LA GENÈSE D’UN GRAND ÉTALON
L’histoire de Saint des Saints (Cadoudal) a fait école. Mais avant de devenir un exemple, elle fut un grand pari.
Il y a presque trois décennies, Nicolas de Lageneste a fait le choix (très inhabituel à l’époque) d’acheter à Deauville sa future mère, Chamisène (Pharly). Deuxième des Marettes, elle servait de pacemaker aux bonnes pouliches de la casaque Fustok, se classant notamment quatrième de la Poule d’Essai des Pouliches (Gr1). Jusqu’au jour où on l’a laissée courir pour son propre compte… ce qui lui a permis de remporter le Prix de Malleret (Gr2) et le Prix de Sandringham (Gr3). Après avoir donné un black type en plat, Chamisène est devenue très compliquée à gérer sur le plan gynécologique. Elle est donc passée en vente publique. C’est à ce moment que Nicolas de Lageneste entre en jeu : « Chamisène était une petite jument, toisée 1,59m. Et c’est certainement pour cela que l’on retrouve beaucoup de petites femelles par Saint des Saints. Chez Chamisène, j’aimais Tanerko, son père de mère et sa souche basse. Son père, Pharly, avait aussi fait quelques chevaux d’obstacle, tout comme son grand-père, Lyphard, bien qu’il ait produit des petits. Saint des Saints n’était pas un beau foal. Il faut dire que Chamisène n’était pas une bonne mère. Mauvaise laitière, elle avait souvent avorté ou perdu des poulains avant d’arriver chez nous. Je l’ai donc achetée pour l’équivalent de 1.500 €, lors d’une liquidation judiciaire. Je l’ai aussitôt envoyée à Cadoudal pour faire un étalon d’obstacle, d’où Saint des Saints. La suite a été moins heureuse. Elle m’a donné un magnifique Octagonal qui est mort à un mois et demi. Elle avait aussi avorté de Lavirco. Avec Kendor, j’ai eu Sacro Saint, mais il était un peu infirme. Et ce fut terminé. Aucune femelle. »
Nicolas de Lageneste avait donc un projet ambitieux. Mais pas forcément les finances en rapport : « À l’époque je n’étais pas vraiment argenté. J’ai donc cédé la moitié du foal à Jacques Détré. C’est grâce à lui que nous avons gardé le cheval entier. Bien soutenus par la confiance de Jacques Détré, nous avons continué l’aventure et Saint des Saints est devenu étalon en France. Si j’avais été son seul propriétaire, je l’aurais vendu bien avant. Et la suite de l’histoire n’aurait pas été la même. » Jacques Détré détaille : « Robert Fougedoire n’a pas voulu de Saints des Saints lorsqu’il était foal. II n’était pas parfait et je l’avais payé cher pour l’époque. Guillaume Macaire, à ce stade, n’était pas franchement enthousiaste. Mais il l’a revu à 2ans… et il était nettement plus convaincu car le poulain était devenu splendide (rires) ! Je me souviens être allé voir Saint des Saints avant ses débuts. Comandante (Apple Tree) lui avait mis 100m dans un galop. Mais Guillaume Macaire m’avait dit que la hiérarchie s’inverserait en course. Et il avait raison. Très froid le matin, Saints des Saints a gagné le Prix Grandak de cinq longueurs. Et Comandante a terminé cinquième. Plus tard, dans le Congress, Saints des Saints survolait la course avec classe avant de chuter. Ce qui ne l’a pas empêché de confirmer par la suite. [Il a gagné les Prix Amadou, Gr2, de Longchamp, de Pépinvast et Jacques d’Indy, Grs3, ndlr] Trois haras se sont positionnés. Durant l’été, Marc de Chambure l’a acheté pour en faire un étalon. Avec Saint des Saints, il retrouvait une grande souche de sa famille. Le cheval a été acheté sans vraiment être négocié. Rétrospectivement, après un démarrage difficile, on peut dire qu’ils ont fait l’affaire du siècle. Lorsque ses premiers 4ans ont été vus en piste, l’étalon était définitivement lancé. »
Une influence considérable
Franck Champion, chargé de sa promotion depuis le tout premier jour, se rappelle : « En constatant que l’intérêt des Anglais et des Irlandais grandissait pour les étalons français et leurs produits, nous avons cherché un prospect sérieux pour l’obstacle. Saint des Saints, alors à l’entraînement chez monsieur Macaire pour messieurs Jacques Détré et Nicolas de Lageneste, était un profil très intéressant. Fils du meilleur sire d’obstacle, Cadoudal, et issu d’une gagnante de Groupe en plat – source de classe et de vitesse –, son croisement nous est apparu idéal. C’était il y a plus de 20 ans ! Saint des Saints est devenu un très grand étalon et il sera toujours un élément décisif dans les pedigrees. » Ludivine Marchand Morin (directrice du haras d’Étreham) poursuit : « Nous sommes si chanceux d’avoir parmi nous un cheval si exceptionnel, par son charisme et sa remarquable réussite. Quel beau présage de l’avoir nommé ainsi… »
Un des éléments marquants du papier de Gran Diose (Planteur), dernier lauréat du Grand Steeple-Chase de Paris (Gr1), est son origine maternelle. Il offre un premier Gr1 à Saint des Saints en tant que père de « deuxième mère ». On mesure chaque jour un peu plus l’influence de l’étalon du haras d’Étreham. Ses filles ont donné quasiment une quinzaine de gagnants de Gr1, dont trois avec des fils de Montjeu : Sel Jem (Masked Marvel), Jonbon (Walk in the Park) et Douvan (Walk in the Park). Ces deux derniers ont donc exactement le même croisement (Walk in the Park sur Saint des Saints) que la mère de Gran Diose.
Déjà deux fils de Saint des Saints ont produit au moins un gagnant de Groupe (Jeu St Éloi et Castle du Berlais). Et le jeune Goliath du Berlais (Saint des Saints) impressionne son monde avec ses premiers 3ans en piste. Ce qui est vraiment fou, c’est que Saint des Saints était encore actif au haras en 2024 – quand on connaît la lenteur du cycle d’élevage en obstacle – alors que ses gènes se sont déjà tant diffusés dans la population. Est-ce seulement déjà arrivé dans l’histoire de l’élevage ? En général, ce genre d’impact sur la population de sauteurs intervient alors que l’étalon est mort et enterré depuis dix ans ! Nicolas de Lageneste analyse : « C’est un chef de race en devenir. » Celui-ci fut son associé, Jacques Détré réagit : « C’est absolument énorme. Et pourtant, lorsqu’Étreham nous l’a acheté, j’ai fait partie des seuls à le soutenir. Saint des Saints est même descendu à 2.500 € la saillie. Personne ou presque n’en voulait. Dans sa première génération, j’avais acheté cinq poulains issus de cet étalon. Ils ont tous gagné, dont les lauréats de Groupe Synaptique et Santa Bamba, future mère de De Bon Cœur (K) (Vision d’État)… Saint des Saints est un étalon qui apporte une aptitude au saut indéniable. Ses produits sont naturellement doués. Saints des Saints a les jarrets très coudés et il transmet cela. Pour le plat, c’est problématique mais cela n’a aucune incidence en obstacle. Pendant longtemps, on a également reproché à l’étalon le fait que ses femelles soient très différentes des mâles. Les pouliches, parfois « réduites » et difficiles, ont par contre brillé au haras. Au contraire, les mâles sont souvent froids et plutôt commodes. »