PHILIPPE CHEVALIER, LE ROI DE LA PATIENCE
Par Christopher Galmiche
cg@jourdegalop.com
Cravache d’Or de l’obstacle en 1991, lauréat de nombreux Grs1, Philippe Chevalier a dû arrêter sa carrière suite à sa chute avec Northerntown dans le Prix Jim Crow 2004 à Enghien. Désormais starter dans le Sud-Est, il nous a accordé une interview sur l’évolution de l’obstacle en vingt ans, tout en revenant sur sa riche carrière et ses meilleurs souvenirs.
Jour de Galop. – On a le sentiment que la vitesse des courses d’obstacle est plus importante qu’à votre époque. Quel est votre avis ?
Philippe Chevalier. – Ce sentiment n’est pas aussi flagrant selon moi. Je n’ai pas l’impression que la vitesse est plus importante aujourd’hui qu’à mon époque. Lorsque je montais, sur du terrain souple ou du bon terrain, les courses roulaient aussi. À mon sens, on voit plus cette vitesse sur des hippodromes de province, comme à Cagnes-sur-Mer par exemple. Mais cela a toujours été le cas. La principale raison, pour Cagnes par exemple, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes jockeys qui vont monter là -bas, contrairement à mon époque où la plupart des pilotes du haut du tableau y montaient régulièrement. On subissait peut-être moins la pression des entraîneurs comme aujourd’hui. Les jeunes qui vont à Cagnes ont tous les mêmes ordres, à savoir aller devant. Et de ce fait, ça va très vite.
Nous avons aussi des terrains moins pénibles que par le passé. Est-ce que cela joue ?
C’est vrai qu’à mon époque, je me rappelle avoir monté sur des pistes vraiment très pénibles. De nos jours, je n’ai pas l’impression que l’on atteigne ces niveaux. Mais le fait de voir les courses à la télévision et de ne pas être à cheval ne procure pas les mêmes sensations ni les mêmes ressentis sur le terrain.
Vous étiez probablement le jockey le plus patient de votre époque. Comment faisiez-vous pour apparaître toujours entre les deux dernières haies avec un cheval qui donnait l’impression d’avoir tout juste pris le départ ?
Ça ne se travaille pas. C’est dans ma façon d’être, de monter. Pendant mes années Marcel Rolland, je travaillais main dans la main avec ce dernier. Je prenais soin des chevaux que l’on me confiait. Je ne les empêchais pas de gagner. Je les connaissais et je pense que c’est une différence par rapport à maintenant, où de nombreux jockeys n’ont plus d’attaches fixes. Ils vont un peu partout. Dans mon cas, j’étais attaché à une écurie et même les chevaux que je ne connaissais pas, j’allais les travailler en amont. J’avais une relation beaucoup plus importante avec eux en les montant le matin. Je savais ce qu’ils étaient capables de faire et si j’étais patient, c’est parce que je savais qu’ils allaient pouvoir me donner quelque chose à la fin. Enfin, c’était vraiment un plaisir pour moi de monter comme je le faisais, en étant patient. C’était vraiment kiffant, pour employer un mot jeune, de venir finir sur les autres pour les battre. À cheval, je me régalais en montant comme ça. Après, il y avait aussi des chevaux pour lesquels cette tactique n’était pas la bonne. Dans ce cas, je m’adaptais et je les montais différemment. Mais c’est vrai qu’en grande partie, je montais mes chevaux dans l’esprit de les voir finir.
Vous aviez aussi la réputation d’être un bon juge le matin. Est-ce que c’est quelque chose qui se travaille ?
Pas du tout. On le ressent et on est capable de l’analyser ou pas. Travailler les chevaux le matin est un avantage et on peut ensuite donner de bonnes indications à l’entraîneur.
Avec le temps et le calendrier qui s’est étoffé aux quatre coins de la France, nous avons l’impression que cette attache à une seule écurie s’est un peu perdue…
En vingt ans, les courses ont beaucoup changé de ce côté-là . En plat comme en obstacle, on impose aussi de nombreuses choses aux jockeys. Peut-être encore plus en obstacle car à mon époque, nous n’avions pas autant de courses, quasiment tous les jours. Personnellement, ce n’était pas mon credo. De nos jours, je serais embêté car j’étais vraiment axé sur Auteuil et les courses parisiennes. À l’heure actuelle, les jockeys vont partout, tous les jours. Ils traversent la France entière. C’est quelque chose qui ne me plaisait pas. Lorsque j’allais monter en province, je sélectionnais mes montes et je n’allais pas partout. D’un côté, j’admire les jockeys actuels, mais d’un autre, ce n’est pas mon truc. Les jockeys ne peuvent pas monter partout en France, tout en étant dans une écurie en même temps tous les jours.
Si l’on revient sur votre carrière, pour nos plus jeunes lecteurs, comment avez-vous débuté dans les courses ?
Enfant, je montais à poney. Je suis arrivé dans le monde des courses par l’intermédiaire de la famille Mossé. J’étais ami avec Christophe Mossé qui était entraîneur. J’ai découvert les courses grâce à lui. J’ai fait des meetings à Aix-les-Bains et Divonne-les-Bains, lorsque j’étais encore lycéen. Gérald [Mossé, ndlr] était aussi avec nous durant les premières années. Ce sont de bons souvenirs. Je suis passé gentleman-rider puis les choses ont évolué.
Pourquoi avoir choisi l’obstacle ?
J’ai toujours été focalisé sur cette discipline. Lorsque j’étais enfant, j’ai commencé à monter à six ans à poney. Je ne faisais pas de courses de poneys car il n’y en avait pas contrairement à maintenant. D’ailleurs, je trouve que ce que fait Christophe Soumillon avec les courses de poneys est une très bonne chose. J’ai donc débuté avec les poneys, l’équitation classique, et je pratiquais le cross, donc l’obstacle. Cela a toujours été mon truc. Il était donc logique de devenir jockey d’obstacle.
Avec quels entraîneurs avez-vous collaboré lorsque vous vous êtes lancé comme jockey ?
Je suis entré chez Jean-Paul Gallorini en fin d’année 1988. J’ai été Cravache d’Or en 1991, en montant 98 gagnants uniquement pour lui. Il ne souhaitait pas que je me mette en selle pour l’extérieur. C’est un peu un regret de ne pas avoir atteint les 100 lauréats, mais je m’étais blessé durant l’année et j’avais été absent 15 jours. C’était beau car j’ai obtenu ce trophée après une lutte avec Christophe Pieux qui a été indétrônable pendant de longues années. Le battre était quand même une fierté. Après, j’ai été premier jockey pour Marcel Rolland. Et pendant un an, j’ai été parallèlement premier jockey pour la marquise de Moratalla et jockey de Marcel Rolland. Puis je suis resté chez ce dernier jusqu’à la fin de ma carrière, le 14 septembre 2004.
Quels sont vos meilleurs souvenirs avec la casaque de la marquise de Moratalla ? On se souvient que vous avez gagné le King George VI Chase (Gr1) 1994 pour ces couleurs avec Algan (Le Pontet)…
C’est grâce à cette victoire que j’ai été associé aux chevaux de la marquise ensuite. Je ne connaissais pas du tout les courses anglaises lorsque j’ai monté Algan là -bas. C’était un monde complètement différent. Vraiment quelque chose. L’ambiance est exceptionnelle. Lorsque je regarde les épreuves anglaises, ça me donne des frissons… J’en ai de superbes souvenirs. Nous n’avons pas ça en France et nous ne l’aurons jamais car c’est une culture. Pour m’avoir permis de découvrir les épreuves britanniques, je ne remercierai jamais assez François Doumen. Nous avons fait quelques escapades là -bas avec des victoires. Avec Algan, dans le King George, nous avions dû attendre, mais par la force des choses. Le rythme n’était pas du tout le même qu’en France. Il ne fallait pas déborder le cheval et ça correspondait à ma façon de monter. Nous avons gagné car un cheval qui avait de l’avance est tombé en fin de parcours [Barton Bank, ndlr], mais c’est l’obstacle.
Durant votre période chez Marcel Rolland, on imagine facilement que votre meilleur souvenir, c’est Mandarino…
Il y a de nombreuses victoires qui ressortent, mais forcément la principale, c’est Mandarino (Trempolino) [lauréat du Grand Steeple-Chase de Paris (Gr1) 1999, ndlr]. Et ce pour plusieurs raisons. Ce cheval avait un caractère particulier. Il fallait le prendre avec des pincettes et de ce fait, nous nous entendions bien. Sincèrement, ce n’est pas pour me passer de la pommade, mais je pense qu’en étant monté par un autre jockey, il n’aurait pas fait cette carrière. Il était susceptible et n’aimait pas les coups de cravache. Il fallait lui parler à la troisième personne. Il aurait été ailleurs, il n’aurait pas fait cette carrière. Je pense que nous l’avons utilisé à 200 % de ce qu’il était. Il a quand même gagné le Congress, le Grand Steeple des 4ans, le Grand Steeple, ce n’est pas commun… On peut être fier de ça. J’ai aussi un très bon souvenir avec Phonidal (Cadoudal). Il a eu un parcours extraordinaire [victime d’une grave blessure au jarret lors de la Grande Course de Haies de Printemps 2001, il a remporté cette épreuve en 2004 et le Prix Juigné (Gr3) 2007, ndlr]. Phonidal était un bon cheval. Il était condamné, mais il a recouru et il a remporté la course dans laquelle il s’était blessé. C’était quelque chose de mémorable.
Nous avions aussi l’impression qu’il y avait une vraie alchimie entre Marcel Rolland et vous ?
Tout à fait ! Je n’ai pas fait beaucoup d’écuries, mais si j’avais pu continuer ma carrière de jockey, je serais resté chez lui. Tout se passait très bien. Il me faisait complètement confiance et les résultats étaient là . Lorsque je suis arrivé chez lui, je suis reparti de zéro parce que, quand je suis parti de chez Jean-Paul Gallorini, Marcel [Rolland, ndlr] n’avait pas énormément de chevaux d’obstacle. Il était plutôt basé sur le plat et n’avait pas de jockey d’obstacle. C’est pour cela que je suis venu chez lui. Il avait de la clientèle qui avait des chevaux AQPS et je me disais que ça pouvait fonctionner. Ça a été le cas ! Nous avons grandi ensemble. Ce sont de superbes souvenirs. Outre Mandarino et Phonidal, un autre cheval entraîné par Marcel Rolland m’a marqué : Saint Réalise (Saint Preuil) [lauréat des Prix Fleuret et Jean Stern, ndlr]. Il avait beaucoup de classe, mais des problèmes aux jambes. Je l’aimais beaucoup. Il possédait un rush final époustouflant et me correspondait bien, car je dormais avec lui et venais finir.
Avez-vous pensé à devenir entraîneur ?
Le métier d’entraîneur aurait pu me tenter. Mais être à cheval et à pied ne procure pas la même vision. Beaucoup d’entraîneurs le confirment. Encore plus aujourd’hui qu’à mon époque, pour se lancer dans ce métier, il faut avoir les nerfs bien accrochés, foi en soi et en l’avenir des courses et surtout avoir les chevaux. On peut être très bon entraîneur, être André Fabre, mais si on n’a pas les chevaux, on ne sera pas André Fabre. C’est très ingrat comme métier. Je ne voulais pas me lancer dans un métier qui comprenait tant d’incertitudes.
Continuez-vous à suivre les courses ?
Je les suis, mais forcément moins intensément que par le passé. Je suis starter dans le Sud-Est et lorsque j’ai commencé, j’essayais de regarder les courses en direct à Auteuil. Mais maintenant, je suis starter aux courses lors du Grand Steeple, de l’Arc, des 48H de l’Obstacle… Je n’ai pas tourné la page, car je regarde les courses, mais je suis moins assidu que par le passé.
Si l’on vous demande quel est votre favori pour le Prix La Haye Jousselin ?
J’aime beaucoup Il est Français (Karaktar). Il m’a impressionné. Je pense que lorsqu’il est au top de sa forme, il est au-dessus du lot, dans les grandes épreuves françaises. Je pense qu’il fera la distance. À Kempton, il a gagné facilement sur 4.800m et s’il y avait eu un tour de plus, je ne pense pas que ça l’aurait gêné.
Et quel est le jockey dont la monte ressemble le plus à la vôtre ?
J’ai entendu des interviews et lu des articles dans lesquels Johnny Charron disait qu’il était fan de notre époque à Dominique Bressou, Laurent Métais et moi, et fan de nous… Je voudrais lui retourner le compliment parce qu’aujourd’hui, je suis fan de lui. Je suis enthousiasmé par sa carrière et ses résultats. Faire cela à son âge, cela m’émerveille !