KAPGARDE TIRE SA RÉVÉRENCE
Rares sont les étalons ayant donné à la fois un gagnant du Grand Steeple de Paris et de la Gold Cup de Cheltenham (Grs1). Dans l’ère moderne du sport hippique, c’est le cas d’Italic (Carnaval), de Cadoudal (Green Dancer) et de Kapgarde (Garde Royale) qui jouit de sa retraite au haras de la Hêtraie depuis peu.
Pendant vingt années, l’étalon a fait vibrer les éleveurs français et étrangers grâce à sa dizaine de lauréats de Gr1. Il faut citer À Plus Tard (quatre Grs1 dont la Gold Cup), Milord Thomas (cinq Grs1 dont le Grand Steeple et deux fois La Haye Jousselin), Brighterdaysahead (l’étoile montante de Gordon Elliott, déjà gagnante de quatre Grs1), Prince Ali (Prix Alain du Breil), Fakir d’Oudairies (quatre Grs1 outre-Manche), Clan des Obeaux (cinq Grs1 dont deux fois le King George VI Chase), Amy du Kiff (Prix Maurice Gillois), Feu Follet (Prix Alain du Breil)… Assurément, Kapgarde a marqué l’histoire de l’obstacle !
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Un homme et son cheval
Le lien entre Pascal Noue et Kapgarde est très fort. Tous deux ont « grandi » ensemble sur la scène hippique. Et pour l’homme de la Hêtraie, la retraite de « son cheval » est un changement considérable. Il explique : « L’an dernier, il a fait très chaud pendant quelques jours au mois juin. Le comportement de Kapgarde n’était pas normal. On voyait qu’il n’avait pas envie de saillir. Il est tout de même monté sur la jument car c’est un cheval qui veut faire plaisir aux gens lorsqu’il est décidé. Quand il est descendu de la jument, la décision a été prise de le mettre à la retraite. Je n’ai pas voulu faire une annonce car c’est une situation désagréable, c’est la fin d’une époque. À 26ans, il faudrait qu’il soit sous médication pour ne pas avoir mal en saillissant. Ce que je refuse car je ne veux pas lui faire prendre le moindre risque. Je ne souhaite pas me retrouver à appeler le vétérinaire parce que le cheval s’est accidenté. Depuis sept ou huit ans, avec les autres copropriétaires, nous mettons de l’argent de côté pour Kapgarde. Il a donc une caisse de retraite pour les années à venir. Il reste au haras, impossible qu’il parte ailleurs. Great Pretender (King’s Theatre), né la même année que Kapgarde, est, lui, étalon à mi-temps ! »
KAPGARDE, DE PIONNIER À RÉFÉRENCE
Au commencement de l’histoire de Kapgarde (Garde Royale), il y a ses éleveurs, les époux Thoreau. Industriels de l’Ouest de la France, mais néophytes dans les courses, ils se sont lancés dans l’élevage de chevaux d’obstacle par l’intermédiaire de Frédéric Sauque. Pour ce faire, les Thoreau ont ainsi acheté une partie de l’effectif du haras des Coudraies. Plus précisément, le lot comprenait des juments d’obstacle de premier plan, dont Kotkie (Rheffic), Indiana Rose (Cadoudal), Kaprika (Cadoudal), future mère de Kapgarde mais aussi l’étalon (et désormais chef de race) Cadoudal (Green Dancer). On fait difficilement mieux comme base de départ ! Sans forcément avoir beaucoup de connaissances hippiques, madame Thoreau a alors repris le haras de Mortrée pour y installer ses juments récemment acquises et son étalon. C’est ainsi que Kapgarde est né à Mortrée en 1999. Et il a été vendu foal à messieurs Picoulet, Denéchère, Broucaret et Macaire. Pascal Noue, lui, est arrivé au haras de Mortrée l’année suivante, en 2000. Frère de deux chevaux de Gr1, Kapgarde n’a pas été castré, ce qui était tout à fait exceptionnel à l’époque. Sous l’entraînement de Guillaume Macaire, Kapgarde n’a connu qu’Auteuil lors de ses neuf apparitions publiques. Il a débuté au mois d’octobre de ses 3ans par une quatrième place dans le Prix Emilius. Un mois plus tard, il a gagné le Prix Lusignan. À 4ans, il a remporté le Prix Jacques d’Indy (Gr3) sur les haies d’Auteuil et le Prix Samour sur les gros obstacles. Dans le Prix Ferdinand Dufaure (Gr1), il a été battu d’une encolure par Ice Mood (Turgeon) et Pascal Noue explique : « Il s’est fait mal en tapant une barre d’appel, d’où une fracture. C’est ainsi que s’est terminée sa carrière sportive. »
Autre temps, autres mœurs
Nous sommes alors en 2023. Cadoudal, le père de mère de Kapgarde, est tête de liste des pères de gagnant sur les obstacles en France mais il est âgé de 23ans. Garde Royale (Mill Reef), deuxième de ce classement, est le père de Kapgarde mais il est mort depuis plusieurs années déjà . Frère de deux chevaux de Gr1 sur les obstacles, petit-fils d’une bonne jument d’Auteuil, Kapgarde a de nombreux atouts à faire valoir. Pascal Noue se souvient : « Il avait alors suscité l’intérêt de plusieurs haras. Mais rien à voir avec l’engouement qu’il ferait naître aujourd’hui. » C’est ainsi que Pascal Noue (pour le haras de Mortrée), après avoir été battu sur Saint des Saints, s’est retrouvé à batailler face à plusieurs haras privés pour Kapgarde, dont son ancien employeur… c’est-à -dire les Haras nationaux ! Au terme du processus, le jeune sire a pu revenir faire la monte sur son lieu de naissance, là même où son père de mère Cadoudal était encore actif (mais limité dans son activité). Un syndicat de quatre acteurs s’est rassemblé pour financer l’achat de Kapgarde. Ce qui serait impossible de nos jours. Et pour cause, les sommes en jeu n’ont plus rien à voir. Le même cheval se négocierait actuellement au-delà du million d’euros. Au début des années 2000, les mêmes prospects valaient quatre fois moins cher.
L’obstacle a changé
Pascal Noue poursuit : « C’est une période où les étalons passés par les obstacles étaient souvent assez dénigrés. L’expression était que « nous allions faire des trains de marchandise ». Le cheval avait un fervent défenseur en la personne de David Powell. Avant que les premiers débutent, il avait remarqué leur souplesse et leur bon déplacement au pré-entraînement. David Powell me disait : « Kapgarde, ça va aller. » Et effectivement, cela s’est bien passé ! Lors de son arrivée au haras, un certain nombre d’éleveurs se sont laissé convaincre et ils ont utilisé ces jeunes sires, comme Saint des Saints à Etreham ou Kapgarde chez nous, lequel a commencé à 1.800 €. Il a sailli 126 juments en première année. » À titre de comparaison, Cadoudal officiait à 6.000 €, ce qui paraît ridiculement faible selon les standards actuels pour un tel étalon. Vingt ans plus tard, Kapgarde a, lui, terminé sa carrière à 15.000 € : « L’époque était totalement différente. L’obstacle était la voie dédiée aux mauvais chevaux de plat. On vendait des chevaux pour cette discipline sur leur modèle. Hier, on achetait des individus pour sauter. Aujourd’hui, on achète des pages de catalogues pour l’obstacle. Les acheteurs se focalisent trop sur le papier et ils passent à côté d’individus qui vont réussir pour des raisons généalogiques. En vingt ans, tout a changé. Kylian Mbappé a dit : « Le football, il a changé ». Pour nous, c’est la même chose, « l’obstacle, il a changé »… ! Beaucoup de chevaux de plat, taillés pour la vitesse, ne sont plus capables d’aller à Auteuil. En contrepartie, les origines et les souches d’obstacle se sont grandement développées. Les lignées et les élevages ont creusé un sillon, celui de la sélection par et pour l’obstacle. Dans l’histoire de Kapgarde, il y a aussi, bien sûr, les convictions de Guillaume Macaire qui a décidé de ne pas castrer plusieurs chevaux dont certains sont devenus Saint des Saints, Kapgarde, Pantruche (Pampabird)… et les autres. »
Les convictions de Macaire
Avant ces chevaux, il y a eu de nombreux bons étalons dans nos campagnes qui avaient fait carrière sur les obstacles. Mais la grande différence, c’est qu’ils étaient des entiers venus du plat avant d’aller faire carrière chez les sauteurs. L’innovation de Guillaume Macaire a donc été de choisir des jeunes chevaux spécifiquement dans ce but et non pas des entiers venus du plat. Peu ont été capables de prédire la suite, c’est-à -dire une explosion de ces types d’étalons qui sont devenus l’alpha et l’oméga de l’élevage de sauteurs… au risque de tomber dans l’excès. Et Pascal Noue explique : « Pendant plusieurs années, en France, les chevaux gagnants en obstacle sont devenus une obsession. Depuis un an ou deux, on revient à une situation plus équilibrée dans le parc français de pères de sauteurs, avec à la fois des chevaux venus du plat et d’autres ayant sauté. »
De Mortrée à la Hêtraie
Les époux Thoreau prenant de l’âge, ils ont décidé de vendre les murs du haras de Mortrée. Pascal Noue est resté deux années sur place, mais faute d’appui des banques, il n’a eu d’autre choix que de partir : « L’activité fonctionnait, j’avais les étalons, les juments, le personnel… mais pas l’argent pour acheter des murs. En quittant Mortrée, j’ai récupéré plusieurs étalons dont Kapgarde, Great Pretender (King’s Theatre), Polish Summer (Polish Precedent), Malinas (Lomitas)… J’ai donc loué un barn construit par Hubert Honoré qui s’appelait La Hêtraie. Mais avec 30 hectares et 22 boxes, c’était trop petit. J’ai donc loué un autre lieu pendant deux ans à Jean-Pierre Dubois qui est devenu le haras des Authieux. J’ai tenu quelque temps avec l’argent d’un PEL et la clémence des fournisseurs… Ils m’ont bien aidé. Cela m’a donné le temps de faire un premier bilan et de retourner voir les banques. C’est ainsi que j’ai acheté une ferme dans la Manche à Cerisy-la-Forêt. J’ai déménagé mais en gardant le nom « La Hêtraie », et avec le recul, c’est vraiment une région idéale avec un climat exceptionnel. »
Dans le grand bain
En 2008, Kapgarde a eu ses premiers 3ans en piste, lesquels ont finalement assez rapidement fait l’arrivée à Paris, comme Royale François (Kapgarde), troisième du Prix Finot (L). Mais l’étalon a mis du temps à « sortir » son premier gagnant. Les choses se sont déclenchées en fin d’année, et très progressivement, l’étalon est monté en puissance. En 2010 et en 2011, l’étalon est descendu à une soixantaine de juments avec un tarif avoisinant les 3.000 €. En 2019, il a dépassé la barre des 10.000 €, étant proposé à 12.000 €. Lors de ses trois dernières années de monte avec un tarif public (de 2020 à 2022), il officiait à 15.000 €. S’il n’a jamais été tête de liste, Kapgarde a très souvent été dans le top 3 français : « Kapgarde a commencé avec une jumenterie « standard ». Mais une fois qu’il a été lancé dans sa carrière d’étalon, la suite a été facile… Sa production a gagné un peu partout et dans des conditions très différentes, en fonction de la jumenterie qu’on lui envoyait. Même si ce n’était pas forcément sa tasse de thé, il a été capable de donner des 3ans. Il a même donné des gagnants de Finot, lui qui mesure 1,72m. L’étalon a fait l’objet d’offres venues de l’étranger mais cela n’est pas allé très loin car je ne suis pas vendeur. Je préfère conserver un bon étalon qui est moteur pour le haras et représente un revenu régulier tous les ans. Cela a été possible car nous n’étions qu’une poignée autour de la table et surtout des éleveurs, c’est-à -dire des gens moins enclins à accepter une offre. C’est la raison pour laquelle des bons étalons comme Saint des Saints ou Martaline (Linamix) sont restés en France. Un éleveur veut utiliser son étalon, un investisseur souhaite plutôt vendre s’il le peut. Mais vendre, c’est prendre une grosse somme, en donner la moitié à l’État et n’avoir aucune certitude de retrouver un autre bon étalon par la suite. En outre, beaucoup d’éleveurs français en ont profité, et cela, c’est très important. »
Plus Cadoudal que Garde Royale
« Cadoudal était un des chevaux les plus moches que j’ai connus. Un gros cheval, lourd, avec une tête de trotteur des années 1940, des canons cylindriques de 15 cm de long et des jarrets un peu loin. Pas méchant, il avait cependant un caractère de cochon. Il voulait commander. Lorsqu’il l’avait décidé, Cadoudal était capable de traverser le feu. Et ça, on le retrouve chez Kapgarde. C’est un étalon qui faisait un peu peur à son monde. Lorsque je suis arrivé à Mortrée, Cadoudal était dans un champ avec un licol… et il n’avait pas été attrapé depuis un bon moment. J’ai mis 15 jours à nettoyer ledit licol lorsque nous l’avons capturé. Bref, Cadoudal a commencé sur le marché du plat où cela n’a pas fonctionné. Il a suffi d’un bon sur les obstacles pour que cela le déclenche et est devenu à la mode. Ce qui signifiait saillir 60 juments ! C’était un étalon qui produisait des chevaux capables d’aller au feu, avec de l’aptitude pour sauter et pour aller dans le lourd. Voir le très lourd si l’on veut parler de la piste de l’époque à Auteuil ! Kapgarde a hérité des bons côtés de son père de mère Cadoudal. Il était moins signé par son père Garde Royale, même si ce dernier lui a transmis ses pieds plats. »
En pensant à l’avenir…
Kapgarde est le père de mère de Romeo Coolio (Kayf Tara), lauréat du Future Champions Novice Hurdle (Gr1), ou encore de Jango Baie (Tiger Groom), gagnant du William Hill Formby Novices Hurdle (Gr1). Pascal Noue réagit : « Les filles de Kapgarde ont du gabarit et un peu de caractère, mais elles produisent bien lorsqu’elles sont bien croisées. Les juments par Kapgarde, Saint des Saints et ce type d’étalons croisent bien avec des étalons venus du plat… » À ce jour, le seul fils de Kapgarde au haras (Paradiso) fait la monte à la Tuilerie. Mais Pascal Noue n’a pas baissé les bras : « J’ai essayé de fabriquer un fils étalon de Kapgarde. Sans succès jusqu’à présent. Mais j’ai encore quelques jeunes prospects… » À la soixantaine, Pascal Noue pense lui aussi à l’avenir. Récemment, non sans humour, il a déclaré au micro de Nick Luck qu’il voulait devenir influenceur sur Instagram. Plus sérieusement, il nous a confié : « J’ai eu un poulinage à 3 heures cette nuit. Et je suis moins frais que par le passé. À 62 ans, je recherche une personne pour reprendre la partie opérationnelle de mon activité. Mais je veux continuer la syndication, la recherche d’étalons… »