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lundi 28 avril 2025
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CE FR QUI A REMIS CHURCHILL EN SELLE

CE FR QUI A REMIS CHURCHILL EN SELLE

Rares sont ceux qui ont marqué l’histoire moderne européenne comme Winston Churchill. Personnage tout en contraste, il a autant d’ardents défenseurs que de détracteurs zélés en Grande-Bretagne. Sir Winston Leonard Spencer Churchill est mort le 24 janvier 1965, il y a donc soixante ans jour pour jour. Homme aux multiples vies, il a cultivé de nombreuses passions, de la peinture à la maçonnerie. Mais le grand homme était aussi un dépressif chronique, sombrant à plusieurs périodes de sa vie dans une mélancolie profonde. À l’automne de son existence, en 1949, l’achat d’un cheval français de naissance, nommé Colonist II (Rienzo), va faire renaître en lui la passion des courses. Et durant les 15 dernières années de sa vie, les galopeurs vont occuper une place importante dans la vie du grand homme. Comme un remède à la mélancolie et un retour à l’enfance.

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Élevé par des parents qui ne se voyaient que rarement, Winston Churchill a vécu une enfance aristocratique mais pas très heureuse. Parmi les bons souvenirs, figurent les chevaux. Le jeune Winston était doué à cheval et ses exploits équestres lui permettaient d’attirer l’attention de parents extrêmement distants. La mère de Churchill, l’Américaine Jennie Jerome, était une mondaine très volage, dont le père Leonard Jerome avait construit son propre hippodrome à New York (qui n’existe plus de nos jours). Il l’avait nommé – en toute modestie – Jerome Park Racetrack. L’histoire raconte que Winston Churchill est né avant-terme car sa mère aurait déclenché l’accouchement en suivant une chasse à cheval. Une version alternative laisse entendre qu’il fut conçu hors mariage, d’où le fait qu’il naisse avant la fin des neuf mois ayant suivi la cérémonie.

Le cheval, sa madeleine de Proust

Son père, Lord Randolph Churchill, avait remporté en tant que propriétaire les Oaks d’Epsom en 1889 avec L’Abbesse de Jouarre (Trappist), nommée en référence à un livre d’Ernest Renan qui fit scandale en son temps (c’est l’histoire d’une religieuse qui succombe à la chair). La pouliche était toute bonne – quatre victoires à 2ans – mais on ne peut pas dire que Lord Randolph Churchill était un grand passionné de la chose hippique. Le jour du classique, il était parti à la pêche. À l’inverse, son fils Winston fut profondément marqué par cette victoire qui le valorisa auprès de ses jeunes camarades de pensionnat.

Après son échec en politique, Lord Randolph Churchill est mort prématurément de ce qui semble être la syphilis, plongeant sa famille dans la difficulté sur plan financier, tout en jetant un certain discrédit sur ses proches. Élève souvent difficile, avec des résultats scolaires tout à fait moyens, Winston Churchill était parfois méprisé par ce père distant. L’un des échappatoires du jeune homme fut la pratique de l’équitation, et durant la première partie de son existence, il fut un joueur de polo reconnu et un militaire à cheval remarqué par sa bravoure. Winston Churchill a ainsi écrit dans ses mémoires : « Ne donnez pas d’argent à votre fils. Dans la mesure du possible, offrez-lui des chevaux. » Le jeune homme a participé à des courses de poney et de point-to-point en Angleterre mais aussi dans l’Inde coloniale. Pendant un temps, Churchill a vécu à Banstead Manor qui abrite aujourd’hui les étalons de Juddmonte, dont Frankel (Galileo).

Rentrer dans le rang… et en sortir

Des journalistes ont un jour demandé à l’écrivain Stephen Fry comment définir le fait d’être Anglais. Et il a donné une réponse correspondant parfaitement à sa classe sociale – c’est-à-dire la bonne société – qui pourrait s’appliquer Winston Churchill : « C’est à la fois essayer par tous les moyens de s’intégrer dans la norme sociale [Churchill était très respectueux de la tradition et très patriote, ndlr] tout en voulant de toutes ses forces se distinguer comme un individu. C’est donc à la fois voulant rentrer dans le rang et en sortir. » Winston Churchill a suivi une formation militaire à Sandhurst (rentrer dans le rang) mais il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour briller par ses exploits aux yeux de ses parents et du reste du monde (sortir du rang). Durant sa scolarité, ce désir de reconnaissance est passé par des prix d’excellence en équitation, son point fort au sein de son cursus, puis par le fait de devenir une tête brûlée durant sa carrière militaire. Il a notamment participé à des charges de cavalerie homériques et pris des risques spectaculaires aux quatre coins de l’empire britannique. Peut-être pour venger l’échec de son père, Winston Churchill a toujours cru en son destin politique et pour ce faire, il fut aussi reporter de guerre pour diverses publications. C’était assez pratique car en prenant lui-même la plume, il avait la certitude que la presse n’allait pas passer à côté de ses faits d’armes. Mais, sans surprise, cela irritait profondément sa hiérarchie. Le prestige militaire en bandoulière, Winston Churchill s’est lancé en politique à 26 ans. Pendant les cinq décennies qui ont suivi, sa vie fut consacrée au travail, jour et nuit, pour nourrir son ambition politique dévorante. Réseautage oblige, il a continué à prendre part à des chasses à courre, mais les courses ont disparu de son existence durant cette longue période.

Lorsque son nom refait surface sur les hippodromes, ce n’est pas toujours de manière très positive. En tant que chancelier de l’Échiquier – l’équivalent du ministre des Finances – Churchill a introduit une taxe sur les paris en 1926. D’où une grève des bookmakers… et une taxe rapidement supprimée. D’autres ont essayé, y compris en France ! Churchill est apparu sous un jour beaucoup plus positif aux yeux de la communauté hippique pendant le second conflit mondial, lorsqu’il a exprimé (avec succès) son soutien à la poursuite des courses alors que beaucoup voulaient suspendre le sport hippique pour soutenir l’effort de guerre.

Le retour aux courses

L’implication personnelle de Churchill dans les courses a véritablement commencé en 1949. Âgé de 74 ans, il n’est plus Premier ministre depuis plusieurs années. Son camp (les conservateurs) vient de subir une défaite cuisante suite à la victoire travailliste aux élections générales de 1945. Durant cette période sombre de son existence, son gendre Christopher Soames l’encourage à renouer avec le sport hippique et à faire renaître les couleurs familiales.

Peut-être par nostalgie et en souvenir de son enfance, il se laisse tenter. Il achète ainsi son premier cheval en 1949, alors même qu’il est en difficulté financière. Son épouse, qui a toujours essayé de freiner ses folies dépensières, ainsi que l’ensemble de ses amis politiques, s’élèvent contre ce projet : cela va forcément lui porter préjudice lors du prochain scrutin. Et les travaillistes vont assurément essayer de retourner contre Churchill ses investissements hippiques (pour cette même raison, très peu d’hommes politiques anglais de premier plan ont eu des galopeurs depuis la dernière guerre).

Pourtant, Churchill se laisse convaincre d’acheter le FR Colonist II (Rienzo). Il est tout de même assez fou qu’un défenseur forcené de l’impérialisme britannique comme l’a été Churchill se soit offert un cheval nommé « Colon » ! L’histoire de ce Colonist II sort de l’ordinaire pour bien des raisons.

Élevé en France par l’industriel grec Théodore Cozzika – qui avait son propre haras aux Bréviaires dans les Yvelines –, ce cheval avec du modèle a couru deux fois sans réussite à 2ans. Pour sa rentrée, au mois de juin de ses 3ans, il fut deuxième dans un maiden sur 1.400m couru sur l’hippodrome du Tremblay. Un vétérinaire anglais, le Major Anthony Carey-Foster, était présent ce jour-là dans la foule. Colonist II lui ayant tapé dans l’œil, il décide de faire une offre modeste à l’amiable… et en « spec » ! Résultat, le cheval atterrit peu de temps après en Angleterre chez l’entraîneur Walter Nightingal qui, sur la foi de ses bons travaux, décide de le proposer à son nouveau client, Winston Churchill. Colonist II a même été dressé sur les obstacles, ce qui semblait être son destin, ayant été acheté à petit prix en France. Mais il ne verra jamais le moindre obstacle en compétition car la suite a tout d’un rêve éveillé.

Une célébrité du turf

En plat, Colonist II remporte 13 de ses 23 courses en Angleterre, devenant même une petite célébrité dans le cœur des turfistes anglais. Il s’est notamment imposé dans les Ribblesdale Stakes (aujourd’hui Gr2), la Long Distance Cup (aujourd’hui Gr3) et les White Rose Stakes (aujourd’hui Gr3). La presse se prend au jeu et les médias généralistes de l’époque relatent l’enthousiasme des foules à chaque fois que le cheval du héros de la Seconde Guerre mondiale triomphe sur les hippodromes. Le vieux Churchill, lorsque sa santé lui permet de se déplacer, en profite pour gratifier le public de son célèbre « V » de la victoire. Pas mécontent d’avoir prouvé à sa femme et à ses conseillers politiques qu’ils avaient tort d’être contre son projet hippique, Winston Churchill ne boude pas son plaisir. Il reprend le moral tout en retombant amoureux des courses. Mieux encore, son horizon s’éclaircit. Les problèmes financiers qui ont accompagné son existence – il a grandi dans un monde où les aristocrates de premier rang n’avaient pas appris à compter – se dissipent un peu, notamment grâce au succès de ses mémoires à la fin des années 1940. Aujourd’hui, on appellerait cela un best-seller ! Cerise sur le pudding, en 1951, il est désigné Premier ministre pour la seconde fois de son existence.

Une passion… qui n’était pas partagée !

Stayer au courage énorme, un des meilleurs de son temps en Angleterre, Colonist II n’était cependant pas un champion. Le sommet de sa carrière a certainement été la deuxième place dans la Gold Cup 1951 où il a été battu par Pan II (Atys), le premier très bon cheval d’Étienne Pollet. Clémentine Churchill ne partageait pas la passion de son mari et elle confie d’ailleurs dans sa correspondance : « Je trouve étrange cette nouvelle facette de la vie de Winston. Avant d’acheter ce cheval – ce que je ne comprends toujours pas –, il n’avait pratiquement jamais mis les pieds sur un hippodrome de sa vie, bien qu’il joue parfois une pièce. Je dois dire que je ne trouve pas cela follement amusant. » Le problème (pour Clémentine Churchill) c’est que son époux à la main heureuse. Colonist II fait gagner de l’argent à son propriétaire. Honneur suprême, il lui permet aussi de battre la future reine, lui qui était un royaliste convaincu. L’historien anglais Andrew Roberts rapporte d’ailleurs cette anecdote où le vieux briscard de la politique aurait dit à la jeune princesse Elizabeth : « J’aurais évidemment aimé que nous gagnions tous deux. Mais cela ôterait tout l’intérêt à ce sport ! »

Churchill l’éleveur

Accidenté, Colonist II a été vendu comme étalon par Churchill qui confia alors à son entourage et non sans humour : « Un Premier ministre ne peut pas vivre de la vente de saillies. » Sa casaque a continué à briller avec en particulier Dark Issue (Sayajirao), qui s’est imposé dans les 1.000 Guinées d’Irlande (Gr1). Le vieil homme se prend au jeu et comme cela arrive souvent en pareilles circonstances, il achète un haras, Newchapel Stud. C’est là qu’ont été élevés High Hat (Hyperion), quatrième de l’Arc, ou encore Vienna (Auréole), lauréat du Prix d’Harcourt (Gr2) sous les couleurs de son éleveur avant de produire le champion Vaguely Noble (Vienna) qui a notamment remporté la grande course française.

De son côté, Colonist II est parti faire la monte à Heath Stud, près de Newmarket, pour un syndicat, avant de déménager à Aislabie Stud. Dans les années 1960, c’est la reine Elizabeth II qui le rachète pour faire la monte dans son haras de Sandringham. Ses produits ont surtout réussi sur les obstacles. Le meilleur fut Stalbridge Colonist qui a fait sensation en battant le légendaire Arkle (Archive)  lors de l’Hennessy Gold Cup 1966. En France, le comte de Montesson fit courir La Heve, une bonne pouliche d’Auteuil qui lui a ensuite donné (deux générations plus tard) Rêve Bleu (Rose Laurel), lauréat du Grand Prix d’Automne (Gr1). En remontant un peu dans les générations du pedigree du champion Baracouda (Alesso), on tombe sur Colonist II, qui est le père de sa troisième mère ! Sous l’entraînement Doumen, Baracouda a écrit quelques-unes de plus belles pages de l’histoire de l’obstacle français en terre anglaise, remportant notamment trois fois le Long Walk Hurdle (Gr1). La boucle est bouclée !

Pour aller plus loin…

Il existe un livre sur l’histoire de Colonist II, ce qui est tout de même assez rare pour un cheval qui ne fut pas un champion. Écrit par Fred Glueckstein, il est disponible sous le titre Churchill and Colonist II: The Story of Winston Churchill and His Famous Race Horse. La rédaction de cet article fut parfois ardue – 1949 c’est loin ! – mais l’ouvrage de Brough Scott Churchill At The Gallop fut d’une aide précieuse. Très bien illustré, c’est le meilleur livre sur le sujet et il relate toute la vie du grand homme du point de vue équestre et hippique. Merci également à notre confrère Martin Stevens et à Tim Cox – l’homme qui a 18.000 livres sur les courses dans sa maison ! – pour leurs recherches dans leurs archives. 

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