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mardi 25 février 2025
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L’AVEYRON, KARL MARX ET L’ÃŽLE DE LA CITÉ

L’AVEYRON, KARL MARX ET L’ÃŽLE DE LA CITÉ

Ce théoricien de l’économie politique allemand n’est probablement pas l’auteur préféré des restaurateurs et des gens de chevaux ! Mais de manière assez surprenante, certains concepts de Marx ont néanmoins été repris par les libéraux ces dernières années. Comme celui de « l’armée de réserve de travailleurs ». Pour être tout à fait honnête, c’est un concept que Karl Marx n’a pas inventé. Il l’a «piqué» à des syndicalistes… sans payer de droits d’auteur ! Mais il l’a en revanche fait connaître en le développant dans le chapitre XXV de son plus célèbre ouvrage, Le Capital. De manière simplifiée, il explique que pour que le capitalisme fonctionne, il faut qu’une partie importante de la population se retrouve dans la nécessité d’occuper un emploi. Ainsi, à l’inverse, si les personnes se détournent massivement du travail, les entreprises ne fonctionnent plus. Et c’est en partie ce qui est en train de se passer – dans certains secteurs – à l’échelle globale. Demandez aux restaurateurs et aux entraîneurs en manque de main-d’œuvre ! Dès lors, quand le niveau de vie augmente localement, on va chercher une «armée de réserve de travailleurs» un peu plus loin. D’où le fait que les usines fabriquant nos biens de consommation se trouvent en Chine. Mais dans notre pays, la première étape fut l’immigration de «l’intérieur» vers Paris, les Auvergnats – une appellation générique qui regroupe également les Aveyronnais – représentant la plus grosse communauté de ces travailleurs pauvres. 

La valeur travail 

Au XVIIe siècle, ils ont massivement exercé la pire profession que le pavé parisien pouvait offrir à un jeune homme, celle de porteur d’eau. Élevés à la dure dans le Massif Central, les Auvergnats ont ensuite vendu du charbon, puis du vin avant de devenir les patrons de l’hôtellerie et de la restauration dans la capitale. Le beau livre Les Auvergnats, avec les photos de Robert Doisneau, en est une illustration remarquable et exhaustive. Il dépeint l’ascension sociale de tout un groupe. Une évolution qui fut possible parce que chez les Auvergnats, la valeur travail est centrale. C’est une culture. Et ce n’est pas un hasard si l’Aveyron, où Odette Fau a vu le jour, est l’un des départements avec le plus faible taux de chômage. Un entraîneur classique m’avait confié un jour qu’il gagnait beaucoup moins de course depuis que ses lads n’étaient plus des ruraux ou des fils de paysans. Et pour cause, en France, il n’y a (presque) plus de paysans !

Néanmoins, il y a quelques endroits où on aime encore travailler. L’Aveyron par exemple… Odette Fau a un restaurant dans la capitale – Au Vieux Paris d’Arcole, sur l’île de la Cité – et un autre établissement dans l’Aveyron, Le Prieuré de Las Canals. Elle est donc bien placée pour comparer : « À l’époque, 80 % des cafés de Paris appartenaient à des Aveyronnais. Tout simplement parce que c’étaient des bosseurs. Et le travail paye car l’Aveyron s’est beaucoup développé économiquement au fil des décennies. À Paris, dans les métiers de la restauration, on voit que les gens n’ont pas envie de bosser, recruter est très difficile. Mais dans l’Aveyron, c’est différent, vous y trouvez autant de serveurs que vous voulez. » 

Pas pour les défaitistes

Lors des belles victoires, Odette Fau récompense le personnel d’écurie comme il se doit et elle a aussi fait un gros chèque pour Notre Dame de Paris, la cathédrale juste en face de son restaurant. C’est au fond sa technique de management personnelle : « Si vous voulez garder vos bons salariés, il faut bien les payer. À Paris, j’ai une super équipe. Certains sont là depuis presque 20 ans. Nous avons la chance de travailler avec des gens courageux et respectueux. » Lorsqu’elle décroche son téléphone pour répondre à cette interview, notre éleveur, propriétaire et restaurateur est en train de cuisiner. Dans deux heures, c’est le service. À 78 ans, elle n’a visiblement pas prévu de ralentir la cadence. Pour aller aux courses, elle n’a pas peur du voyage : « Départ à 20 h de l’Aveyron. À 4 h, on arrive à Paris et à 11 h on est à Longchamp ! Le jour de l’Arc, je passe souvent la matinée à travailler. Entre la chantilly et les fondants au chocolat, pas le temps de stresser. » Dans la restauration comme dans les chevaux, il y a des moments très difficiles : « Je suis toujours très positive. Ça ira mieux demain. Il faut un grand désordre pour obtenir de l’ordre ensuite. Les chevaux, ce n’est pas un sport pour les défaitistes… »

D’un piano à l’autre

Lorsqu’Haya Landa (Lando) a couru l’Arc, John Eliot Gardiner, célèbre chef d’orchestre britannique, était venu soutenir la pouliche de ses amis : « Et le soir à Pleyel, il a dédié le concert à la pouliche… qui a été applaudie ! Beaucoup de chefs d’orchestre et de musiciens viennent manger chez nous. Et dans l’Aveyron, nous accueillons des masterclass de violon, de violoncelles, de pianos… » Le piano d’Odette Fau n’a pas 88 touches mais plutôt six brûleurs : « Je leur fais à manger et le soir on a droit à un petit concert. J’ai trois passions, les chevaux, les voitures et la musique. Surtout le classique et la soul. » Dans les chevaux comme dans la soul music ou même en cuisine, les ruraux et les autodidactes sont aux commandes. Surnommé the hardest working man in show business, James Brown ne savait pas lire la musique. Et Odette Fau n’a jamais fait l’école hôtelière ! Le plus grand studio d’enregistrement de l’histoire du genre, Muscle Shoals, perdu au fin fond de l’Alabama, était la création d’un groupe de fils de paysans autodidactes.. Et c’est là que sont nés certains des plus grands titres d’Aretha Franklin et Otis Redding (entre autres). Les talents peuvent naître partout… à condition de travailler !

La naissance d’une passion 

Issue d’une famille nombreuse, Odette Fau est d’extraction modeste : « Les châtelains passaient devant chez nous à cheval. J’avais trois ans. Et depuis ce jour, j’ai voulu avoir un cheval. » Elle a commencé à travailler très jeune, dans la vente : « À 17 ou 18 ans, c’est-à-dire quand j’en ai eu les moyens, j’ai acheté un premier cheval. » Sautant d’une profession à l’autre, elle tient une librairie, un Castorama… jusqu’à ce jour de la quarantaine où « j’ai claqué la porte, et je suis montée à Paris. Sans un sou. Sans rien en fait. » Pendant cinq années, elle travaille au Centre international de l’automobile de Pantin. Et à partir de 1995, avec Georges de La Rochebrochard, c’est la grande aventure de la restauration… en autodidacte ! Plus de temps pour les chevaux, si ce n’est par l’intermédiaire de son fils qui monte avec réussite en concours hippique. Tenir un restaurant, c’est quand même le meilleur moyen pour rencontrer beaucoup de monde : « Ce fut une période où nous avons beaucoup travaillé. Et puis un jour, monsieur d’Armaillé m’a dit : «Si vous aimez les chevaux, vous devriez acheter un galopeur.» C’est ainsi que nous avons acheté 50 % d’une jument [chez Jean de Roüalle, en association avec Faysal Abu Khadra, ndlr]… qui a cassé au bout de six mois. » Premier achat, premier coup dur. Mais Odette Fau ne veut pas lâcher l’affaire et cette Haya Samma (Pivotal) devient poulinière. Il faut dire qu’elle a quand même une origine tout à fait solide car on sait aujourd’hui que Pivotal (Polar Falcon) est un très grand père de mères (175 black types dans ce rôle). En outre, Haya Samma était la sÅ“ur de Gin Jockey (Soviet Star), gagnant de son maiden au mois de juillet de ses 2ans à Newmarket et troisième des Craven Stakes (Gr3). 

Haya Landa a tout changé 

Le premier produit d’Haya Samma, Haya Kasi (Kahyasi) court très correctement en plat avant de se classer quatrième du Prix Finot (L) de Monpilou (Saint des Saints). Mais Odette Fau n’accroche pas avec l’obstacle. Sa discipline, c’est le plat. Le deuxième produit, c’est Haya Landa. Son père, Lando (Acatenango), était un super cheval de bon terrain qui avait d’ailleurs écrasé Monsun (Königsstuhl) sur une piste rapide dans le Derby allemand (Gr1) avant de faire une grande carrière internationale. À l’instinct, elle envoie Haya Samma à Lando, alors stationné au haras d’Étreham. Haya Landa sera le meilleur produit de son père vu en France et contrairement à lui, elle adore le souple. Il faut dire que sa mère est la nièce de Subotica (Pampabird), qui a gagné l’Arc sur une piste assouplie. La suite de l’histoire, vous la connaissez. Haya Landa est montée cinq fois sur le podium au niveau Groupe et elle a terminé quatrième de l’Arc en terrain lourd. Ses gains en fin de carrière s’élèvent à 561.892 € (avec les primes). Haya Landa est partie rejoindre la jumenterie de Northern Farm au Japon. Mais Odette Fau a conservé deux sÅ“urs : Haya of Fortune (Soldier of Fortune), gagnante à 2ans et troisième du Critérium de l’Ouest (L), ainsi que l’inédite Haya City (Elusive City), future mère d’Haya Zark (Zarak). 

Il n’a jamais été à vendre

En juin 2022, lorsque Haya Zark a remporté le Prix Ridgway (L), le cheval avait le profil pour plaire à tous les courtiers du monde : un lauréat black type avec une certaine tenue sous les couleurs d’un petit propriétaire. Oui mais voilà, Odette Fau n’en démord pas… il n’est pas à vendre ! : « Il y avait des acheteurs australiens, anglais, français, américains… certains voulaient même en prendre une part minoritaire. J’ai refusé, parce que si vous vendez, ensuite vous n’avez plus la main et nous n’aurions pas pu le racheter s’il était repassé en vente. On m’a dit que c’était un peu gonflé car nous avons refusé beaucoup d’argent. Mais il y a des plaisirs qui n’ont pas de prix. » En remportant le Ganay (Gr1), Haya Zark a offert un premier succès de ce niveau à son éleveur et propriétaire. Et même en y mettant énormément de moyens, force est de constater que personne n’est certain de parvenir à gagner un Gr1. Alors l’Arc 2024, c’est la cerise sur le gâteau : « Si le terrain devenait très lourd, on en embêterait plus d’un ! »

Et bientôt, il sera étalon

Quiconque connaît Tangi Saliou et Odette Fau sait d’instinct que ces deux-là sont faits pour travailler ensemble : « On se ressemble ! Il travaille en famille, comme moi. J’aime travailler avec des gens courageux au boulot comme lui. »  Et c’est ainsi qu’Haya Zark va rejoindre le haras de la Haie Neuve, en Bretagne, au mois de janvier prochain : « Dès le départ, j’ai dit que s’il était bon, nous la garderions comme étalon. C’est l’intuition qui me guide. On m’avait dit de ne pas courir Haya Landa dans l’Arc et on m’avait aussi conseillé de ne surtout pas utiliser Zarak sur sa sÅ“ur. Aujourd’hui, je fais selon mon idée. J’ai suivi Zarak pendant sa carrière de course. Et puis le frère de mon mari était un très bon copain de Georges Rimaud. Ils se connaissent depuis leur jeunesse. » Chacun le sait, la réussite d’un étalon, c’est une Å“uvre collective. Or Odette Fau et Georges de la Rochebrochard se promènent toujours avec un aréopage d’amis et de connaissances aux courses dont certains ont sauté le pas en prenant leurs couleurs. Ils ont la passion contagieuse ! : « Quand vos amis vous voient gagner des courses, cela leur donne envie. La seule chose que je leur dis, c’est que la réussite se mérite et qu’il ne faut pas diriger son écurie dans l’idée d’en tirer du profit. Les courses, ce n’est pas ça. C’est respecter l’animal. Et puis c’est passer de bons moments et parfois c’est simplement manger une saucisse frite avec les gens du coin sur un hippodrome. On a vraiment beaucoup de copains en province. » 

Une aventure collective 

Parmi ceux qu’ils ont convertis au galop, il y a Jean-Marc Anglès qui a bien mis le pied à l’étrier avec une bonne dizaine de chevaux à l’entraînement. Encore un Aveyronnais avec le sens du commerce ! En 2003, il a vendu sa société de distribution de chauffage et sanitaire – 40 points de vente, 450 salariés – à Point P. Odette Fau a ainsi plusieurs poulinières en association avec Jean-Marc Anglès : « Ensemble, nous avons acheté une Frankel pour Haya Zark ! Une Kingman aussi. » Il faut dire que chez les entrepreneurs aveyronnais, le virus du cheval est bien présent. Ami d’enfance d’Odette Fau, Marcel Mezy est un fils de paysan qui, parti de zéro, a créé un procédé de fertilisation révolutionnaire. Son violon d’Ingres, c’est le cheval. Sur sa propriété, il y a plusieurs centaines de pur-sang arabes et son élève Kanti de Bozouls (No Risk Al Maury) a gagné deux Groupes l’an dernier. Pas très loin de là, Jacques Boudet a créé sa propre marque de moto. C’est l’éleveur (entres autres) d’Image du Croate (Munjiz), lauréate du Qatar Arabian Trophy des Pouliches (Gr1 PA) ! 

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