LA FOLLE VENTE DE SPARKLING PLENTY
Sparkling Plenty était annoncée comme l’un des temps forts de la Goffs London Sale 2024 dès l’instant où elle a été ajoutée au catalogue. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a fait le spectacle… et ce n’est pas fini car Sparkling Plenty repasse en vente au mois de décembre !
Martin Stevens, éditorialiste invité
Après tout, la pouliche élevée par Jean-Pierre Dubois venait de faire impression en remportant de trois longueurs de Prix de Sandringham lors de sa dernière sortie, et elle devait participer au Prix de Diane la veille de la vente.
Sparkling Plenty était également exceptionnellement bien née, étant une propre sœur par Kingman de Noble Truth, vainqueur des Jersey Stakes et deuxième du Prix Jean-Luc Lagardère. Sa mère est une sœur par Frankel de la merveilleuse jument de course de Dubois, Stacelita (Monsun), et de la mère de son héroïne du Prix du Moulin, Sauterne (Kingman), qui avait été achetée par le Grand Stud japonais pour 4,2 millions de dollars lors de la vente Fasig-Tipton de novembre fin 2013.
Mais à cet instant, personne n’aurait pu prédire les scènes extraordinaires qui allaient se dérouler au palais de Kensington à la veille de Royal Ascot. Et pour cause, la réalité a dépassé la fiction. Qui aurait pu prédire que Sparkling Plenty, venant juste de remporter le Prix de Diane, allait se vendre pour une somme dépassant de près de 2 millions de livres sterling le record européen d’enchères pour un pur-sang… avant de finalement découvrir qu’elle avait été rachetée par son vendeur !
Le directeur général de Goffs, Henry Beeby, qui a dirigé les enchères pour Sparkling Plenty ce jour-là, qualifie ce qui s’est passé « d’expérience la plus surréaliste » en 40 ans de carrière de commissaire-priseur. Revenant sur cet événement, il a déclaré : « C’est notre représentante française Amanda Zetterholm qui a réussi à faire venir Sparkling Plenty. Elle était à la recherche de prospects pour cette vente. Et assez rapidement, elle nous a dit que la pouliche était une possible candidate, mais qu’elle devait courir les Oaks françaises juste avant. Nous nous sommes dit que si elle courait bien à Chantilly, ce serait intéressant. Et finalement elle a gagné… Le sentiment a été mitigé lorsque Sparkling Plenty a dépassé nos attentes en remportant le Prix de Diane. Évidemment, nous étions ravis, car sa valeur avait considérablement augmenté. Mais il y avait aussi une certaine appréhension quant à savoir si son propriétaire voudrait toujours la vendre. Heureusement, il l’a laissée dans la vente car nous avons reçu une vague d’appels d’acheteurs potentiels ce jour-là. Les gens se demandaient si elle allait vraiment être vendue ; quelle était sa réserve, et ainsi de suite. La seule chose que nous pouvions leur dire, c’est qu’elle allait très certainement passer en vente… »
Comme d’habitude, Goffs avait réuni le Who’s Who des grands propriétaires, éleveurs et entraîneurs pour la vente de Londres, dont Bobby Flay et John Stewart des États-Unis, Gai Waterhouse d’Australie ou encore les stars du football Michael Owen et Álvaro Odriozola.
Kia Joorabchian était également présent et avait déjà signalé son intention d’acheter les meilleurs chevaux possible. L’homme d’Amo Racing a payé 650.000 £ pour une pouliche de 2ans inédité (par Kingman) issue de la multiple lauréate de Gr1 Laurens (Siyouni).
Sparkling Plenty a été vendue en tant que lot 11 – mais elle était restée en France –, Henry Beeby faisant son panégyrique depuis le podium, tandis que des images de sa victoire dans le Prix de Diane étaient diffusées aux spectateurs présents : « Lorsque vous constituez un catalogue pour une vente comme celle-ci, vous rêvez d’update… surtout classiques ! De temps en temps, cela arrive et ce fut le cas avec cette pouliche. »
La série d’enchères la plus tendue et la plus palpitante vue depuis des années a alors débuté : « Les enchères ont commencé à un million, et il y avait plusieurs enchérisseurs. Les spotters criaient beaucoup jusqu’à trois ou quatre millions. C’est ensuite devenu une lutte à trois entre Amanda au téléphone avec le vendeur, Emmanuel de Seroux au téléphone avec ce que je suppose être un gros acheteur japonais, et Kia Joorabchian qui enchérissait en personne. En tant que commissaire-priseur, mon objectif était de garder tout le monde en selle. Mais sachant qu’Amanda parlait au vendeur et continuait à enchérir, je ne pouvais m’empêcher de me dire « C’est extraordinaire, jusqu’où ira-t-il ? ». Il a dépassé la réserve qu’il avait mise sur la pouliche. Mais après, il avait le droit d’enchérir lui-même, ou d’avoir une personne enchérissant en son nom. Et c’est exactement ce qu’il a fait. J’ai pris une enchère à 7,8 millions de livres sterling à Kia, 8 millions de livres sterling à Emmanuel… et j’ai pensé que l’affaire était conclue. Mais à mon grand étonnement, Amanda a de nouveau enchéri. Je pense avoir dit quelque chose comme « elle m’a levé un doigt parfaitement manucuré, alors j’ai dû prendre son enchère ». Je ne vais pas mentir, dans ma tête je me disais « je ne peux y croire ; c’est incroyable, le vendeur vient d’enchérir 8,1 millions de livres sterling ». Personne d’autre n’a enchéri après ça. J’ai fait le tour du ring une dernière fois et j’ai laissé tomber le marteau. »
S’est ensuivie une série de négociations effrénées pour tenter d’organiser un accord privé. Et, fait d’autant plus bizarre, elles se sont tenues au milieu d’une garden-party, plutôt qu’à huis clos comme cela se fait habituellement.
Il y a eu beaucoup de regards curieux, de chuchotements et de commérages alors que les représentants de Goffs servaient de médiateurs entre Zetterholm, conversant avec Dubois sans arrêt, et les sous-enchérisseurs. En fin de compte, une autre issue possible est apparue et a sauvé la situation.
Henry Beeby explique : « Par pure coïncidence, Sparkling Plenty était mon lot de transition, donc dès que les enchères ont été terminées, j’ai remis le marteau à Nick Nugent. Et je suis allé voir Amanda pour lui demander s’il s’agissait bien d’un rachat par le vendeur r je ne pouvais toujours pas y croire – et elle a confirmé que c’était le cas. Nous avons eu un hiatus d’environ une demi-heure pour déterminer si les sous-enchérisseurs voulaient conclure un accord. Si cela s’était produit chez Goffs à Kill ou à Doncaster, nous aurions isolé tout le monde dans une pièce pour discuter. Mais nous étions dans un espace ouvert avec des journalistes stylos à la main – ce qui est assez compréhensible –, et il est donc devenu évident que cela n’allait pas être simple. Finalement, Son Excellence le cheikh Joaan Al Thani, qui était là et avait tout regardé, a conclu un accord à 5 millions de livres sterling. Ce qui est surréaliste, c’est que si vous m’aviez dit ce matin-là que nous vendrions une pouliche pour 5 millions de livres sterling, j’aurais été ravi. Mais après être monté à 8,1 millions de livres sterling, le fait de revenir à 5 millions de livres sterling a fait naître un sentiment de déception. Mais en même temps, en prenant du recul, une vente de 5 millions de livres sterling est toujours quelque chose d’extraordinaire. »
En raison de ces étranges événements survenus lors d’une chaude journée d’été, la vente Sparkling Plenty apparaît sur le site de Goffs avec cet intitulé : « Vendeur 8,1 millions de livres sterling ; Al Shaqab Racing 5 millions de livres sterling (PS) ».Une formulation qui a surpris. Mais les gens ont cherché un scandale là où il n’y en avait pas. Cette phrase est le reflet exact de ce qui s’est passé : « En tant qu’agence de vente, nous essayons toujours, bien sûr, d’accentuer les points positifs. Mais je crois que cela aurait été une erreur d’essayer de déformer les faits. J’ai suffisamment défendu l’intégrité et la transparence dans la filière pour ne pas faire autre chose. L’honnêteté est la meilleure politique. Mon père m’a donné de bons conseils il y a de nombreuses années, lorsqu’il m’a dit que les commissaires-priseurs vivent grâce à leur intégrité. C’est quelque chose qui prend une vie à construire mais qu’une seule décision stupide peut vous faire perdre. Certaines personnes m’ont dit que je devrais dire ceci ou cela. Mais j’ai dit « non non, nous allons dire à tout le monde précisément ce qui s’est passé ». Le vendeur avait le droit de faire ce qu’il a fait, et ce n’est pas à moi de lui dire quoi faire. Bien sûr, j’aurais souhaité qu’il prenne les 7 ou 8 millions de livres sterling, mais c’était sa prérogative et je la respecte. »
Sparkling Plenty n’a plus gagné en 2024, mais même dans la défaite, elle a montré qu’elle était digne de faire l’objet d’une guerre d’enchères record. Portant les couleurs de son nouveau copropriétaire, Al Shaqab Racing, elle a terminé troisième derrière Opera Singer (Justify) dans les Nassau Stakes (Gr1) à Goodwood et a occupé la même position derrière Friendly Soul (Frankel) dans le Prix de l’Opéra (Gr1) à Longchamp.
Résumant cette folle journée, Beeby conclut : « Je peux dire sans l’ombre d’un doute que c’est l’expérience la plus surréaliste que j’aie vécue en tant que commissaire-priseur. Cela n’a peut-être pas été simple, mais c’était très exaltant, et c’est assurément quelque chose que je n’oublierai jamais. Je ne le regrette absolument pas, car cela a confirmé ce que nous, chez Goffs, disons aux gens depuis des années : amenez un cheval à la vente de Londres, ou à n’importe laquelle de nos ventes, et les gens enchériront à des prix élevés. Et à titre personnel, je peux me targuer d’avoir reçu l’enchère la plus élevée de l’histoire des ventes européennes. »
Rendez-vous au mois de décembre pour un nouvel épisode de cette folle histoire car Sparkling Plenty va repasser une nouvelle fois en vente, mais cette fois sur le ring d’Arqana !