LA MANIF, POURQUOI PAS… LA GRÈVE : NON !
L’éditorial de Mayeul Caire
La Mairie de Paris décide d’abaisser la vitesse sur le boulevard périphérique à 50 km/h. Pour protester, un automobiliste descend dans son parking, au deuxième sous-sol de son immeuble, et crève les quatre pneus de sa voiture. Question 1 : la Mairie de Paris rétablira-t-elle la vitesse à 70 km/h sur le périph’ ? Question 2 : qui paiera pour faire réparer les quatre pneus ? Réponses : la Mairie de Paris ne reviendra pas en arrière et l’automobiliste assumera seul les frais de réparation de ses pneus. Il aurait mieux fait d’aller verser un bidon d’huile de moteur sur le parvis de la mairie, comme les agriculteurs déversent du purin dans la cour des préfectures. Notre colère est légitime. Notre inquiétude aussi. Et qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée : je suis, comme tout le monde, à fond CONTRE la surtaxation.
Mais je suis pragmatique. La journée de grève du 7 novembre (annoncée par les associations professionnelles, lire par ailleurs) coûtera 2 M€ de recette nette. Cela fera-t-il plier le Gouvernement ? Aucune chance. Beaucoup d’acteurs veulent-ils de cette grève ? Pas sûr. En effet, notre tissu est composé d’une myriade de PME ; pas d’ouvriers syndiqués. Imaginerait-on le Medef demander à tous les patrons français de mettre le feu à leurs usines ? Ou un patron demander à ses collaborateurs de détruire leur outil de travail ?
En faisant grève, nous ne sensibiliserons personne à notre cause ; nous allons simplement réussir à sensibiliser nos clients… à d’autres jeux d’argent que le nôtre. Car en l’absence de courses, nos parieurs les plus réguliers, qui sont des joueurs avant d’être des turfistes, se reporteront sur le pari sportif, le grattage ou la loterie ! Parmi les joueurs en ligne, beaucoup sans doute iront jouer sur ZeTurf, qui se fera alors un malin plaisir de doper son offre en ligne ce jour-là avec des courses étrangères… Et tant pis pour le PMU !
En faisant grève, nous n’allons pas toucher l’État au portefeuille, en le privant de recettes fiscales. L’État fera la même recette que d’habitude, en taxant les jeux sur lesquels nos clients se seront reportés. Cela n’aura donc aucun effet sur le Gouvernement. Et dans le même temps, nous aurons perdu des clients.
Et pour finir, ce qui est fou dans cette affaire, c’est que les professionnels n’ont pas été consultés largement. Pour décider de notre avenir, le minimum aurait été de lancer un grand sondage auprès de tous les acteurs, pour savoir qui voulait vraiment d’une journée sans aucune course en France. Dans le monde moderne, ce n’est pas difficile à organiser techniquement. Je serais curieux de savoir quel aurait été le résultat d’un tel référendum…
La grève n’a aucune valeur dans un monde concurrentiel
En apparence, faire grève est une bonne idée. N’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Quand on n’est pas content, on bloque. Mais en vérité, faire grève est la plus mauvaise idée qui soit, une idée aussi mortifère que la taxe que nous combattons. Pourquoi ? Parce que les acteurs des courses ne sont pas des cheminots SNCF protégés par le monopole du rail. Notre activité – organiser des compétitions sportives pour collecter des paris – est hautement concurrentielle. Quand un citoyen-consommateur prend le train pour Limoges, il n’a pas le choix ; c’est la SNCF ou rien. Alors que quand ce même citoyen-consommateur décide de jouer de l’argent, il a le choix entre de multiples possibilités. Si nous faisons la grève ne serait-ce qu’une journée, nos parieurs (qui ont envie de jouer de l’argent quoi qu’il arrive) se reporteront sur d’autres jeux : pari sportif, grattage, loterie, poker. En faisant la grève, nous enverrons illico nos clients à la concurrence. Ce serait une énorme erreur. Et il y a fort à parier (!) que certains ne reviendront pas aux courses après la grève ; pour peu qu’ils grattent un ticket gagnant ou que leur pari sportif leur fasse gagner quelques euros, ils se diront que c’est largement aussi bien que les courses, voire plus facile ou mieux. Le lendemain, ils ne feront plus la queue au guichet du PMU.
Notre meilleure chance : un lobbying axé sur la baisse des recettes fiscales
Pour contrer le Gouvernement, trois solutions complémentaires semblent évidentes. La première est de continuer à les lobbyiser, la deuxième est de manifester, la troisième est de faire la grève. Nous les avons classées dans cet ordre volontairement car leur efficacité va décroissant. Lobbyiser est notre meilleure chance de succès : à nous de démontrer à l’État qu’en augmentant les taux de prélèvement, il créera une récession économique dans notre univers qui fera baisser rapidement ses recettes fiscales.
En second vient la manifestation. C’est ce que nous avions fait la dernière fois. Cela représente un certain intérêt médiatique et on le droit de tenter le coup. Ce sera mieux que de ne rien faire. Mais en réalité, cela a très peu de poids politiquement. Les décideurs politiques se moquent d’une énième manifestation sous les fenêtres d’un ministère ; il y en a déjà tous les jours. Alors une de plus ou une de moins… D’ailleurs, la dernière fois que les courses ont manifesté, l’amendement qui autorisait la FDJ à faire du live betting a été retiré avant même que le cortège n’arrive à Bercy. Pourquoi ? Parce que Bercy voulait éviter les cris à sa porte ? Pas du tout : parce qu’en coulisses, pendant la manifestation, le lobbying discret avait payé et que le ministre avait été convaincu par nos émissaires de renoncer à son projet. Ce n’est donc pas la manifestation qui nous a permis d’avoir gain de cause mais le travail souterrain. Il en sera de même cette année : la manifestation ne sera pas totalement inutile mais elle ne changera rien.
Reste la dernière solution, celle de la grève. Nous en avons parlé au début de cet éditorial.