DUBAWI VS SHAMARDAL, UN MATCH QUI DURE DEPUIS 20 ANS
C’était en 2005, quelques jours avant la Dubai World Cup. Comme à l’accoutumée, le cheikh Mohammed Al Maktoum avait invité la presse internationale dans le vieux centre d’entraînement d’Al Quoz afin d’assister à la présentation de ses meilleurs chevaux. C’était l’une des très rares années où aucun Godolphin ne prenait le départ de la course qui était alors la plus richement dotée au monde et où tous les regards étaient tournés vers la promotion des 3ans.
Franco​​ Raimond​​i
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Godolphin possédait les deux meilleurs 2ans du classement européen 2004. À savoir le lauréat des Dewhurst Stakes (Gr1) Shamardal (Giant’s Causeway), qui était arrivé en bleu après les soucis de son premier propriétaire, Abdulla Buhaleeba, et le produit maison Dubawi (Dubai Millennium), qui avait remporté les National Stakes (Gr1) en Irlande. À cette époque le cheikh Mohammed voulait démontrer deux choses. Primo que passer l’hiver à Dubaï conférait un avantage aux jeunes chevaux en vue de la saison classique en Europe et, secondo, qu’il était possible de gagner le Kentucky Derby (Gr1) avec un poulain préparé dans les Émirats. Shamardal avait un rating (123) plus haut que celui de Dubawi mais lors de la présentation des chevaux, nous avions rapidement compris que ce dernier serait le candidat aux classiques en Europe. Pour Shamardal, l’option était Churchill Downs mais après des débuts catastrophiques sur le dirt dans l’UAE Derby (Gr2), il est finalement parti pour l’Europe avec son camarade de box.
Ils ne se sont jamais affrontés
Les deux champions ne se sont jamais rencontrés en piste. Dubawi a pris le chemin d’Epsom alors que Shamardal a endossé le rôle du second couteau avec comme objectif les classiques en France. C’est avec le statut de grandissime favori que Dubawi a fait sa rentrée dans les 2.000 Guineas (Gr1) où il s’est classé cinquième. Il manquait d’une course et se trouvait dans le mauvais couloir ce jour-là . Il a ensuite remis les pendules à l’heure par un succès aisé dans les Irish 2.000 Guineas (Gr1) avant de s’aligner dans le Derby. Lanfranco Dettori nous avait confié à l’époque : « S’il tient, il gagne ! » Mais Dubawi n’a pas tenu. Shamardal a gagné la Poule d’Essai des Poulains (Gr1) au courage, de bout en bout, et dans le premier Prix du Jockey Club (Gr1) disputé sur 2.100m, il a su repousser les attaques d’Hurricane Run (Montjeu), s’imposant d’une encolure. Neuf jours après le classique cantilien, le match Dubawi-Shamardal était attendu dans les St James’s Palace Stakes (Gr1), lors du meeting de Royal Ascot qui avait eu lieu à York. Dubawi fut retiré peu avant la course, le terrain étant jugé trop léger pour ses aptitudes. Shamardal s’est alors imposé, remportant un troisième Gr1 en l’espace d’un mois mais il s’est blessé avant de disputer les Eclipse (Gr1). Il n’a plus été revu en compétition et a démarré dans la foulée sa carrière d’étalon en rencontrant 111 juments en Australie. Dubawi, quant à lui, a effectué le déplacement à Deauville pour remporter une édition de haut vol du Prix Jacques Le Marois (Gr1) et il a quitté les pistes par une deuxième place dans les Queen Elizabeth II Stakes (Gr1).
Dubawi en Angleterre, Shamardal en Irlande
Début 2006, Darley avait donc deux jeunes étalons à placer sur le marché européen. Dubawi a eu l’opportunité d’officier en Angleterre, à Dalham Hall Stud, alors que Shamardal est parti pour Kildangan Stud, l’antenne irlandaise. Le tarif des deux jeunes sires était le même (selon le taux de change de l’époque) : 25.000 £ et 40.000 €. Lors de la troisième saison, ils ont échangé leurs lieux de monte respectifs et Dubawi a officié en Irlande à 40.000 € , tandis que Shamardal est parti en Angleterre au prix de saillie de 25.000 £. Dubawi était proposé à 15.000 £ (22.000 €) en 2009, l’année de ses premiers partants, et Shamardal à 20.000 €. Shamardal a donné son premier gagnant de Groupe – Shakespearean – le 27 août 2009, alors que la première lauréate de Dubawi, Sand Vixen, a été enregistrée deux semaines plus tard. À la fin de la saison 2009, Dubawi a remporté le titre par gagnants des first crop sires en Europe avec 34 chevaux de 2ans qui ont ouvert leur palmarès, alors que Shamardal en a totalisé 22 la même année, dont un certain Lope de Vega. La saison suivante, ce dernier a remporté – comme son père – la Poule d’Essai des Poulains et le Prix du Jockey Club (Grs1).
Deux histoires bien différentes
C’est lors de sa huitième saison, en 2014, que Dubawi a officié pour la première fois à un tarif à six chiffres avant d’atteindre 250.000 £ (283.000 €) en 2017 puis 350.000 £ (420.000 €) en 2023, suite à  son titre de champion sire obtenu sur les îles Britanniques. Shamardal, quant à lui, n’a jamais dépassé 75.000 € et depuis 2016, suite à des problèmes de santé, il est devenu un étalon quasi privé pour la famille Maktoum avant de mourir en 2020. Shamardal a laissé une dernière génération de 17 sujets de 4ans dont Inisherin et Cinderella’s Dream qui lui ont permis d’atteindre les 29 gagnants de Gr1.
Dubawi 190, Shamardal 89
La carrière d’étalon de chacun de ces deux champions est impossible à comparer si l’on s’en tient aux chiffres. Shamardal a produit 89 gagnants de Groupe, dont le dernier, Royal Champion, a décroché samedi, à 7ans, le Winter Derby. Dubawi en est à 190, dont 60 ont brillé dans les Grs1. On recense 1.376 produits de l’hémisphère Nord de Shamardal alors que, sans compter les 2ans, Dubawi en est à 1.870. Si on comptabilise les naissances de l’hémisphère Sud où il a officié cinq saisons, Shamardal arrive à 1.698, alors que Dubawi, qui a trois générations australiennes, monte à 2.108 produits de 3ans et plus. Le taux de gagnant de Groupe sur produit est de 5,2 % pour Shamardal et de 9 % pour Dubawi.
Père de père, l’effet Lope de Vega
C’est dans le rôle de père d’étalon que Shamardal tient enfin sa revanche. Ses fils ont en effet produit 85 gagnants de Groupe contre 75 pour Dubawi. On notera que 76 des lauréats de Shamardal sont par Lope de Vega, alors que les Dubawi qui ont déjà produit plus de dix gagnants de Groupe sont au nombre de quatre : Night of Thunder (30), Zarak (19), Too Darn Hot (13) – dont Shanwah et Tropicus qui ont atteint l’objectif au cours du dernier week-end en Australie – et enfin New Bay (12). Shamardal a déjà donné un champion first crop sire tel que Blue Point et il a d’autres jeunes sires attendus comme Earthlight, Pinatubo et Shaman qui ont leurs premiers 3ans ainsi que Victor Ludorum qui a ses premiers 2ans. Mais la puissance de feu de Dubawi est encore plus conséquente grâce aux espoirs laissés par les produits de Ghaiyyath qui a ses 3ans en piste cette année et aux juniors de Space Blues. Sans oublier les premiers yearlings de Naval Crown qui passeront en vente, alors que Modern Games (141 poulinières) et Erevann (167) ont leurs premiers foals. Vingt ans ont passé depuis ce matin de 2005 à Al Quoz, mais l’on parle toujours de Dubawi et de Shamardal, de leur poids sur l’élevage mondial et de la montée en puissance de Darley sur le marché des étalons.
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