HALL OF FAME
LÉGENDES DES COURSES HIPPIQUES FRANÇAISES
En cette fin d’année, JDG crée le premier « Hall of Fame des courses hippiques françaises ». Un projet pour honorer les grands acteurs du galop. Découvrez chaque jour les premiers intronisés…
Aujourd’hui : Christophe Pieux (1967)
Né le 15 avril 1967 à Nogent-sur-Marne, Christophe Pieux est un jockey d’obstacle qui a marqué son temps, son sport et la mémoire des turfistes. C’est le Saint-Martin de sa discipline. Comme la légende du plat, il possède d’ailleurs quinze Cravaches d’Or à son palmarès. Avec sa gueule de boxeur et sa monte d’équilibriste, il est le chouchou des turfistes et une source d’inspiration pour les jeunes jockeys. Une idole.
C’est en colonie de vacances que Pieux découvre le cheval. Il accroche immédiatement. Direction Maisons-Laffitte et l’école technique, où le jeune homme, qui possède le physique parfait, apprend son métier entre 1981 et 1984. Henri Lalanne, entraîneur à La Roche-Chalais (Dordogne) le prend comme apprenti et c’est pour lui qu’il remporte sa première course, le 26 mai 1985 à Libourne, en selle sur Scarieuse. Rapidement remarqué par un certain Guillaume Macaire (qui dominera l’obstacle quelques années plus tard), il est embauché et va remporter seize victoires en soixante-neuf montes en obstacle dès 1986. Ce score est doublé dès l’année suivante. Il rejoint alors l’écurie de Jacques Ortet à Pau, dans le Béarn.
C’est l’épanouissement ! D’une part, Christophe Pieux se rapproche de sa famille dans le Sud-Ouest, mais il peut désormais laisser son talent s’exprimer totalement. Alors que les jockeys d’obstacle ont une monte beaucoup plus “longue” qu’en plat, où les étriers sont raccourcis pour plus d’aérodynamisme, Pieux adopte un style peu académique pour l’époque, se rapprochant d’un Saint-Martin. Quand ses collègues ont les pieds bien ancrés sur les pédales, Christophe Pieux est en équilibre sur ses orteils. Quand les cavaliers d’obstacle ont le postérieur enfoncé dans la selle, les jambes entourant les flancs de l’animal, lui baisse la tête, bombe le dos et lève les fesses, à la manière d’un coureur cycliste faisant “l’œuf”.
Si on le compare souvent à un acrobate, voire un cascadeur, il ne tombe pas plus que les autres, étant surtout auteur de rétablissements incroyables. Et si les jockeys ont la réputation d’être petits (ce qui est de moins en moins vrai), ils ont généralement une musculature impressionnante. Pieux est un roc, tout en muscle, ce qui lui permet de maîtriser son art comme personne. Lorsqu’il tombe, il ne casse pas, il roule… et remonte à cheval.
En 1988, il remporte sa première Cravache d’Or (81 victoires) à vingt et un ans. L’année suivante, le “nain cruel” Bruno Jollivet ne le devance que d’un succès pour l’Or. Ce sera l’argent. Pieux retrouve son titre en 1990 avant d’être battu, l’année suivante, par Philippe Chevalier. À partir de 1992, Pieux domine l’obstacle de la tête et des épaules, ne devant partager qu’une fois son sceptre. Lorsqu’il est à la lutte pour la Cravache d’Or 1999 avec son ami Philippe Sourzac, blessé en fin de saison, il est finalement heureux de ne pouvoir monter à son tour, car touché au bras : “À égalité de victoires, nous étions sûrs de partager cette Cravache d’Or. J’aurais vraiment mal vécu de battre mon ami Philippe d’une victoire sur le fil ! Il a autant de mérite que moi.” C’est ça Christophe Pieux, la soif de vaincre, mais aussi l’amitié, le sens de la fête, les excès parfois. Il est entier, peut-être un peu trop. Mais comme le boxeur, il accepte les coups.
Ou pas. On lui reproche parfois sa monte énergique ou de trop utiliser la cravache, mais jamais de gagner, tout gagner. Pour avoir répondu à un turfiste mécontent qui l’avait agressé après une course à Auteuil, Pieux écope d’une amende : “Ça m’est égal de payer cette amende, mais je serai content si, après ça, les responsables des hippodromes prennent de vraies mesures de sécurité pour les jockeys. Il n’est pas normal qu’on soit à la merci de prétendus supporters hippiques alors qu’on risque notre vie sur les pistes.” À ce sujet, l’homme aux quinze Cravaches d’Or explique dans une interview accordée à L’Équipe : “Vous imaginez un boxeur qui voudrait ne pas prendre de coups ? Il n’aurait qu’à rester chez lui. Quand il y a mort de jockey [Michel Linares venait de perdre la vie à Cagnes], on n’en parle jamais à la maison.” À la dure, comme son apprentissage, comme son sport, comme la vie aussi…
Les records tombent, presque chaque année, tandis que les trophées s’accumulent. En 1997, avec une huitième Cravache d’Or, Christophe Pieux améliore le record de sept titres détenu conjointement par John Page (entre 1868 et 1876) et Robert Bates (entre 1935 et 1946). Lorsqu’il remporte sa 1008e course en octobre 2000, il bat un record qui tenait depuis 1923 (George Parfrement), celui du plus grand nombre de victoires pour un jockey d’obstacle. Les exploits sur la piste ne sont pas sans risque, sans engagement, sans douleur, comme lors de son succès dans le Grand Steeple-Chase de Paris en 2009 : “Je suis en selle sur Remember Rose. Mon pied heurte la lice dans la ligne d’en face, et je sens immédiatement la douleur, mais avec l’adrénaline et l’envie de tout donner, je parviens à mener mon cheval au succès. Au retour aux balances, ma botte est remplie de sang, et je préviens les médecins que je ne peux plus poser le pied par terre. Je souffrais d’une fracture ouverte et d’un tendon sectionné, alors pas d’autre choix que de prendre la direction de l’hôpital.” La plus belle course d’Auteuil, il la remporte trois fois (Remember Rose, Sleeping Jack et Line Marine).
Après sa quinzième Cravache d’Or, qui lui permet d’égaler la légende Saint-Martin, Pieux explique “je ne dis pas que cette quinzième Cravache d’Or est plus belle que les autres, mais je pense que c’est celle de la maturité.” C’est peut-être parce qu’il estime qu’il lui aura fallu être à quinze reprises le meilleur, pour atteindre la maturité, qu’il est le premier jockey reconnu comme sportif de haut niveau (Médaille d’Or de la Jeunesse et des Sports). Durant sa carrière, Christophe Pieux a gagné plus de 2.000 courses (dont 1.170 pour Jacques Ortet), pour plus de 7.240 km de pistes parcourues lors de ces succès. La route fut longue pour devenir une légende.