parchantour poursuit : « Le métier est technique. Et je pense qu’il n’est fait pour tout le monde. La première chose, c’est qu’il ne faut pas avoir peur des entiers. Il est aussi important d’être homme ou femme de cheval. Avoir l’Å“il, bien anticiper les réactions, c’est important. Ce n’est pas une question de sexe, un homme ou une femme peuvent exercer. Avec les chevaux, c’est plus la présence physique que la force qui compte. Je crois que le fait d’avoir un bon apprentissage est essentiel. Si on a les bonnes bases, si on est soutenu par une personne d’expérience au départ, les choses se font ensuite naturellement. Chaque étalonnier trouve ses marques avec le temps. Tous les jours ne sont pas faciles, les chevaux peuvent avoir leurs humeurs, mais c’est à nous de nous adapter. » Professionnellement, pour Gregory Parchantour, c’est un réel accomplissement de se voir confier des étalons d’une qualité qui leur assure de saillir des juments de premier plan : « Mais tous sont à la même enseigne. Et c’est la même chose, nous faisons toujours de la manière avec chaque jument qui vient à la saillie, même si elle est gagnante de Gr1. Tout doit être bien cadré… dans les limites de ce qui est possible avec des animaux. Chaque jument a ses propres réactions. »