LA FOLIE DU HAUT DE GAMME DE L’OBSTACLE NE PEUT MASQUER LES DIFFICULTÉS DU MARCHÉ ANGLO-IRLANDAISÂ
Le marché de l’obstacle britannique et irlandais a connu de nombreux coups d’éclat en 2024. Le haut de gamme des chevaux à l’entraînement s’envole, alors que le marché des foals souffre énormément.
Par James Thomas, éditorialiste invité
L’année a commencé par un nouveau prix record pour un cheval d’obstacle à l’entraînement : Caldwell Potter (Martaline), vainqueur de Gr1, a été vendu à Anthony Bromley de Highflyer Bloodstock pour 740.000 € lors de la dispersion des effectifs d’Andy et Gemma Brown. Sir Alex Ferguson, légendaire manager de Manchester United, faisait partie du groupe de propriétaires impliqué dans l’achat, qui a eu lieu chez Tattersalls Ireland début février.
Fin juillet, ce record avait déjà été battu lorsque Regent’s Stroll (Walk in the Park), prometteur vainqueur d’un bumper, a été adjugé à Tom Malone et Paul Nicholls pour 660.000 £ lors de la vente d’été de Goffs UK à Doncaster. Le fils de Walk in the Park (Montjeu) était proposé par Chris Giles, un propriétaire important qui se retirait du sport. Sir Alex était à nouveau impliqué dans le groupe à l’origine de ce nouveau record.
Et le record a été battu une troisième fois en l’espace de huit mois lorsque Lady Bamford, basée en Grande-Bretagne, a dépensé 1,4 million d’euros via Highflyer Bloodstock pour acquérir Palladium (Gleneagles) lors de la vente de l’Arc Arqana . Le vainqueur du Derby allemand (Gr1) part à l’entraînement chez Nicky Henderson qui va tester son potentiel sur les obstacles avant de, peut-être, rejoindre un haras, une fois sa carrière de course terminée.
Dépenser de telles sommes pour des chevaux d’obstacle aurait été presque inimaginable il n’y a pas si longtemps. Mais la fréquence à laquelle le record a été battu en 2024 souligne le changement qui s’est opéré sur le marché des sauteurs.
Les propriétaires fortunés sont de plus en plus prêts à investir massivement lorsque le risque (perçu) semble moindre. C’est-à -dire qu’un cheval cumule pedigree, physique et, surtout, une combinaison entre performances et potentiel. On atteint alors des sommets au niveau des tarifs.Â
Cette tendance du marché a également été observée dans le domaine des point-to-point ces dernières années. Les sommes à six chiffres deviennent monnaie courante. La vente du Festival de Cheltenham de Tattersalls a produit le prix le plus élevé en 2024, avec Echoing Silence (Doyen), vainqueur de Ballycahane et adjugé à 410.000 £ par Rathmore Stud. Jonbon (Walk in the Park), FR lauréat de sept Grs1, est devenu le symbole des point-to-point coûteux, ayant été acheté 570.000 £ par J.P. McManus en 2020.
Certains diront que l’appétit croissant pour ces chevaux prêts à courir est le reflet d’une société de l’immédiateté. Lorsque presque tout peut être acheté en un clic et livré directement à votre porte, pourquoi les propriétaires voudraient-ils investir dans des jeunes chevaux non débourrés ? Surtout pour ensuite se rendre compte que leur achat n’a pas les capacités nécessaires ou qu’il s’est blessé après avoir payé deux années de frais d’entraînement ?
Les coûts d’entraînement ne cessant d’augmenter, il est assez logique que les propriétaires veuillent des résultats rapides. Or, les sommes colossales dépensées pour les meilleurs espoirs du saut d’obstacles contrastent fortement avec les investissements réalisés sur les autres strates du marché. Les chevaux à l’entraînement ont stimulé l’essor des prix du marché dans le haut de gamme. Mais cela a également entraîné une polarisation croissante de l’élevage en Grande-Bretagne et en Irlande.
Le processus d’élevage est long pour faire émerger ces jeunes vedettes de l’obstacle. Au fil des années, une dynamique internet au marché s’est mise en place avec un effet domino de catégorie en catégorie. Mais si cette mécanique s’enraye, le marché risque de dérailler.Â
Ce n’est pas un hasard si la montée en puissance des achats de chevaux sur performances dans le budget des acheteurs s’accompagne de difficultés croissantes pour le marché des sujets avant le stade du débourrage. Cela n’a jamais été aussi évident que lors des ventes de foals d’obstacle.Â
Les entraîneurs de point-to-point ont besoin d’investir dans de nouvelles recrues chaque année, ce qui crée une relation symbiotique avec les ventes de yearlings. Plus ils gagnent d’argent en vendant des chevaux de point-to-point, plus ils peuvent réinvestir dans les yearlings.
Cela crée également une sorte de prophétie auto-réalisatrice, car un nombre croissant de yearlings, et de yearlings de qualité, sont dirigés vers le système de point-to-point. Les jeunes chevaux y sont alors façonnés afin de briller en compétition, ce qui, à son tour, soutient les prix lors des ventes de chevaux à l’entraînement.
Et le succès des sujets issus des point-to-point est si évident que les propriétaires et les entraîneurs cherchent de plus en plus à recruter sur ce marché, plutôt que d’acheter eux-mêmes des sujets non débourrés. Les acheteurs sont manifestement, et assez naturellement, prêts à payer plus cher pour un degré d’aptitude plus élevé.
Si bien que les ventes de foals d’obstacle semblent désormais déconnectées de celles des yearlings et des point-to-point. En d’autres termes, on assiste à un déclin frappant du commerce des foals.
Cela a été particulièrement évident lors de la vente de novembre de Tattersalls Ireland. Durant quatre jours, 729 foals d’obstacle sont passés en vente mais 449 ont trouvé preneur, soit un taux de vente de seulement 61,5 %. Au moment de la rédaction de cet article, la vente de décembre de Goffs National Hunt n’avait pas encore eu lieu, mais il ne serait pas surprenant que le commerce suive largement la même tendance, compte tenu des difficultés observées à Fairyhouse, qui étaient tout à fait conformes à la tendance émergente de ces dernières années.
En 2021, les ventes de foals d’obstacle irlandaises, entre Goffs et Tattersalls Ireland, ont enregistré un taux de vente combiné de 71,4 %, avec 1.086 lots vendus sur 1.521 proposés. En 2022, ce chiffre est tombé à 68,9 %, bien qu’une offre accrue (1.642 lots) ait permis de vendre plus de foals (1.131). Mais le taux de vente a de nouveau baissé l’année suivante, et cette fois, il ne s’agissait pas simplement d’un hasard statistique, puisque 1.573 foals ont été proposés et 998 ont changé de main, soit un taux de 63,4 %.
De plus, les 1.131 foals irlandais d’obstacle vendus en 2022 ont généré des recettes de 19.950.000 €, mais elles ont chuté de 15 % l’année suivante, à 17.010.650 €, pour 998 foals. Cette baisse des investissements s’est poursuivie en 2024. Les chiffres de la vente de novembre de Tattersalls Ireland montrent une diminution de 27 % par rapport à l’année précédente, les 449 foals vendus générant des recettes de 7.467.400 €.
La façon dont le marché des foals d’obstacle est délaissé par les acteurs du marché est d’autant plus criante si on le replace dans le contexte de l’économie globale de la discipline.Â
En 2021, 98,24 millions d’euros ont été dépensés pour 3.113 lots lors des principales ventes d’obstacle Grande-Bretagne et Irlande, ce qui comprend des foals, des yearlings et des jeunes chevaux de course. Bien que ne représentant que 16,5 % (513) des lots vendus, 30,6 % (30,03 millions d’euros) de ce total ont été dépensés pour des jeunes chevaux de course. En revanche, les foals représentaient 34,9 % (1 086) des lots vendus, mais seulement 18,7 % (18,363 millions d’euros) du total des ventes.
Cette disparité de prix n’est pas un problème en soi. Tous les foals ne seront pas capables de courir, et encore moins de gagner, si bien que les chevaux déjà capables de montrer des capacités en piste, que ce soit en point-to-point ou sur les hippodromes, méritent d’être vendus à un prix plus élevé.Â
Mais de manière quelque peu alarmante, l’équilibre entre le marché des foals et celui des chevaux à l’entraînement s’est rompu. L’écart s’est vraiment creusé à partir de 2023. Toutes catégories confondues, en 2023, 3.207 transactions ont généré un total non négligeable de 117,96 millions d’euros (en baisse de 4 %).
Mais si l’on examine de plus près les chiffres, on constate que 38,95 % (45,95 millions d’euros) ont été consacrés aux jeunes chevaux de course, qui représentaient 21,2 % (681) des lots vendus. Au cours de la même période de 12 mois, les foals représentaient 33,1 % des chevaux d’obstacle vendus, mais n’étaient responsables que de 15,7 % (18,5 millions d’euros) du chiffre d’affaires. À moins que Goffs ne réalise un véritable miracle, le marché des foals va encore une fois accuser une baisse en 2024.Â
Cela devrait être une source d’inquiétude majeure pour les éleveurs de chevaux d’obstacle, en particulier ceux qui opèrent à une échelle relativement petite.
Ils jouent pourtant un rôle vital dans l’écosystème de l’obstacle, mais lorsqu’ils mettent leurs foals sur le marché, ils ont de plus en plus de difficultés à couvrir leurs coûts de production. À ce stade, on ne parle même plus de bénéfices…
Bien que beaucoup considèrent l’élevage comme une passion, les éleveurs ne pourront pas continuer à produire suffisamment pour remplir le programme de courses s’ils ne parviennent pas à joindre les deux bouts.Â
L’aspect le plus inquiétant de cette évolution est peut-être qu’il y a peu de signes d’amélioration possible. Le marché des point-to-point s’est imposé dans le cÅ“ur des acheteurs finaux. Mais son émergence a involontairement déstabilisé le délicat équilibre qui existe entre toutes les strates du marché.Â
En bref, une trop grande partie du capital injecté dans la filière d’obstacle chaque année finit entre trop peu de mains. Et ces bénéficiaires ne sont pas des éleveurs…Â
Reste à voir ce qui est faisable pour relancer la demande dans les ventes de foals d’obstacle. Le cas échéant, les éleveurs vont devoir changer leur fusil d’épaule. Soit en réduisant le nombre de naissances, soit en conservant leurs foals pour les ventes de yearlings, soit simplement en fermant boutique. Quoi qu’il en soit, il est clair que les prix élevés au sommet du marché britannique et irlandais du saut d’obstacles ne reflètent pas le véritable état de santé de la filière.
CHIFFREÂ D’AFFAIRES DES VENTES D’OBSTACLEÂ ANGLO-IRLANDAISES
2021 (en €) | Parts de marché | 2022 (en €) |
Parts de marché |
2023 (en €) |
Parts de marché |
2024 (en €)* | % | |
Foals | 18.363.950 | 18,69 % | 19.950.000 | 16,22 % | 18.539.550 | 15,72 % | 8.579.800 | 9,25 % |
Stores | 49.854.510 | 50,74 % | 57.541.300 | 46,78 % | 53.476.300 | 45,33 % | 42.595.950 | 45,91 % |
Chevaux à l’entraînement, Boutiques Sales | 30.030.835 | 30,57 % | 45.519.500 | 37,00 % | 45.952.745 | 38,95 % | 41.602.960 | 44,84 % |
Total | 98.249.295 | 123.010.800 | 117.968.595 | 92.778.710 |
(*) Provisoire, avant la Goffs December NH Sale et la Tattersalls Cheltenham December Sale.
NOMBRE DE LOTS VENDUS DANS LESÂ VENTES D’OBSTACLEÂ ANGLO-IRLANDAISES
2021 (en €) | Parts de marché | 2022 (en €) | Part de marché | 2023 (en €) | Part de marché | 2024 (en €)* | Part de marché | |
Foals | 1.086 | 34,89 % | 1.131 | 34,16 % | 1.063 | 33,15 % | 497 | 18,98 % |
Stores | 1.514 | 48,63 % | 1.504 | 45,42 % | 1.463 | 45,62 % | 1.389 | 53,06 % |
Chevaux à l’entraînement, boutiques sales | 513 | 16,48 % | 676 | 20,42 % | 681 | 21,23 % | 732 | 27,96 % |
Total | 3.113 | 3.311 | 3.207 | 2.618 |
(*) Provisoire, avant la Goffs December NH Sale et la Tattersalls Cheltenham December Sale.