L’IRLANDE POURRAIT S’INSPIRER DE LA FRANCE
[La rédaction de JDG a sélectionné pour vous quelques-uns des meilleurs articles publiés en 2024. Épisode 6/10 : Un regard sur les courses françaises signé Mark Boylan, journaliste à l’Irish Field.] Nous sommes peut-être à la veille d’un changement dans le paysage irlandais des courses d’obstacles. Et ce changement porte le sceau du secteur économique des courses françaises. L’influence croissante des chevaux élevés en France, et des chevaux anciennement entraînés en France, dans les courses d’obstacles anglaises et irlandaises, au cours des dernières années, est indéniable. Il suffit de constater que sept des huit Grs1 du Dublin Racing Festival 2024 ont été remportés par des chevaux élevés en France, ainsi que le Champion Hurdle, le Mares’ Hurdle, le Stayers’ Hurdle, le Ryanair Chase et la Gold Cup (Grs1) au Cheltenham Festival 2024. Il en va de même pour les vainqueurs du Grand National (Gr3) à Aintree et du Grand National irlandais (Gr3) à Fairyhouse…
Un séminaire où la France est portée en exemple
Quelques semaines seulement avant la domination des chevaux français lors du Dublin Racing Festival 2024 à Leopardstown, le sujet du débourrage, de l’entraînement et des débuts en compétition des sauteurs, plus tôt dans leur vie, comme c’est le cas en France, était au premier plan d’un important séminaire sur les courses d’obstacles organisé en Irlande. Des intervenants respectés ont appelé à un changement au sein du programme irlandais de courses d’obstacles. Ils ont encouragé les parties prenantes à produire des chevaux « à l’entraînement » pour courir sur les obstacles dès l’âge de 3ans, plutôt que d’attendre qu’ils aient 4ans ou 5ans.
Bien qu’aucun détail officiel n’ait été publié, Horse Racing Ireland – le France Galop irlandais – a répondu à ces discussions en déclarant qu’il était prêt à développer un programme de « bumpers » et de courses de haies pour les sauteurs de 3 ans si c’est ce que souhaite le monde de l’obstacle irlandais. Les bruits de couloirs suggèrent qu’il y a certainement une véritable volonté d’aller vers plus de précocité derrière ces propositions.
De plus, en août, il a été annoncé qu’une section dédiée aux chevaux à l’entraînement de 2ans sera intégrée à la deuxième partie de la Tattersalls Derby Sale en 2025. C’est la première fois depuis 2019 que des 2ans seront proposés lors de cette importante vente aux enchères de chevaux d’obstacles à l’entraînement.
Des exemples à foison au plus haut niveau
Se pencher strictement sur les chevaux français de renom qui ont dominé en Irlande ces dernières saisons donne un bref aperçu de la qualité qui ressort de la France de l’obstacle. Par exemple, chacun des cinq meilleurs chevaux de steeple-chase en Irlande à l’heure actuelle (Galopin des Champs, El Fabiolo, Fastorslow, Gerri Colombe et I Am Maximus) a été élevé en France. Il en va de même pour les trois meilleurs hurdlers (State Man, Teahupoo et Impaire Et Passe).
Cependant, la véritable influence de la France sur le paysage des courses d’obstacles irlandaises ne peut être pleinement appréciée qu’en examinant le contexte de leur représentation au sein de la population des sauteurs en Angleterre et en Irlande. Cela permet de voir aussi comment ils boxent au-dessus de leur catégorie à certains égards.
Sur les 200 meilleurs chevaux d’obstacles à l’entraînement la saison dernière, selon les Racing Post Ratings, 79 ont été élevés en France (près de 40 %), dont neuf des 12 meilleurs performers. Au total, 49 chevaux différents ont remporté des courses de Gr1 sur les haies ou en steeple en Irlande et en Grande-Bretagne au cours de la saison 2023/24. Vingt-huit d’entre eux portaient le suffixe FR (soit 57 % de tous les sauteurs gagnants de Gr1). Rien qu’en Irlande, 69 % des vainqueurs individuels de Gr1 sur les obstacles la saison dernière ont été élevés en France.
Un pourcentage de partants FR pourtant faible
Ces résultats sublimes ont été obtenus bien que les « French breds » ne représentaient que 11,6 % de tous les partants sur les obstacles en Irlande en 2023. Et 16,4 % de tous les partants en obstacle en Grande-Bretagne et en Irlande en 2023.
Certes, l’achat de chevaux de grande classe en France nécessite souvent un budget important de la part des acheteurs, mais le niveau de performance est impressionnant. Il y a une qualité évidente dans les rangs malgré une infériorité numérique considérable.
L’examen du lieu où ces chevaux d’obstacles de premier plan ont commencé leur carrière montre qu’il ne s’agit pas seulement d’acheter des performers confirmés qui ont obtenu de bons résultats en France. De nombreux chevaux français ont été achetés alors qu’ils n’avaient pas encore couru. Sur les 49 différents vainqueurs de Gr1 sur les obstacles la saison dernière, 24 ont fait leurs débuts en Irlande, 20 ont commencé en France et seulement cinq ont débuté leur carrière en Grande-Bretagne. Commencer la carrière des chevaux irlandais plus tôt, à l’âge de 3 ans, plutôt que d’attendre qu’ils aient potentiellement 5 ans avant de débuter… C’est un élément clé à prendre en compte dans les courses irlandaises qui envisagent donc de se rapprocher du modèle français.
L’avis de Charlie Swan
L’ancien jockey d’obstacle irlandais Charlie Swan, neuf fois Cravache d’Or, est aujourd’hui fermement établi comme un acheteur respecté de jeunes talents pour le compte du propriétaire John-Patrick « JP » McManus. Il était particulièrement enthousiaste au sujet de la précocité à mettre en œuvre dans le monde de l’obstacle irlandais, dans un épisode du podcast Leading The Field  de The Irish Field en janvier. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait un souhait pour l’avenir des courses irlandaises, Charlie Swan a répondu : « Pour les courses d’obstacles, nous dépensons beaucoup d’argent en France pour acheter des chevaux et je pense que c’est le fruit du système. Je pense que nous devons changer notre système. Je pense qu’il devrait y avoir des bumpers pour les 3 ans et plus de courses de haies pour les chevaux d’obstacles de 3 ans. Je pense que les ventes Derby et Arkle [chez Tattersalls Ireland et Goffs respectivement] devraient peut-être être toutes pour les 2ans. Nous devons changer cela parce que c’est une chose démodée de dire que les chevaux ont besoin de temps. Vous savez, on ne fait pas courir un athlète humain à 20 ans. Ils commencent jeunes et progressent. C’est ce qu’ils font en France. Ils débourrent leurs chevaux d’obstacles dès qu’ils sont yearlings et ils font tout progressivement, lentement, pour leurs muscles et tout le reste. En Irlande, nous essayons de les précipiter parce que nous ne les débourrons pas avant l’âge de 3 ans. Ensuite, ils courent en point-to-point à 4 ans. Je ne sais pas comment ces gars-là arrivent à les entraîner pour faire ça parce que c’est un exploit incroyable. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils le fassent parce qu’ils n’ont pas eu le temps. C’est pourquoi je pense que le système doit changer. Tous les Anglais et beaucoup de grands propriétaires irlandais dépensent tout cet argent en France. Nous avons les meilleurs étalons et les meilleures poulinières ici [en Irlande]. Tout le monde devrait se réunir pour apporter ce changement. Le programme des courses et les ventes devraient s’adapter. Je suis vraiment convaincu de cela. »
Cette théorie est étayée par le fait que 90 % des 49 différents performers gagnants de Gr1 sur les obstacles en Irlande la saison dernière avaient fait leurs débuts avant l’âge de 5 ans. Près de 40 % ont fait leurs premiers pas sur les hippodromes à l’âge de 2 ou 3ans.
La précocité n’est pas l’ennemi de la longévité
La précocité n’empêche pas la longévité. Pour examiner ce point, toutes les courses de Gr1 pour les non-novices, sur les haies et en steeple, en Irlande et en Grande-Bretagne, depuis 2014, ont été analysées. En se concentrant sur les chevaux qui ont participé à ces courses à l’âge de 9 ans ou plus, les French breds représentaient près de la moitié du nombre total de vainqueurs, soit 44 %. Et ce, malgré le fait qu’ils n’étaient représentés que par 30 % des chevaux âgés de 9 ans ou plus dans ces courses. Là encore, les chevaux français surpassent leurs chiffres de représentation et ont également un taux de réussite plus élevé en termes de victoires ou de places dans cette catégorie que les autres chevaux.
Il faudra peut-être encore un certain temps pour que les choses changent en Irlande, mais les résultats – et les chiffres – parlent d’eux-mêmes en faveur de l’approche française dans le monde des courses d’obstacles. Seul le temps nous dira si ce modèle réussi peut être facilement reproduit en Irlande et en Angleterre.