SON ALTESSE AGA KHAN, AVEC SES MOTS
En hommage à Son Altesse le Prince Karim Aga Khan, disparu mardi, nous vous proposons de redécouvrir la grande interview qu’il avait accordée à JDG après les succès de Zarkava en 2008. Une véritable masterclass, avec la voix de l’intime. Une transmission essentielle de la part d’un personnage hors du commun qui manquera énormément à notre univers – en particulier par son leadership.
PARTIE 1 : LES FONDEMENTS
À la base de l’éleveur traditionnel : les courants de sang
« À mon sens, il est important de différencier l’élevage traditionnel de l’élevage commercial. L’éleveur commercial est sur le marché tous les ans. Il achète, il vend et doit suivre les modes. De son côté, l’éleveur traditionnel a un nombre limité de chevaux. Il connaît parfaitement ses courants de sang et cherche à les faire fructifier. Faire vivre les courants de sang, c’est tout le challenge. Trouver les ressources dont ces courants ont besoin pour exprimer leur qualité. L’histoire de Zarkava s’inscrit dans cette réflexion. Elle incarne la continuité de gestion, par une activité traditionnelle, de courants de sang qui restent au top. Au cours de sa carrière, Zarkava a démontré que l’on peut élever pendant quatre-vingt-dix ans avec de bonnes souches et retrouver des individus au plus haut niveau mondial.
L’éleveur traditionnel cherche à équilibrer ses comptes, mais ne va pas au-delà . Sa bottom-line, c’est de survivre. La France est sans doute le pays au monde qui compte le plus grand nombre d’éleveurs traditionnels. C’est une force.
Évidemment, il y a d’autres thèses. Certains remettent en cause la théorie des courants de sang. Ma famille croit à ce processus de sélection, qui est la base de notre activité et de notre métier. N’oubliez pas que, pendant de longues années, France Galop s’appelait « Société d’encouragement pour l’amélioration… » Il y avait cette notion d’amélioration bien présente.
Mon grand-père faisait courir en France et en Angleterre – jamais aux États-Unis, et très peu en Irlande. Je suis dans un cas différent, car la compétition est devenue mondiale, globale. Cela implique qu’avec le même nombre de juments, il faut être capable d’élever des individus qui seront mesurés par un radar mondial et non plus national. Notre tâche est donc de plus en plus difficile et demande une sélection de plus en plus rigoureuse. »
Une chaîne dont tous les maillons doivent être forts « Il existe d’autres organisations qui présentent un profil proche du nôtre… Et l’on peut se demander quelle différence il existe entre elles et nous. Nous, nous avons un cercle, une très jolie chaîne, qui part du choix du croisement, passe par la naissance, implique l’élevage au haras, l’envoi à un entraîneur qui travaille presque exclusivement pour nous, puis la course avec le jockey qui est le plus souvent en contrat avec nous, et enfin l’envoi du meilleur de notre sélection vers le haras. Nous sommes les seuls à réunir tous ces éléments. Mais ce cercle est fragile. Si l’un des maillons cède, toute l’activité dérive. Par maillon, j’entends jockey, entraîneur, gestion des terres – les terres ont un rôle très important ; elles sont un véritable outil de travail. Quand un maillon est faible, tout se fragilise. De mauvaises terres, un entraîneur médiocre, un jockey peu inspiré : la moindre chose peut, à elle seule, tout fragiliser. Oui, tout peut s’arrêter pour un seul élément moins solide. C’est pourquoi chaque maillon doit rester en permanence sous la loupe.
Dans notre métier, le plus important est l’observation. C’est le critère essentiel. Il faut une observation rigoureuse de tout ce qui se passe. Il faut être capable de voir tout de suite et de réagir dès qu’il y a trop d’eau dans un paddock, quand une lice est cassée, s’il y a trop de chevaux sur le même paddock… Sans cela, vous allez à la catastrophe.
On en revient toujours au maillon. La surveillance et l’observation doivent être continues.
Nous avons toujours eu une structure « éclatée », c’est-à -dire non centralisée – et je veux que cela reste ainsi. Car le personnel doit être le plus près possible de son stock pour bien travailler.
Le plus important, ce sont les hommes et les femmes. Je veux leur rendre hommage, car ils sont les maillons forts. Et croyez-en mon expérience quand je dis cela, car j’ai connu des maillons faibles… »
Une longue formation de terrain
« En 1960, à la mort de mon père, que nous n’attendions pas puisqu’il s’agissait d’un accident, nous avons dû faire face à une seconde succession en très peu de temps, puisque mon grand-père était décédé peu d’années auparavant [en 1957, ndlr]. Mon grand-père avait trois héritiers : sa veuve, mon oncle, qui était le demi-frère de mon père, et mon père. Puis, à la mort de mon père, il y eut à nouveau trois héritiers : ma sœur, mon frère et moi. Pour payer les droits de succession, nous avons donc fait le choix de monétiser nos meilleures juments et de ne conserver que les jeunes poulinières dont nous connaissions mal le potentiel au haras. Il nous a donc fallu tout recommencer.
Je ne connaissais rien aux courses. Jamais je n’avais eu l’occasion de suivre mon père ou mon grand-père dans leur passion. De plus, à l’époque, au début des années 1960, j’avais succédé à mon grand-père dans ses activités politiques et religieuses, et j’avais des responsabilités énormes dans un contexte très lourd et difficile en Afrique et en Asie – celui des indépendances.
J’avais passé neuf ans en Suisse, trois ans et demi à Harvard, aux États-Unis, puis j’avais repris la gestion des affaires de mon grand-père avant de retourner aux États-Unis pour y finir mes études ! Donc les courses…
Quand mon père est mort, je ne voulais pas entamer le passé. J’avais un devoir de continuité. Je me suis donné six mois de réflexion. Il me fallait apprendre. Finalement, j’ai décidé d’essayer. Et tout de suite, je me suis dit que je ne céderais pas ! J’irais jusqu’au bout ! Si c’est pour n’y aller qu’à moitié, autant faire comme Arnaud Lagardère et se dire que c’est la fin d’une époque.
Mon apprentissage a duré vingt ans. »
PARTIE 2 : LE BREEDING STOCK
La question de la jumenterie
« Pour moi, la base, ce sont les pouliches. Avec Mandesha, Darjina et Zarkava, vous avez les bonnes bases pour construire un élevage moderne, non ?
Zarkava apporte une plus-value significative à environ vingt de nos juments. C’est un impact important pour la souche. Malheureusement, comme nous ne sommes pas propriétaires de Zamindar, la victoire dans l’Arc n’a pas d’impact sur notre parc d’étalons.
J’ai passé des années à réfléchir à la bonne dimension de la jumenterie. Je cherchais le bon équilibre entre les probabilités de succès et le risque de surdimensionnement. Aujourd’hui, j’ai fixé le nombre minimum de juments à 145-155.
Il existe un rapp
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