2000 – 2025 : UN QUART DE SIÈCLE DE L’INSTITUTION
En entrant dans l’année 2025, nous attaquons le deuxième quart du XXIe siècle. Depuis l’an 2000, qui nous semble pourtant si proche, la France des courses a énormément changé́. Mais en quoi ? Cinquième épisode : l’Institution.
Guillaume Boutillon et Mayeul Caire
gb@jourdegalop.com et mc@jourdegalop.com
Les courses sous un même toit
Sur le plan symbolique et concret, la décision la plus visible de ces 25 dernières années est le rassemblement de toutes les composantes de l’Institution en un seul et unique lieu : Thémis (Paris 17e). Ce projet de réunion avait du sens d’un point de vue économique mais aussi dans celui de la dynamique de collaboration entre les différentes entités de l’Institution. Mais ça, c’était sur le papier. Dans les faits, on ne peut pas dire que le PMU, France Galop et LeTrot s’entendent mieux qu’avant ; c’est même le contraire. En même temps, si l’on nous autorise cette métaphore, si trois couples habitant dans une même ville et n’ayant que peu de points communs décident de s’installer dans le même immeuble, s’entendront-ils mieux pour autant ? On peut même penser que c’est le contraire qui se produira…
Ce sujet (et ses conséquences positives ou négatives) sera à suivre dans les années à venir.
Stabilité de la gouvernance
En régnant 16 ans sur France Galop (2004 – 2011 puis 2015 – 2023), Édouard de Rothschild a apporté à l’Institution des courses au galop une grande stabilité. Cela est précieux dans une activité qui repose sur le temps long et exige le plus grand calme pour générer la plus grande confiance. D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, la période 2000 – 2024 a été très peu agitée sur le plan social, n’était-ce la violente grève dite « des Critériums » (2017).
Si l’on en revient à la gouvernance du galop français, la première partie du calendrier a été plus agitée au poste de directeur général, avec une succession de femmes et d’hommes sur une période assez courte (à partir du départ de Louis Romanet fin 2007 et jusqu’au long mandat d’Olivier Delloye de 2016 à 2023) : trois directeurs généraux en huit ans – Emmanuelle Bour, Hubert Monzat et Thierry Delègue.
On pourra d’ailleurs faire la même remarque pour le PMU : une entreprise qui change trop souvent de patron ne réussit pas aussi bien qu’une entreprise managée dans le temps long. Ainsi, entre le départ de Philippe Germond en 2014 et la nomination d’Emmanuelle Malecaze-Doublet en 2022 (huit ans), le PMU a-t-il connu quatre dirigeants différents : Xavier Hurstel, Alain Resplendy-Bernard, Cyril Linette et Emmanuelle Malecaze-Doublet. C’est quasiment le double des entreprises du CAC 40, où l’on sait pourtant que les actionnaires ont la gâchette facile !
Le nouveau rôle du Service central des courses et jeux
À force, on avait presque oublié que les courses n’étaient pas seulement sous la tutelle du ministère des Finances et du ministère de l’Agriculture – mais aussi sous celle de l’Intérieur ! Il est vrai que la Police des jeux était sans doute, avec la brigade canine chargée de veiller sur les crottes de chien non ramassées, l’un des services les plus discrets de la police parisienne. Comme quoi, rien ne dure en notre bas monde… puisqu’en 2021, la nomination du commissaire Stéphane Piallat à la tête du service va tout changer. Le service fait son boulot à fond, en devenant assez interventionniste – surfant sur la frontière entre tutelle et ingérence. Les œufs cassés pour fabriquer l’omelette sont parfois pourris, comme dans le cas Dubord, qui ne méritait vraiment pas l’acharnement dont il a été l’objet. Autre élément nouveau, le Service communique volontiers sur la stratégie et sur les affaires, ce qui ne peut plaire aux personnes ciblées mais permet de mieux comprendre certains sujets.
Notons au passage que le « premier flic hippique de France » dégaine un nouvel argument, qui lui permet de faire sauter des licences : « La moralité présentant des risques pour la sincérité des jeux ». Voilà qui n’est pas sans nous rappeler le fameux article du Code au galop sur l’atteinte à l’image des courses…
Le Qatar comme sponsor principal
Sans le sponsoring du Qatar, la situation du Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1) serait-elle la même ? L’allocation serait-elle aussi généreuse ? Non… Le Qrec (Qatar Racing and Equestrian Club) est le partenaire du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe depuis 2008, mais pas que… À l’heure où il devient très difficile pour la Société-mère de trouver des sponsors, l’arrivée du Qatar en 2008 reste une aubaine financière pour le galop français. L’autre rôle important et positif joué par le Qatar au cours des dernières années, c’est au niveau du propriétariat et de l’élevage. Les Qataris – après les Américains, les Japonais, les Dubaïotes, etc. – ont apporté du sang neuf et beaucoup de devises dans la filière, qui en avait grand besoin, car la France (sauf comme second couteau) n’a pas bénéficié du plus gros des investissements saoudiens ou dubaïotes, qui est allé à l’Angleterre (famille Maktoum, prince Adbullah, etc.).
Mais, comme pour le PSG d’ailleurs, tout cela n’est pas sans susciter des critiques. Car l’État qatari a été soupçonné d’avoir des liens avec certains mouvements terroristes. Il existe donc, au sein de la filière hippique française comme au sein de la société française, un débat sur les investissements de l’Émirat dans notre pays.
Les JeuXdis, nouvelle vitrine de Longchamp
Ça, c’est tout simplement le plus grand succès, en termes de conquête de public, non seulement dans les courses françaises mais sans doute dans les courses européennes, depuis dix ans ! Ça, ce sont les JeuXdis de Longchamp. Eh oui… Et dire que tout est parti d’une intention (réelle) tout autre que de faire venir les jeunes aux courses. L’objectif initial, c’était de permettre à Paris Society, attributaire du marché de la restauration de Longchamp, de faire de la marge sur l’hippodrome. Pour cela, quoi de mieux qu’une grande soirée « limonade » (alcoolisée) avec la jeunesse dorée parisienne ? Pour cracher de la recette, c’est vraiment l’idéal. Mais comme la tarte Tatin, ou d’autres célèbres inventions involontaires, les JeuXdis sont devenus autre chose. Un phénomène de société. Et aussi la seule fois où, quelque part dans une grande ville européenne, des centaines de milliers de jeunes qui n’étaient jamais allés aux courses de leur vie ont franchi la porte d’un hippodrome. Près de 100.000 personnes (pas seulement des jeunes mais des entreprises, etc.) assistent aux JeuXdis chaque année ; en une dizaine de réunions, qui représentent moins de 5 % du total des réunions organisées par France Galop, la société-mère réalise 25 % de ses entrées de l’année !
Maintenant que le hasard nous a confié ce ticket de Loto, il va falloir rapidement, non seulement le convertir (le profil de ces jeunes aisés s’y prête formidablement bien) mais aussi dupliquer l’expérience. On croise les doigts pour que France Galop et le PMU en soient capables.
Un mot pour finir au sujet des JeuXdis. À leur lancement, et après leurs premiers succès, un certain nombre de voix ont pu dire : « Ça ne sert à rien, ces jeunes sont seulement là pour se bourrer la g…, ils s’en f… des courses. » Pour mémoire, le même genre de raisonnement nous a menés à abandonner les paris sportifs sous prétexte que le budget de la filière n’avait pas à payer pour le sport : les 15 M€ annuels de perte de l’époque nous assuraient une place de n°2 sur le marché sportif. Cette place prépondérante vaut aujourd’hui plusieurs milliards.
La FDJ est arrivée dans la course
Au début de notre période de référence (2000 – 2024), le PMU et la FDJ faisaient jeu égal. Cela semble fou de l’écrire puisqu’aujourd’hui, l’ex-Française des Jeux réalise plus du double de notre chiffre d’affaires. Elle est en croissance ; nous sommes en récession. L’explication principale est simple : tout au long de cette période, elle s’est diversifiée alors que nous nous sommes recroquevillés sur notre activité historique. À ce titre, la plus grande erreur de toute l’histoire des courses depuis 1651 aura été de refuser au dernier moment de transformer le PMU en Société anonyme, ce qui lui aurait notamment permis – comme le fait la FDJ – de procéder à des acquisitions pour croître.
L’ouverture à la concurrence sur l’online
Voilà qui nous amène directement au monopole du pari hippique. La révolution a eu lieu en mai 2010 avec la promulgation de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Adieu le monopole ! Vous mutez ou vous mourez (pour l’instant, nous mourons). Industriellement, c’est le plus grand fait de ces 25 dernières années.
Le reste, tout le reste, n’a été que la conséquence, directe ou indirecte. Ainsi en est-il du nombre de parieurs PMU qui a fondu (de 6 à 3 millions en moins de 20 ans). Pas étonnant puisque 2024 est une année record pour les paris sportifs, ce qui indique bien où l’on trouve des clients… et où l’on en perd. Idem pour la disparition progressive des courses dans la société française, que la concurrence accrue du pari sportif n’a fait qu’aggraver. Les courses hippiques en France sont de plus en plus confidentielles. Le sport hippique ne passionne plus, sauf un nombre restreint de personnes. À ce sujet, il est d’ailleurs cruel de constater que la 100e édition de l’Arc en 2021 est passée totalement inaperçue. En réalité, à l’exception des « affaires » (mœurs ou dopage), les médias généralistes ne s’intéressent plus guère aux courses. Et les nouveaux médias que sont les médias digitaux et les réseaux sociaux n’ont pas pris le relais, comme dans d’autres secteurs.
Comme un symbole, en 2024, seule la manifestation du 7 novembre aura mis en lumière la filière. Le fameux taux de pénétration du PMU parmi les Français de plus de 18 ans est là pour valider cette « disparition des courses dans la société française ». En 2002, ce taux était de 13 % (pic de 14 % en 2006). Depuis, il n’a fait que baisser, tombant sous les 10 % en 2013 puis sous les 7 % en 2019 et a continué de chuter depuis (les prochains chiffres devraient être donnés par le PMU lors de son traditionnel point presse de février).