LE RÊVE AMÉRICAIN DE THOMAS BRANDEBOURGER
La quarantaine, Thomas Brandebourger est l’un de ces hommes de l’ombre qui permettent aux grandes écuries de briller. Ce Français s’occupe au quotidien de certains des meilleurs chevaux américains. Il nous a raconté son histoire, de la campagne normande jusqu’au cÅ“ur de la meilleure écurie des États-Unis…
Rose Valais
rv@jourdegalop.com
Une énorme machine
Peu d’entraîneurs incarnent autant le rêve américain que Chad Brown. Venu de « nulle part », il s’est imposé au sommet de sa profession, ayant été tête de liste à six reprises par les gains au cours de ces neuf dernières années. Chad Brown est à la tête d’une énorme machine, avec près de 1.000 partants par an et un nombre considérable de chevaux pour les Grs1 qui sont dénichés partout dans le monde (y compris en France). Derrière cette armée de galopeurs, il y a des dizaines d’hommes et de femmes de l’ombre. Une des chevilles ouvrières du système de Chad Brown est un Français. Thomas Brandebourger est en effet l’assistant de l’entraîneur américain. Il s’est occupé de chevaux de premier plan comme Beauté Cachée (Literato), Uni (More than Ready), Whitebeam (Caravaggio), Newspaperofrecord (Lope de Vega)… pour ne citer que quelques grands noms sur le gazon.Â
150 chevaux… 90 employés !
Après neuf années passées aux côtés de Christophe Clément, Thomas Brandebourger a rejoint le plus grand entraîneur de chevaux de gazon (mais pas que !) de l’histoire du galop américain : « En mai prochain, cela fera sept ans que je travaille en tant qu’assistant de Chad Brown. De mai à novembre, je suis à Saratoga. Le reste de l’année, je suis basé à Payson Park, en Floride. Je suis responsable de 150 chevaux et j’encadre une équipe de 90 personnes. » Voilà un ratio homme/cheval qui ferait rêver tous les entraîneurs européens ! Il poursuit : « Nous sommes deux assistants. Il y a celui qui voyage principalement avec les chevaux. De mon côté, je supervise essentiellement le travail du matin. » Comment se passe une matinée pour Thomas Brandebourger ? « Ayant une heure de route pour me rendre à l’écurie, je dois me lever à 3 h 30 afin d’arriver au travail à 5 h. Ma première mission est de réaliser le tour des jambes, pendant 1 h 30. À 6 h 30, notre premier lot sort. Il va durer une bonne trentaine de minutes. Nous avons entre sept et neuf lots. À partir de 10 h 30 et jusqu’à midi, nous inspectons les chevaux. Puis, chaque midi, nous effectuons un point avec Chad Brown en personne ou par téléphone lorsqu’il est absent, pour discuter des entraînements et des éventuels problèmes. Même à distance, il reste informé de tout et prend lui-même toutes les décisions concernant les engagements. »
Lever le pied dès que les chevaux en ont besoin
En ce moment, Thomas Brandebourger est basé à Payson Park, là où les bons chevaux viennent se remettre en jambes après leur période de vacances. « J’en apprends encore tous les jours. L’hiver à Payson Park est une période clé pour la reprise des chevaux après leur repos. Nous avons la chance d’avoir des paddocks, ce qui permet de leur donner une bonne pause, parfois d’un mois. C’est génial de voir les chevaux progresser et se préparer jusqu’à leurs premiers objectifs, qui se tiennent généralement au mois d’avril. La méthode d’entraînement de Chad Brown est simple et les chevaux s’y adaptent bien. Il est très patient et n’hésite pas à ralentir ou arrêter un cheval au moindre petit problème. » Depuis son arrivée aux États-Unis il y a bientôt vingt ans, Thomas Brandebourger a croisé la route de nombreux bons chevaux. « L’année dernière, nous avons gagné la Breeders’ Cup Classic (Gr1) avec Sierra Leone (Gun Runner). C’est génial de voir ces chevaux évoluer. Ce sont des événements que je n’oublierai pas. L’année dernière, nous avons aussi gagné cinq courses lors de la dernière journée du meeting de Saratoga. C’était très marquant ! »
La Californie, le début de l’aventure
Né dans un haras à côté de Deauville, Thomas Brandebourger a toujours voulu entraîner : « Je passais mes week-ends au haras de mon père et, dès que je le pouvais, je me rendais aux courses. Lors de toutes mes vacances d’été, je réalisais des stages chez des professionnels afin d’acquérir le plus d’expérience possible. » Le bac en poche, tout s’est accéléré : « J’ai travaillé pendant une petite année aux côtés de Robert Collet. J’ai eu la chance de partir à 17 ans aux États-Unis avec lui afin de voir King’s Drama (King’s Theatre) courir. J’avais adoré l’ambiance et je souhaitais vraiment y retourner. Mon père connaissait Patrick Biancone, chez qui j’ai pu entrer comme « pupil assistant ». À la base, je partais avec un visa de six mois… et cela va bientôt faire vingt ans que je suis aux États-Unis ! J’ai tout de suite aimé la Californie et Santa Anita. Je ne voulais pas repartir. L’ambiance y est vraiment différente que dans les autres États. »
La découverte d’une nouvelle méthode…
« Après mes quatre années aux côtés de Patrick Biancone, j’ai rejoint Nick Zito, chez qui j’ai pu découvrir une méthode totalement différente pendant un an. Lui évolue principalement en Floride et à New York. J’y ai croisé la route de gagnants de Breeders Cup et d’un gagnant des Belmont Stakes ! L’entraînement était très différent de celui de Patrick Biancone. Les chevaux travaillent plus dur, de manière un peu plus agressive. Il avait également plus de chevaux de dirt, ce qui m’a permis de découvrir un nouveau circuit de course. »
… avant le grand saut
Avant de partir aux États-Unis, Thomas Brandebourger avait un objectif : devenir entraîneur. Après deux belles expériences chez des tops entraîneurs, il décide de s’installer à son compte à 25 ans, à Keeneland au Kentucky. Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu. « J’étais très jeune, trop jeune… Cette période a été très compliquée du début jusqu’à la fin. Mais j’ai compris à quel point être entraîneur était difficile. Au même moment, mon père a eu des soucis en France et j’ai préféré cesser d’entraîner. Cette expérience m’a beaucoup fait grandir. J’avais un petit effectif de cinq chevaux avec qui j’ai pu gagner quatre courses. Ma première victoire reste d’ailleurs l’un de mes meilleurs souvenirs. » Arrivé au bout de l’aventure, il lui fallait trouver une solution, « une porte de sortie » comme dirait Thomas Brandebourger.
Neuf ans chez Christophe Clément
« Très gentiment, Christophe Clément a accepté que je le rejoigne. Cela a été une belle opportunité mais surtout une expérience qui m’a sauvé. Principalement basé à New York et en Floride, Christophe Clément entraîne beaucoup de chevaux possédant un très bon niveau. Moi, je passais l’hiver en Floride et le reste de la saison à Saratoga. J’ai eu la chance de travailler avec Christophe lorsqu’il entraînait Tonalist (Tapit), gagnant des Belmont Stakes (Gr1). »
L’entraînement ? Pourquoi ne pas retenter !
« J’ai déjà essayé mais cela n’a pas fonctionné. Alors si je devais de nouveau m’installer, je ne pourrais plus revenir en arrière. J’ai encore besoin d’apprendre et je n’ai, pour le moment, pas envie de retenter cette aventure. Mais qui sait, peut-être dans quelques années… Et si cela devait se produire ce serait aux États-Unis car je n’ai plus aucun repère en France… Je n’observe plus autant les courses françaises qu’avant. Je ne suis pas rentré en France depuis sept ans mais je n’oublie pas mes racines et je me rends dès que j’ai le temps à la boulangerie la plus proche de là où j’habite (rires) ! » Elle se situe à une trentaine de minutes de chez lui…