LA CONSANGUINITÉ, ENTRE MYTHE ET RÉALITÉ
PUR-SANGÂ ? VOS PAPIERSÂ !
La logique, quand on étudie un pedigree, c’est de penser que chacun des chevaux qui le composent a apporté un peu de lui-même à son descendant. Sauf que, comme l’explique le professeur Emmeline Hill, généticienne à l’université de Dublin, tous les gènes de tous les ancètres ne se transmettent pas. Il y a donc une différence potentielle entre ce qu’un pedigree indique sur le papier (les origines réelles, mais théoriques) et ce que l’on trouve effectivement dans l’ADN d’un individu (les origines réellement transmises). Et cela change totalement la donne en matière d’inbreeding (présence répétée du même ancêtre)…
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Après des siècles de sélection, les pedigrees des pur-sang anglais modernes ont les mêmes “racines” au sein du stud-book : 92 % des chevaux sont issus de la même lignée mâle et 10 juments fondatrices représentent 72 % des lignées maternelles actives. Mais pour autant, cela ne veut pas dire que les galopeurs ont tous la même génétique. La seule manière d’y voir plus clair, ce serait donc de tester l’ADN de tous les galopeurs… et il est peu probable que cela arrive. Emmeline Hill analyse : « La véritable question, c’est de savoir quelle partie de l’ADN de chaque ancêtre a traversé les générations pour être présent – ou non – dans le génome d’un individu. » En simplifiant énormément, la scientifique explique : « Il est possible qu’un ancêtre qui apparaît au pedigree sur le papier ne soit plus présent dans le génome quelques générations plus tard. À l’inverse, un ancêtre peut être beaucoup plus présent dans le génome d’un cheval que ce à quoi on pourrait s’attendre. Entre le pedigree théorique et la réalité, il y a potentiellement de réelles différences. La sélection [sur performance et sur pedigree, ndlr], c’est donc essayer d’éliminer les mauvais gènes et augmenter la présence des bons dans la généalogie de chaque foal. Et les éleveurs ont très bien réussi leur travail. Mais ils y sont parvenus en s’accommodant du côté imprévisible de la transmission des gènes de génération en génération. »
Le pedigree est une indication, pas une certitude
Depuis des siècles, nous scrutons tous avec passion les pedigrees des galopeurs avec le secret espoir d’y trouver quelques vérités. Et c’est vrai que la diffusion de pedigrees complets et fiables – d’abord sur papier et désormais de manière numérique – a été l’un des grands facteurs de progression de l’élevage des chevaux (lire article suivant). Mais aussi puissante qu’ait été cette amélioration, elle est aussi imparfaite. Un pedigree, ce n’est pas les “Tables de la Loi” ! Que les éventuels scientifiques qui vont lire les lignes suivantes me pardonnent la brutalité de la simplification qui va suivre. À grands traits, on peut dire que ce n’est pas parce qu’un cheval est un arrière-petit-fils de Danehill (Danzig) qu’il a hérité de l’ensemble du génome de son prestigieux ancêtre. Le pedigree sur quelques générations tel que nous le visualisons, en tournant des milliers de pages de catalogue par an, indique la possibilité de la présence des gènes des huit arrière-grands-parents. Mais ce n’est en rien une certitude. Ainsi, on croit parfois faire un inbreeding… alors qu’il n’existe pas. Car dans les faits, il est possible qu’un des deux parents n’apporte pas toute la génétique de l’ancêtre (théoriquement) dupliqué. Ainsi, le 2 octobre, quelques jours avant l’Arc, la revue scientifique de référence Nature a publié le papier suivant : Analyses of whole-genome sequences from 185 North American Thoroughbred horses, spanning 5 generations. Les cinq chercheurs de l’université du Kentucky qui ont potassé la question ont comparé la consanguinité théorique – celle qui apparaît sur le papier – et la consanguinité réelle, en analysant l’ADN de 185 chevaux. Ils concluent : « Les estimations de consanguinité basées sur le pedigree à cinq générations de chaque individu sont modérément corrélées avec les estimations de consanguinité basées sur tous les ROH [un outil de génomique qui permet d’évaluer la consanguinité, ndlr]. » Certains inbreedings auxquels on a attribué la réussite de tel ou tel cheval n’existent peut-être que sur le papier et dans nos têtes ! Car de génération en génération, il y a dilution, et une partie du patrimoine génétique s’est perdue. Cela veut dire que d’un point de vue statistique, la présence d’un même ancêtre à cinq ou six générations ne présente que faiblement les problématiques liées à la consanguinité.
Un podium de l’Arc 2024 riche d’enseignements en matière de diversité génétique et d’inbreedings
Avec le succès de Bluestocking (Camelot), Juddmonte est devenu le propriétaire le plus titré de l’histoire du Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1) avec sept victoires. Les cinq dernières ont été acquises avec des chevaux élevés par Khalid Abdullah et les siens. Quand on regarde leur pedigree, on remarque que les deux derniers – Enable (Nathaniel) et Bluestocking – présentent des inbreedings bien visibles dans les quatre premières générations de leur pedigree. L’élevage est parfois contre-intuitif car la consanguinité sur Danehill (Danzig), comme chez Bluestocking, est statistiquement négative… Or à première vue si on se borne à lister les très bons chevaux (l’étude des taux de réussite ne confirme pas cela) cet inbreeding en particulier semble être une formule qui fonctionne avec Camelot (Montjeu). La deuxième mère de cet étalon est une fille de Danehill et sur ses douze gagnants de Gr1, huit ont un père de mère de la lignée mâle de Danzig (Northern Dancer), le père de Danehill. Comment des éléments aussi contradictoires peuvent-ils être expliqués ? Probablement par le fait que les inbreedings tels qu’ils apparaissent sur le papier ne sont pas forcément ceux qui existent réellement dans le génome de nos chevaux…
Pas de lien entre inbreeding et p
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