UN MARCHÉ EUPHORIQUE… MAIS BEAUCOUP DE CHEVAUX VENDUS À PERTE
[GRANDS ENJEUX 2025] Par Adrien Cugnasse. L’euphorie et l’adrénaline d’un automne fou sur les rings de vente sont retombées. Dans la partie supérieure du marché, la bataille fut épique, avec des prix fous pour les yearlings et les foals haut de gamme. Ces dernières semaines, j’ai relevé deux citations qui résument parfaitement la situation.
Chez nos confrères du TDN, l’Irlandais Eddie O’Leary [à gauche sur la photo, avec Joseph O’Brien, ndlr] a déclaré : « Cette année, on pouvait vendre un bon yearling plus cher que jamais. Mais on pouvait vendre plus mal que jamais ceux qui n’atteignent pas le niveau requis. Les chevaux moyens sont exceptionnellement difficiles à vendre. Je n’ai jamais vu de prix plancher du marché aussi bas. Tout est focalisé sur les meilleurs. Pourquoi ? La répartition des allocations [cela concerne beaucoup plus l’international que la France, mais les étrangers sont nos clients aux ventes, ndlr]. Plus personne ne veut d’un petit cheval pour s’amuser. La demande se concentre sur les chevaux haut de gamme. Maintenant, même les pinhookers s’associent pour acheter des chevaux de meilleur niveau, ce qui les rend encore plus chers à l’achat. »
En d’autres termes, le cheval parfait coûte une fortune. Mais son propre frère ou sa propre sÅ“ur, s’il a le moindre défaut dans son profil, peut tout à fait être vendu à perte. Pinhooker très respecté outre-Manche dans le haut de gamme, l’Allemand Philipp Graf Stauffenberg garde les pieds sur terre. Car c’est aussi un éleveur – du middle market cette fois – qui a beaucoup de réussite en piste (Fantastic Moon…). Dans une interview accordée à The Irish Field, il expliquait récemment : « Par le passé, vous payiez 10.000 € pour une saillie et vous vendiez en moyenne vos yearlings pour 80.000 €. Aujourd’hui, vous payez 30.000 € et vous vendez en moyenne pour 60.000 €. C’est douloureux. Les meilleurs pedigrees sont entre les mains de quelques-uns… si bien que les catalogues s’affaiblissent. Nous nous battons donc tous pour les mêmes chevaux. »
On peut reformuler cela d’une autre manière. Depuis le mois d’août en Europe, seulement 56 % des 7.000 yearlings de plat présentés ont été vendus au-dessus du prix de saillie officiel (sans même tenir compte des frais annexes et de l’amortissement de la jument). Donc 44 % n’ont pas remboursé le prix de saillie… Si on ajoute les rachetés (15 %), ceux qui n’atteignent pas leur coût de production (prix de saillie plus frais annexes) et ceux qui n’ont pas été présentés aux ventes (problème vétérinaire, accident…), il est évident qu’une majorité de yearlings a fait perdre de l’argent à leurs éleveurs.
Le grand challenge de l’élevage commercial européen et des agences de vente devrait donc être de parvenir à diminuer la proportion de yearlings vendus à perte. Étant donné que les prix de saillie ne sont pas en diminution et que tout le monde essaye d’acheter les mêmes juments, l’équation à résoudre se complique encore, et pas uniquement pour les éleveurs avec de petits moyens. Une partie de la solution est certainement d’attirer toujours plus de clients pouvant se payer le très haut de gamme, c’est une évidence. Mais cela ne peut pas être l’unique voie pour relever le défi économique que représente l’élevage commercial !