AL GHADEER, LE CRACK QUI FAIT AIMER LES PUR-SANG ARABES
En s’imposant dans H.H. The Amir Sword (Gr1 PA), dimanche au Qatar, Al Ghadeer (Al Mourtajez) a remporté pour la deuxième fois la Triple couronne des pur-sang arabes. C’est le premier cheval à réaliser cet exploit et il n’est pas certain qu’un autre compétiteur en soit capable un jour. Avec 4,38 millions d’euros de gains, le représentant d’Al Shaqab Racing est actuellement le cheval le plus riche à l’entraînement en France. Seul Facteur Cheval (RS) (Ribchester) pourrait faire mieux s’il venait à briller en Arabie saoudite samedi prochain. Même ceux qui étaient un peu réticents hier semblent aujourd’hui conquis par les exploits sportifs d’Al Ghadeer. C’est bien simple, ce cheval hors du commun n’a jamais couru dans un maiden ou une course à conditions, n’ayant connu que les Groupes depuis ses premiers pas en compétition… et directement face aux meilleurs. Il s’agit d’une réelle victoire (médiatique) pour la filière du pur-sang arabe qui est en plein développement en France et dans les pays du Golfe. Un crack, un vrai, cela parle à tout le monde. À peu près tous les médias hippiques français ont d’ailleurs relayé l’exploit d’Al Ghadeer. Et même dans les pays où l’on court pourtant peu les pur-sang arabes (en Grande-Bretagne par exemple). Pour toutes les nations hippiques où cette race est prépondérante dans le programme (Turquie, Maghreb, pays du Golfe…), le pensionnaire de François Rohaut est une icône. Ainsi à Doha, Al Ghadeer est bien plus célèbre que Rebel’s Romance (Dubawi) !
Dès le départ, Al Ghadeer était hors normes
Damien de Watrigant a détecté et formé beaucoup de bons chevaux en plat comme sur les obstacles (Thélème…). C’est lui le premier entraîneur d’Al Ghadeer (Al Mourtajez). Quand il a entre les mains un cheval qui sort de l’ordinaire, le Montois sait garder les pieds sur terre. Prudent et expérimenté, il est connu pour présenter des débutants avec encore beaucoup de marge. Pourtant, je me souviens parfaitement du jour où il a engagé Al Ghadeer, encore inédit, dans la Qatar Coupe de France des Chevaux Arabes (Gr2 PA). Damien de Watrigant était persuadé d’avoir un phénomène dans ses boxes. Débuter directement dans un Gr2 à Paris, même chez les pur-sang arabes, c’est quelque chose de très rare. Une fois à Chantilly, le 3ans (soit l’équivalent d’un 2ans pour un pur-sang anglais) n’a pas pu courir pour un problème administratif. Retour dans le Sud-Ouest, où il a finalement débuté par une bonne deuxième place – sans pression – 15 jours plus tard dans le Royal Cavalry Oman – Prix Razzia III (Gr3 PA) avant d’être vendu dans la foulée et de changer d’entraîneur. Depuis, il n’a plus jamais été battu, alignant 11 victoires de rang en France, en Angleterre et au Qatar. Double lauréat de l’Arc de sa race – la Qatar Arabian World Cup –, il va dans tous les terrains, sur toutes les distances et semble capable de se sortir de toutes les difficultés. Meilleur 3ans au monde, il a confirmé en décrochant de nouveau ce titre à 4ans et 5ans. Al Ghadeer commence 2025 de la meilleure des manières. S’il est sacré meilleur cheval du monde à 6ans, il aura là encore accompli un exploit inégalé. Sauf erreur de ma part, aucun pur-sang anglais n’a été le meilleur à 2ans, 3ans, 4ans et 5ans.
Une Triple couronne, ce n’est jamais anodin
Pas moins de 35 pays à travers le monde proposent une Triple couronne chez les pur-sang anglais. C’est un concept important et fédérateur dans toutes les nations hippiques. Dans la plupart des cas, ce challenge est réservé aux 3ans. Et la valeur d’une Triple couronne, c’est aussi sa difficulté. Les Anglais attendent depuis cinquante ans et la victoire de Nijinsky (Northern Dancer) qu’un autre cheval remporte les trois manches de ce fameux triptyque ! Celui qui y parviendra – un jour ou l’autre – devra être le meilleur dans une génération anglo-irlandaise de 3ans qui correspond grosso modo à 10.000 foals (c’est-à -dire en excluant les naissances pour l’obstacle). Nijinsky aurait-il été capable de remporter une deuxième Triple couronne si ce triptyque était (comme chez les pur-sang arabes) une compétition intergénérationnelle ? C’est possible, mais ce n’est pas certain car après le St Leger, ce champion avait été battu deux fois : dans l’Arc (où il n’a pas été chanceux) et dans les Champion Stakes (où il n’était plus le même cheval).
Quelle est la valeur du triptyque qu’a remporté deux fois Al Ghadeer ?
Chez les pur-sang arabes, la Triple couronne se court dans trois pays différents (une difficulté supplémentaire) et elle rassemble des chevaux de 4ans, 5ans, 6ans, 7ans et 8ans. Soit les meilleurs du cumul de cinq générations d’un nombre important de pays d’élevage : France, États-Unis, Grande-Bretagne, Qatar, Pologne… et même parfois aussi quelques russes, marocains, émiratis ou tunisiens. Il est très difficile de savoir combien de pur-sang arabes naissent spécifiquement pour la course dans cette dizaine de pays. Nous avons donc procédé à une estimation. Lorsque ce chiffre était disponible, nous avons estimé que le nombre de 4ans ayant couru dans chaque pays représentait les trois quarts des naissances d’une génération. En l’absence de cette donnée, nous avons extrapolé à partir du nombre d’épreuves de la nation concernée. Et ces calculs, forcément très imprécis, nous permettent d’estimer qu’Al Ghadeer a battu les meilleurs chevaux issus d’un total d’environ 7.500 naissances réparties sur cinq générations. La Triple couronne des pur-sang arabes a été lancée en 2015 avec les Qatar International Stakes de Goodwood (1.600m), la Qatar Arabian World Cup de ParisLongchamp (2.000 m) et H.H. The Amir Sword au Qatar (2.400m).
Ce qui rend Al Ghadeer unique
Le challenge que représente cette Triple couronne des pur-sang arabes s’est révélé extrêmement difficile – certainement plus qu’attendu lors de son lancement ! – et plusieurs champions s’y sont cassé les dents. Les premières saisons, on se demandait même si un tel défi, à cheval sur trois pays et huit mois, était réalisable. Et il a fallu attendre quasiment cinq années pour qu’un cheval parvienne à remporter les trois manches. Il s’agit d’Ebraz (Amer), un véritable roc. Entraîné d’une main de maître par Julian Smart, Ebraz est un cheval qui était arrivé à la plénitude de ses moyens à l’âge de 6ans, alternant courses sages de préparation (sans forcément gagner donc) et objectifs choisis. Ce qui rend la première victoire d’Al Ghadeer hors normes, c’est qu’il avait 4ans (soit l’équivalent d’un 3ans pur-sang anglais) et devait donc battre ses aînés. Depuis, il a aligné 11 victoires de rang pour compléter ces deux triptyques. Il gagne donc même ses préparatoires !
Son pedigree, un roman à la Ian Fleming
Si vous croyez à l’outcross, Al Ghadeer est votre cheval ! Sur cinq générations, son pedigree est la rencontre de sangs français, irakiens, anglais, russes, saoudiens et portugais. Son éleveur, l’Irakien Mohammed Al Nujaifi, est le continuateur d’une tradition d’élevage plus que centenaire dans sa famille. Il y a un siècle, aux Indes, les premiers chevaux de l’Aga Khan III, étaient des pur-sang arabes venus d’Irak. Au fil des décennies, Mohammed Al Nujaifi a importé en Irak des chevaux de Russie, d’Angleterre ou même de France afin d’apporter du sang neuf sur ses souches ancestrales. L’élevage de sa famille a survécu à toutes les guerres qui ont frappé l’Irak, aux invasions et même aux attaques armées contre les haras du pays. Mohammed Al Nujaifi a été le premier à comprendre qu’il fallait sortir du pays pour mettre en valeur ses souches et c’est ainsi qu’il a commencé à envoyer des chevaux à l’entraînement en France. De même, Al Ghadeer est né dans le Lot-et-Garonne, chez Val Bunting – manager d’Al Nujaifi Racing – avant de grandir au haras de Mandore. Cette Anglaise aux 1.000 vies, avec un humour so British, a une truculence rare lorsqu’elle vous raconte ses expéditions de l’autre côté du rideau de fer pour acheter des pur-sang arabes en Union Soviétique. On se croirait chez Ian Fleming ! Première femme à entraîner au Qatar, elle a d’ailleurs remporté la toute première édition de H.H. The Amir Sword… Presque quatre décennies plus tard, Al Ghadeer représente un aboutissement pour celle qui a su mettre ses connaissances au service de certains des plus grands propriétaires-éleveurs de pur-sang arabes du monde.