UN QUART DE SIÈCLE EN PLAT
DES 35 HEURES À LA P.S.F., EN PASSANT PAR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL
En entrant dans l’année 2025, nous attaquons le deuxième quart du XXIe siècle. Depuis l’an 2000, qui nous semble pourtant si proche, la France des courses a énormément changé. Mais en quoi ? Deuxième épisode : les courses plates en France.
Quand on liste les changements de fond les plus impactants, nous avons le droit de penser en premier à la réforme de la distance du Jockey Club (de 2.400m à 2.100m en 2005) car celle-ci a fait beaucoup de bruit et produit des effets. Mais en vérité, ce qui constitue peut-être le plus gros changement, du fait de ses nombreuses conséquences, c’est la mise en place des 35 heures.
Par Adeline Gombaud et Mayeul Caire
Totalement inadaptées à un métier de soins comme le nôtre, les 35 heures ont fait des ravages dans les écuries (mais aussi dans les haras) comme dans les rangs des propriétaires. On peut leur imputer en large part la hausse très significative des prix de pension (l’autre responsable est la hausse des matières premières : la tonne de paille valait 50 € au début des années 2000 ; elle vaut aujourd’hui 80 € (60 % de hausse !), et tout a été à l’avenant, de la sellerie aux produits vétérinaires – merci à l’euro et à son inflation « galopante » pendant des années). En 1999, un jeune salarié gagnant 12.500 francs (2.000 euros) par mois pouvait avoir 33 % d’un cheval à l’entraînement chez un professionnel classique à Chantilly, dont la pension valait environ 10.000 francs par mois (1.500 euros). Aujourd’hui, on est plutôt à 2.500 euros à Chantilly, parfois moins parfois plus. La pension a suivi l’inflation et la hausse des coûts de personnel liée aux 35 heures – et les frais annexes ont beaucoup crû (notamment les transports comme on va le voir).
Baisse du taux de couverture par les gains
Dans le même temps, les allocations ont elle aussi fortement progressé. Mais comme les coûts ont progressé plus vite que les recettes, le taux de couverture par les gains a nettement baissé, passant de 55 % à quasiment 45 % aujourd’hui.
Cela a pu peser sur la baisse de nombre de chevaux à l’entraînement en vingt-cinq ans. Mais aussi sur la disparition ou la réduction du nombre de propriétaires, qui concerne un peu tous les étages de la fusée : les petits commerçants et artisans, qui aimaient avoir une « patte » de-ci de-là notamment en régions, ont quasiment été liquidés en plat ; mais à l’autre bout de la chaîne, les « gros » se sont aussi raréfiés avec la limitation, la fin ou la transmission/vente d’écuries symboliques comme les Wildenstein, la marquise de Moratalla, les écuries Lagardère, Chalhoub, Bedel, Zuylen, Bousquet, La Chauvelais, Quesnay, Moussac…
De nouveaux propriétaires d’importance
Heureusement, au cours de ces mêmes vingt-cinq ans, nous avons vu naître de nouvelles vocations de propriétaires d’un certain niveau du côté des Français, avec en particulier des Salabi, Layani, Gillier, etc. Sans oublier la fidélité et pérennité de très grandes et prestigieuses écuries comme les Wertheimer, les Aga Khan Studs, et Rothschild (et l’on peut ajouter les Maktoum, restés fidèles à la France même s’ils ont pu réduire la qualité parfois).
La France a aussi séduit des étrangers : le plus gros contingent est constitué des propriétaires qataris, mais nous n’oublierons pas non plus le retour de Peter Brant et l’arrivée de Nurlan Bizakov.
Enfin, dans les rangs des propriétaires, l’un des phénomènes marquants est le développement des écuries de groupe – quelle que soit leur forme. Elles n’existaient tout simplement pas en France avant 2000 comme vrai actionnariat (le Club Galop, plus ancien, était plutôt une association au sens de la loi 1901 que du copropriétariat).
Multiplication des réunions et régionalisation
L’autre élément qui a considérablement façonné le nouveau visage des courses, c’est la multiplication des réunions tout court – et la multiplication des réunions dans toute la France. Le « Plan Lagardère », bien qu’imaginé à partir de 1995, a été vraiment opérationnel et développé à la fin des années 1990 et début des années 2000. Il y a eu du positif (plus de chiffre d’affaires pour le PMU avec le tuilage des réunions, et plus de visibilité pour les régions) mais aussi beaucoup de négatif que semble-t-il personne n’a vu venir : les coûts d’exploitation ont explosé pour les professionnels des courses, principalement liés aux transports. Mais il y a aussi eu l’usure des salariés, et le cas de propriétaires qui se désintéressent car ils ne peuvent pas aller voir leur cheval courir… Et surtout, avec la multiplication des réunions, une logique dominante du « tout partants » (ou du chantage aux partants) qui a conduit le programme dit « alimentaire » à prendre le dessus sur tout le reste à commencer par la sélection. De tout cela, il faudra reparler un jour ; les courses plates n’échapperont pas à leur « Grenelle » si elles veulent encore exister dans vingt-cinq ans.
Un nouveau poids lourd : les P.S.F.
Ce qui accompagne et permet cette multiplication, c’est le développement des P.S.F. – autre élément totalement nouveau du dernier quart de siècle. Deauville, Chantilly, Pornichet, Pau, Cagnes ont été équipés ce qui a changé la donne pour le programme. D’une part, « il n’y a plus de saison ! » comme dit la vox populi – ce qui veut dire que le break hivernal (« mettre les boucles en bas » comme disaient les anciens !) qui était pourtant nécessaire pour les hommes et les chevaux, n’existe plus… D’autre part, les horaires des courses se sont considérablement étendus (on peut courir la nuit sous la neige sur une P.S.F. éclairée…).
Entraîneurs : renouvellement et régions
Du côté des entraîneurs, il y a eu beaucoup de départs notoires mais cela est logique mécaniquement : Criquette et Freddy Head, Alain de Royer Dupré, Pascal Bary, John Hammond, Carlos Laffon-Parias, Élie Lellouche, Jonathan Pease, etc. De nouveaux venus leur ont succédé dans les rangs classiques et une jeune génération pousse encore derrière eux.
Autre élément à ne pas oublier : le succès des entraîneurs implantés en régions, qui constitue l’un des phénomènes positifs de ces vingt-cinq dernières années avec en particulier la montée en puissance de Jean-Claude Rouget (passé d’outsider en 2000 à tête de liste en 2009), les succès de Didier Guillemin depuis Mont-de-Marsan, les succès de professionnels deauvillais comme Stéphane Wattel ou Yann Barberot au niveau Gr1…
Le débourrage et le pré-entraînement se professionnalisent
Face au problème de main-d’œuvre, mais aussi à la hausse des prix de pension, l’activité de débourrage pré-entraînement s’est peu à peu développée. Yann Poirier a été un précurseur pour nombre de professionnels, créant le haras du Chêne en 1993 après avoir découvert cette spécialité en Irlande.
Aujourd’hui, on peut estimer à une trentaine le nombre de centres réellement dédiés au débourrage et au pré-entraînement. Ils sont majoritairement situés dans l’Ouest et la Normandie, à proximité des haras d’élevage. Ces structures peuvent se charger à la fois du débourrage des yearlings (qui intègrent par le fait les boxes de leur entraîneur un peu plus tardivement) et du pré-entraînement, après des périodes nécessaires de repos, bénéfiques au cheval mais qui répondent aussi à une certaine logique économique pour le propriétaire. Les tarifs de pension au pré-entraînement sont en effet moins élevés que l’équivalent à l’entraînement.
Les débourreurs/pré-entraîneurs n’ont actuellement pas besoin de licence ni d’agrément pour s’installer, mais le sens de l’histoire voudrait que l’activité devienne plus encadrée par France Galop.
Les femmes toujours plus haut…
Le début des années 2000 aura été marqué par la place croissante que les femmes jockeys ont su prendre dans les pelotons. Leur arrivée dans les écuries de courses est plus ancienne, même si, en 2000, elles n’occupaient que 20 % des chaises des classes de l’Afasec. Mais de cavalière d’entraînement à jockey, il y avait une marche à franchir, sans doute trop haute sans un coup de pouce, une décharge qui leur a été allouée, par la volonté d’Édouard de Rothschild, à partir de 2017. L’effet a été quasi-immédiat. En 2000, une seule femme (Delphine Santiago) figurait dans le top 50 des jockeys de plat. En 2017, elles étaient trois. En 2024, onze !
En 2015, Amélie Foulon était devenue la première femme à remporter un Groupe en plat. Depuis, Marie Velon a établi d’autres records… et remporté deux Grs1.
… Et la cravache, toujours plus bas
Au galop comme au trot, l’utilisation de la cravache est de plus en plus contrainte, et le nombre de coups autorisés a été progressivement abaissé. De douze coups il y a une vingtaine d’années, nous sommes passés à huit, puis à six en mars 2017. Mars 2019 : le nombre de coups permis recule à cinq. Puis à quatre en mai 2023. Les sanctions pour usage abusif ont aussi été renforcées. Le sens de l’histoire, c’est que la cravache ne soit plus utilisée que comme un outil de sécurité, pour guider le cheval plutôt que le solliciter (c’est la direction qu’a prise le trot européen).
Plus largement, en un quart de siècle, les courses ont dû tenir compte de la façon dont elles sont perçues par la société. Bientraitance, réduction de l’accidentologie, et reconversion sont devenues des enjeux majeurs. Parmi les événements marquants des derniers vingt-cinq ans, il faut applaudir à la création de l’association Au-Delà des pistes en 2016. Une association intelligemment conçue et très active (même si on n’oubliera pas que la Ligue française de protection du cheval, active dans les courses depuis longtemps, existe depuis 1850).
Bien-être animal… et au travail !
Nombre de professionnels vous diront que leurs chevaux sont mieux soignés qu’eux-mêmes ! Notamment parce qu’ils étaient confrontés à des problèmes croissants de recrutement (mais pas seulement : également parce qu’il s’agit d’une tendance sociétale d’ampleur), les chefs d’entreprises hippiques ont travaillé sur le bien-être de leurs salariés au travail. De nombreuses écuries ont mécanisé les tâches pouvant l’être (comme le curage des boxes), et des initiatives comme les Trophées du Personnel des Courses et de l’Élevage ont été créées pour valoriser les salariés. Dernière évolution : la création du label EquuRes bien-être au travail, pour mettre en avant les bonnes pratiques managériales favorisant l’épanouissement professionnel.